L’idée selon laquelle tout individu est accompagné sa vie durant, d’une ou deux entités – l’une bonne, l’autre mauvaise-, quelque soit le nom qu’on leur donne (génies, démons, anges, esprits..) tel est l’objet de ce colloque tenu à Orléans en 2006. Les différentes croyances, leurs évolutions, leurs représentations de l’Antiquité à nos jours dans littérature, les archives de police, les enluminures, mais aussi la BD…participent à cet étonnant voyage à travers le temps en compagnie de ces êtres familiers. La partie consacrée à l’Antiquité est un peu ardue ; il n’en est pas de même par la suite et l’on découvre, parfois avec étonnement, les situations cocasses dans lesquelles les simples êtres humains, tiraillés entre un ange gardien auréolé de lumière et un petit démon bien sombre, finissent par se retrouver.

D’emblée, Dominique Frère se pose la question : l’iconographie étrusque aurait-elle servi de modèle aux figures démoniaques médiévales ? ou les modèles seraient-ils à chercher chez les Grecs, ces figures le rôle d’anges gardiens des défunts qui se dirigent vers le royaume d’Hadès ? Andréi Timotin se penche sur la figure du démon Eros telle qu’elle est évoquée dans l’oeuvre de Platon : intermédiaire entre les hommes et les dieux, démon gardien ou personnel, démon assimilé à la partie supérieure de l’âme. Eros est-il amour en soi ou amour de quelque chose ?

Origines étrusques ?

La solution de prêtresse Diotime consiste à attribuer à Éros le statut d’un démon intermédiaire entre le divin et l’humain, ce qui suppose une absence de rapport direct entre les dieux et les hommes ; de même Éros est l’amour du bon dont il est dépourvu, de même le philosophe désire acquérir le savoir qu’il n’a pas ; Éros est ainsi une allégorie de Socrate. Aphrodite représentant l’âme, Eros, son fils, est celui qui l’aide à se diriger vers le bien. Chez Jamblique étudié par Michèle Broze et Carine Van Liefferinge, le démon personnel est attribué à un individu par un « Maître de maison » lui-même déterminé par la planète qui domine le signe du zodiaque moment de la naissance. Ainsi de suite s’établit une chaine hiérarchique de démons, anges, archanges dont chaque élément est un guide pour l’individu dans son ascension théurgique. Quant aux divinités familières à Rome, elles sont abordées par Emilia NDiaye et Bernard Villain à partir du lar, considéré comme l’esprit des prédécesseurs, lien entre le passé, le présent et le futur, Ce lar, esprit maître des lieux, se caractérise par la protection des êtres humains en tant qu’habitants ou usagers de son domaine.

Philippe Faure, s’appuyant sur des exemples pittoresques, nous entraine alors à travers l’Occident médiéval lui aussi empli d’anges et de démons : c’est Saint-Martin tombant dans les escaliers ou Sainte-Geneviève rallumant les cierges…Mais une bipolarité n’est-elle pas nécessaire car sans démon, pas d’épreuve, et sans épreuve comment devenir saint ? Pierre Lory nous fait découvrir la cosmologie musulmane traditionnelle : un univers est peuplé d’anges, de djinns et d’hommes. Les djinns sont des êtres terrestres, de différentes confessions, qui sont confrontés comme les humains au choix de l’obéissance ou de la transgression, mais qui, à la différence de ces derniers peuvent se déplacer très vite, voler, être invisible, se transformer en animal…
Comment la société musulmane considère les mariages mixtes entre djinns et humains ?Anges gardiens et démons familiers dans les manuscrits enluminés de l’Orient médiéval sont évoqués par Anna Caiozzo à partir des représentations du roi Salomon. Au XIIIe siècle, celui-ci apparait encadré d’anges de la lumière, de djinns issus de la fournaise pour assister les anges, d’hommes nés de l’argile terrestre.

