Quarante ans d’histoire du Sénégal (1960-2000), depuis l’indépendance ou les arcanes du pouvoir entre idéologie et clientélisme. Mohamed Lamine Manga analyse la gouvernance politique qu’il devise en deux grandes périodes : Les présidences de Léopold Sédar Senghor et d’Abou Diouf. Dommage qu’il n’ait pas poursuivi avec celle d’Abdoulaye Wade.

Mohamed Lamine Manga est historien et analyste politique, directeur du département d’histoire de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, Casamance, région à la quelle il a consacré un ouvrage : La Casamance dans l’histoire politique du Sénégal, L’Harmattan, 2012.

Dans son introduction l’auteur rappelle que le Sénégal a connu l’expérience électorale dès le XIXe siècle avec l’élection d’un représentant des « Quatre communes » au Parlement français. Il annonce son propos : l’analyse des luttes d’influences, des crises politiques, de l’impact des politiques de développement, du rapport des pouvoirs publics aux différentes composantes de la société sénégalaise et de la force régulatrice des confréries musulmanes.

Présidentialisme, monopartisme et intégration nationale 1960-1980

Cette première partie est consacrée aux quatre périodes de la présidence de Léopold Sédar Senghor.

L’héritage colonial – premières expériences de recompositions politiques

L’auteur revient sur la période de l’immédiat après-guerre, la marche vers l’indépendance. Il rappelle la loi Gueye de 1946 donnant la citoyenneté à tous les Sénégalais et l’influence politique de la SFIO. Il décrit l’ascension de Senghor, fondateur avec Mamadou Dia du Bloc démocratique sénégalais vainqueur des élections législatives de 1951 et territoriales de 1952 grâce à l’appui des confréries mouride et tidjane, marquant le début d’un clientélisme. 1957-1960 c’est la création d’un grand parti l’Union progressiste sénégalaise (UPS). L’auteur présente, en détail, la campagne pour le référendum d’adhésion à la Communauté franco-africaine et plus rapidement la courte expérience de Fédération du Mali.

Du bicéphalisme à l’amorce d’une relative ouverture politique (1960-1970)

Assez vite après l’indépendance la vie politique est marquée par la crise entre Senghor et Dia dont le parcours est rappelé. Opposant les affairistes et les marabouts aux idées de développement et d’austérité de Mamadou Dia, la crise de 1962 renforce le clientélisme. La révision constitutionnelle de 1963 met en place un régime présidentiel et l’UPS devient parti unique en 1966, non sans divisions internes avec l’ouverture à d’anciens opposants du PRA/S (Parti du regroupement africain/Sénégal) qui mécontente d’anciens militants de l’UPS.

Le gouvernement comme le part doivent faire face de nombreux mécontentements : malaise des paysans touchés par la sécheresse, urbanisation rapide. L’auteur analyse la crise économico-politique de 1968 et la crise écologique et économique des années 1970. La situation amena à une certaine ouverture politique.

De la révision constitutionnelle de 1970 au départ de Senghor en 1980

Pour y faire face on assiste à une déconcentration des pouvoirs, une ouverture politico-syndicale, une réforme constitutionnelle avec la création du poste de premier ministre et un renouvellement d’une partie du personnel politique (arrivée d’Abou Diouf, ministre du Plan). Un multipartisme limité se met en place à partir de 1974. L’auteur consacre quelques pages au concept de nation et d’intégration nationale dans cet état multiethnique, la construction souhaitée par Senghor d’une «  Sénégalité », construction identitaire élastique.

Le début des années 1980 est marqué par des tentatives de redressement économique financé par les instances internationales, Banque mondiale et FMI, qui assujettissent le Sénégal aux programmes d’ajustement structurel.

L’auteur montre comment Senghor a préparé son départ en mettant en avant un jeune technocrate : Abou Diouf. Senghor démissionne le 31 décembre 1980.

Technocratie, modernisation de l’État et démocratisation 1980-2000

 1980-1990

L’auteur dresse un portrait du nouveau président et rappelle les étapes de son arrivée au pouvoir.

De 1983 à 1988 le pays est aux mains de jeunes cadres de l’administration, grâce au soutien des chefs religieux. Abou Diouf gouverne avec une certaine rigueur sous la surveillance de la banque mondiale et du FMI. Les mesures d’austérité imposées, si elles ont permis un assainissement des finances, elles ont conduit, après 1988, à des crises socio-politiques.

La période est marquée par le séparatisme casamançais.

Au plan politique le multipartisme est réel et on note des tentatives de lutte contre la corruption. Au plan international : courte expérience de confédération de Sénégambie, conflit avec la Mauritanie et relations tendues avec la Guinée-Bissau.

De l’imbroglio politico-économique des années 1990 à l’alternance de 2000

Les années 1990 voit l’apparition de nouvelles personnalités sur la scène politique : des jeunes intellectuels casamançais et des jeunes d’autour d’Abdoulaye Wade dont le parti PDS (Parti démocratique sénégalais) instrumentalise les crises notamment scolaires et universitaires.

L’auteur analyse les élections de 1988 dans un contexte de crise, le « gouvernement de majorité élargie » qui ouvre ses portes aux opposants du PDS pour gérer la crise économique (surendettement de l’État). Malgré la démocratisation et la réforme du code électoral de 1992, les élections présidentielles de 1993 se déroulent dans un climat tendu qui met en lumière le durcissement de la vie politique sénégalaise (assassinat de Babacar Seye, marche des Moustarchidines).
A partir de 1996 une politique de décentralisation est initiée, non achevée en 2021.

Les élections locales de 1998 marquent le recul du PS d’Abou Diouf et annoncent la victoire d’Abdoulaye Wade aux présidentielles de 2000 sur fond de chômage des jeunes et de crise casamançaise non résolue.

Un ouvrage bien documenté, des faits précis assez loin de la préface très engagée d’Ousseynou Faye.

Présentation sur le site de l’éditeur