«Une sorte de parc à riches, où les gens d’Hollywood et de la côte Est venaient cacher leurs turpitudes», voilà comment Jean-Luc Fromental décrit la vallée de Santa Cruz à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Cette vallée, située à la frontière entre le Mexique et les États Unis, est le cadre du polar graphique De l’autre côté de la frontière.
Voici le pitch : un auteur de romans policiers, François Combe, installé dans la région, est confronté à plusieurs meurtres de prostituées mexicaines. On retrouve ici les éléments classiques du polar : un cadre géographique mêlant pittoresque et malsain, des personnages complexes et des situations où la tension exacerbe les sentiments.
L’enquête menée par le romancier se déroule dans les quartiers chauds de la ville frontalière de Nogales. Cette ambiance se lit dès la couverture : une femme, semblant être une prostituée, discute avec un inconnu à l’intérieur d’une belle voiture américaine, avec en arrière-fond un décor de western.
Le héros est loin d’être un chevalier blanc. Venu s’installer avec sa femme, sa secrétaire faisant office de maîtresse, il est le visiteur régulier des établissements chauds de Nogales et entretient avec les femmes de son entourage des rapports qui interpellent notre vision aujourd’hui de la place des femmes. Cependant la femme, par l’intermédiaire, du personnage d’Estrellita la jeune domestique mexicaine, se trouve hissée au rang de guide pour comprendre le fonctionnement de cette société duale où la population mexicaine reste fermée aux riches propriétaires blancs.
Les dessins de Philippe Berthet font la part belle à ce décor de western, entre désert et ville minière abandonnée, et des références au cinéma hollywoodien avec ces superbes personnages féminins, très souvent des femmes fatales. La beauté des décors et des corps est contrebalancée par la violence des corps assassinés, exhibés, nus.
L’enquête laisse ainsi la place aussi bien aux prédateurs qu’aux proies, les proies n’étant pas seulement les femmes aux mains des désirs masculins mais ceux nées de la grande dépression et de la spoliation foncière qui a suivie.
L’originalité de ce polar est qu’il est truffé de références à la vie et l’œuvre de l’écrivain Georges Simenon, à l’origine du personnage du commissaire Maigret. Ainsi Simenon a lui même séjourné en 1948 dans la Santa Cruz Valley. Sa situation personnelle était à ce moment aussi compliquée que celle du héros De l’autre côté de la frontière, entouré dans son périple américain par sa femme, son fils, sa secrétaire et maîtresse, ainsi que la gouvernante et également maîtresse…
De fait comme dans une enquête du célèbre commissaire du 36 quai des orfèvres, la révélation du coupable met sur le devant de la scène des ressentiments cachés, un passé non pardonné et des liens insoupçonnés entre les protagonistes.
La résolution de cette enquête se conjugue à la dénonciation d’une situation quasi colonial dans ce territoire où la frontière moins qu’un concept géographique est un concept social. Les personnages, qu’ils s’agissent de la population blanche aisée ou des travailleurs mexicains, parcourent librement la frontière. Celle-ci distingue cette population blanche qui se livre à tous les excès, de la population mexicaine qui vit de la présence des premiers.
Si le déroulé de l’enquête peut paraître (trop) court, des informations très intéressantes sont données en postface. On découvre ainsi des photos d’époque ainsi que des explications sur l’histoire de la Santa Cruz Valley. La confrontation entre les dessins de Philippe Berthet et les photographies mettent en valeur le travail du dessinateur, tandis que les textes permettent de mieux saisir les enjeux sociaux d’une région transfrontalière.
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