L’ange gardien

L’ange est le gardien du roi ; il sert aussi encadrer l’action des djinns, représentés comme des êtres hybrides mi-homme mi-bêtes, anciennes divinités des lieux appréhendés comme des esprits malins. Peu à peu ces djinns sont remplacés par des êtres semblables à des divs, créatures issues de la religion mazdéenne, envoyées par Ahriman (le mal). On y retrouve les démons qui apportent les cauchemars ou la fièvre, celle qui fait mourir les bébés issus de la mythologie mésopotamienne…Jean-Patrice Boudet, quant à lui nous explique les différentes façons (magie astrale, nécro-nigromancie) de se procurer un esprit familier doué d’un pouvoir divinatoire qui obéira à tous nos ordres ! On peut même choisir son apparence ! Et bien des Grands de ce monde sont soupçonnés d’y faire appel, preuve en est l’acte d’accusation contre le Pape Boniface VIII ou l’affaire des Templiers….A partir de l’œuvre de Pelagius de Majorque (XVè s), ermite et invocateur d’esprit, Julien Véronèse nous montre comment la protection de chaque individu s’ordonne selon un schéma précis : un ange dominant (celui qui est attribué au moment de la naissance) et des aides. Pour connaitre l’identité de son ange et le moment le plus propice à ses manifestations, mieux vaut connaitre les étoiles ! Quel sont les rites à accomplir ? Comment entrer en contact avec ces esprits ? Comment comprendre les comprendre grâce aux « caractères à lunettes » ? Mais si l’on peut susciter la sympathie des anges, nul ne peut les contraindre, il ne faudrait pas l’oublier !

Armando Maggi étudie les esprits familiers de la Renaissance reflètant les peurs et les désirs de chaque individu, enfouis au sein du subconscient. Grâce à Christian Renoux nous suivons pas à pas l’affaire Christoph Haizmann, jeune peintre bavarois du XVIIè siècle pris de convulsion en pleine messe, après avoir signé deux pactes avec le diable (l’un avec son sang, l’autre tout simplement à l’encre), qui bien que les ayant récupérés l’un après l’autre, continue à avoir, malgré deux exorcismes, des visions. Le manuscrit relatant son histoire s’est transmis de génération en génération jusqu’à Sigmund Freud et bien plus tard encore jusqu’à quelques réalisateurs de films d’épouvante ! Ulrike Krampl explore quant à elle les archives de la police à la recherche des anges gardiens et des âmes du purgatoire qui errent dans les rues de Paris au début du XVIIIè s.

Et la Mésopotamie ? berceau incontestable

Réalité ou supercherie ? Ces dernières sont abordées par Jean-Marc Mandosio à partir des activités ésotériques de Casanova : comment celui-ci imaginant oracle du nom de Paralis (contraction entre Paracelse et Gabalis – nom d’un roman parodiant la cabale-) sensé lui révéler l’avenir en langage d’ange (calcul numérique) se fait élever au rang de mage cabaliste par son protecteur vénitien qui voit en lui la possibilité de trouver la pierre philosophale, secret des Rose-croix…

L’époque contemporaine n’est pas oubliée Marco Passsi nous fait découvrir les méandres du spiritisme (psychométrie, kardécisme…) et de l’occultisme. S’adaptant au contexte séculier du XXè s, l’ange gardien est assimilé en un soi supérieur enfoui au plus profond de chacun et qu’il suffit de savoir découvrir et atteindre. Isabelle Saint Martin reprenant le titre de l’ouvrage, s’intéresse à la permanence de l’imaginaire visuel de ce thème : les ailes, la jeunesse, les habits du guide moral intercesseur. L’ouvrage se termine par l’analyse de Luc Révillon de Tintin au Tibet au regard de la vie d’Hergé : « cœur pur ou démon de midi »?

On regrette un peu qu’aucun article n’ait été consacré à la Mésopotamie, berceau de l’astrologie mais aussi des religions orientales y compris monothéistes. On y aurait trouvé des karibû (génies bénisseurs, ancêtres des chérubins), des lamassû (gardien des seuils, énormes taureaux ailés à tête humaine surmontée de la tiare à cornes, symbole de divinité), et bien d’autres encore repris dans les bestiaires chrétien et musulman. Les effluves agréables et subtiles du divin y trouvent leur racines jusqu’à l’exégèse de l’âme dont le mythe de la descente d’Ištar aux Enfers dans sa version néo-assyrienne est le prélude…ou aux origines de Saint Michel ou encore aux prémices du combat de Saint Georges contre le dragon… Ces clés de compréhension auraient facilité la lecture de la partie consacrée à l’Antiquité et donné un fil conducteur à l’ensemble de l’ouvrage.
Reste que voilà un bien agréable voyage, d’époque en époque, au pays des anges et des démons familiers où chacun trouvera de quoi se satisfaire….. Alors pourquoi ne pas se laisser tenter ?

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