L’ouvrage de Michelle Zancarini-Fournel se veut être un essai en quatre chapitres « qui entend faire la part de l’histoire des sorciers et des sorcières, et celle de la construction des mythes, jusqu’aux plus contemporains ».
Michelle Zancarini-Fournel, née en 1947 à Saint-Étienne, est spécialiste d’histoire sociale, d’histoire des femmes et du genre, ainsi que de Mai-Juin 68. Elle a notamment publié Les Luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France, de 1685 à nos jours (Zones) et, avec Bibia Pavard et Florence Rochefort, Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours (La Découverte). C’est avec une certaine logique qu’elle nous propose depuis le mois d’octobre 2024 un très bel essai Sorcières et sorciers histoire et mythes – Lettres aux jeunes féministes.
Pourtant, comme Michelle Zancarini-Fournel le reconnaît dans l’avant-propos, cette publication n’avait rien d’évident pour elle, et doit son origine à l’exposition conçue avec l’historienne Fanny Gallot autour d’un « parcours de sorcières en bibliothèques », accompagnée d’un cycle de conférences et qui, pour l’occasion ont mis en valeur les ressources de trois bibliothèques lyonnaises.
De Hans Fründ …
Dans le premier chapitre intitulé « sorciers et sorcières dans l’histoire », l’autrice revient sur les persécutions basées sur les superstitions et des peurs collectives suscitées par les sorciers à partir du XVe siècle. Sans remonter aux Vaudois, les documents les plus anciens faisant mention de la sorcellerie sont rédigés par Hans Fründ qui chronique les activités de sorcellerie en 1428 dans le Valais en Suisse. Le manuel de Bernard Gui, le Practica Inquisitionis heretice praviatis est rédigé en 1324 et désigne explicitement les sorciers comme cibles de l’Inquisition aux côtés des devins et autres invocateurs de démons. Très rapidement au début du XVème siècle l’amalgame se fait entre juifs et sorciers à l’occasion de la bulle papale de 1409, la papauté en faisant l’un de ses sujets de préoccupation aux XVème siècle.
Dénonciations, procès en sorcellerie (la moitié de l’Europe aurait été concernée par des affaires de sorcellerie selon Lucien Febvre), tortures et exécutions comme celle de Michée Chauderon en 1652, sont rappelés dans leur contexte historique, angoissant, comme celui de l’épidémie de peste de 1348 qui décime l’Europe mais aussi celui de la volonté de l’Eglise d’évangéliser les campagnes et de lutter contre les croyances populaires. Toute une littérature au vocabulaire spécifique se développe comme en attestent les ouvrages de Jean Nider ou encore d’une autre référence de son époque, Jean Bodin qui publie en 1580 le Traité de la démonomanie des sorciers. Au final, selon les historiens, la chasse aux sorcières aurait fait entre 40 000 et 70 000 victimes de 1450 à 1750, un nombre déjà majeur en lui-même mais éloigné du million avancé parfois de manière fantaisiste par certaines militantes féministes actuelles.
… à Michelet …
Le deuxième chapitre « la construction des mythes, le XIXe siècle, un tournant » montre comment ce siècle, fasciné par le Moyen-Age, s’empare de la figure de la sorcière. Les nombreuses œuvres publiées par les auteurs en témoignent comme Victor Hugo, avec par exemple le personnage d’Esmeralda, mais aussi et surtout Michelet dont la publication de la Sorcière en 1862 a fait date, tandis que les Communardes en 1870 font figure de « sorcières politiques » par excellence. De là, la sorcière passe de la possédée à la malade mentale, l’hystérique « mal baisée » par définition, ce que les travaux de Charcot et les aliénistes de la Salpétrière entretiendront durant longtemps.
En dépôt de la modernité, la sorcellerie reste présente au XXme siècle dans les campagnes et les territoires d’Outre-mer, dans les Antilles avec le quimbois par exemple. Pour sa démonstration, Michelle Zancarini-Fournel s’appuie sur les travaux de Jeanne Favret-Saada chercheuse au CNRS. Entrepris à la fin des années 60, ils aboutissent à la publication de son enquête ethnologique en 1977 Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage.
Le chapitre 3, qui débute par une citation d’Anne Sylvestre très pertinente, met en avant le moment « mai 68 » et aux « mythes et histoire transnationale », dans un contexte d’échanges internationaux entre mouvements féministes, essentiellement socialistes. Les références sont nombreuses, de l’allemande Clara Zetkin à l’américaine Betty Friedan, auteure de The Feminine Mystique en 1963, ce dernier texte ayant fait l’objet de nombreuses traductions dans les années 60. Cette décennie voit la figure de la sorcière revenir dans la culture au sens large. La culture pop s’en empare aussi à travers le cinéma et la TV comme en témoigne le succès de la série multirediffusée Bewitched (« ma sorcière bien-aimée » en français). Mais ce sont les mouvements féministes qui, en tête s’approprient la figure de la sorcière comme en atteste la parution de la revue Sorcières, et l’existence du mouvement WITCH, mouvement féministe radical new-yorkais qui n’hésite pas à faire d’Halloween leur journée de manifestation par excellence. Entre lâchers de souris blanches, dénonciation de la domination masculine et redéfinition des sorcières des siècles passés, leurs revendications portent alors sur les thèmes sociétaux du moment avec en tête le droit à l’avortement.
… aux trois soeurs Halliwell
Le dernier chapitre s’intéresse à la situation contemporaine et débute avec la figure des manifestantes du Witch Bloc Paname, collectif d’une vingtaine de féministes qui se font remarquer lors du défilé du 12 septembre 2017 avec leur tenue caricaturale et leurs slogans (« Macron au chaudron », ACAB …).
La sorcière des années 2010-2020 se confond désormais avec les luttes féministes contre le patriarcat, se fait remarquer dans l’espace public mais aussi fait vendre comme en attestent le succès de la Servante écarlate mais aussi de films populaires comme Harry Potter, les séries TV Sabrina, Charmed et Buffy contre les vampires qui, de leur côté font muter l’image globale de la sorcière : de méchante, laide et démoniaque, la sorcière des années 2000 est devenue gentille, protectrice des plus faibles, mais aussi une féministe engagée. La littérature n’est pas en reste avec le succès du roman Moi Tituba, sorcière … noire de Salem de Maryse Condé. Ce retour se traduit aussi par le succès du mouvement néopaïen wicca (pourtant fondé dans les années 50 par le britannique Gerald Gardner) et sa version féminine le dianisme, créé dans les années 70 aux Etats-Unis. L’imaginaire sorcier se réinvente : le sortilège devient prière, Salem est réinventé …
Des sorcières toujours stigmatisées
Le chapitre se termine par une autre réalité plus tragique dans les pays en voie de développement où les accusations de sorcellerie se multiplie, souvent poussées par les églises prophétiques et pentecôtistes et les camps de sorcières notamment au Ghana et en Zambie.
Devenue une figure de la transgression et de la rébellion par excellence au fil du temps en Occident, la sorcière témoigne aussi actuellement, comme à d’autres époques sous d’autres latitudes, de l’inquiétude et de l’ignorance de certaines sociétés inquiètes devant leurs propres mutations. Une réalité que les féministes actuelles ne devraient pas oublier.
Vidéo
Le jeudi 7 novembre 2024, Michelle Zancarini-Fournel présentait son ouvrage « Sorcières et sorciers, histoire et mythes » à la librairie Libertalia de Montreuil :