Quand commence l’histoire de France ? Comme tant d’autres historiens, les éditeurs et auteurs de la nouvelle Histoire de France des éditions Belin se sont trouvés confrontés à cette épineuse question. Ils ont choisi de la faire débuter avec l’accession au pouvoir de Clovis, marquant le début de l’ascension du regnum Francorum, le royaume des Francs. En réalité, et on ne peut que s’en féliciter, le premier chapitre embrasse toute la Gaule au Ve siècle et la focalisation sur Clovis est réservée au titre. Clovis n’est à l’origine qu’un roi barbare installé en Gaule parmi bien d’autres, en ces temps où l’opposition entre Romains et Germains a perdu toute pertinence puisque le Goth Théodoric II était empreint de culture romaine alors que le « Romain » Aetius défendait plus ses propres intérêts que ceux de Rome. Les peuples barbares avaient une identité extrêmement labile, et ils se formaient et se reformaient selon les circonstances: c’est le le processus d’ethnogénèse. En s’installant dans les territoires romanisés, ils en ont repris sans peine les anciennes structure, comme les évêchés héritiers des cités romaines. Ils les ont transformées et ont ainsi fait naître un nouveau monde, caractérisé par la multiplication des monastères, étroitement associés à une aristocratie issue de la fusion des élites germaniques et romaines, et un commerce actif mais de plus en plus tourné vers les horizons rhénans et septentrionaux. Les recherches récentes ont également mis en avant la continuité entre l’administration romaine et celle des temps mérovingiens, qui recourait massivement à l’écrit – longtemps sur des papyri, aujourd’hui disparus – et pratiquait un latin de bonne qualité. Le très intéressant « atelier de l’historien » consacré aux sources de l’histoire mérovingienne montre ainsi que les éditeurs des vies de saints mérovingiennes, presque toutes transmises par des manuscrits postérieurs, ont à la fin du XIXe et au début du XXe siècles choisi les versions les plus fautives pour établir leur texte car ils partaient du principe que les Mérovingiens ne savaient pas écrire !
Cette époque mérovingienne connaît des bas (la longue guerre civile, conclue par l’atroce exécution de la reine Brunehaut en 613), mais aussi des hauts, comme les règnes de Clotaire II (613-629) et de son fils Dagobert (629-639). Parmi les premiers, le temps des « rois fainéants », incapables d’agir à partir du derniers tiers du VIIe siècle, laissant les maires du palais pippinides, ancêtres des Carolingiens, tout contrôler, fait partie des mythes de l’histoire de France. Or on s’est aperçu que jusqu’au début du VIIIe siècle les Mérovingiens ont réussi à limiter le pouvoir des Pippinides en s’appuyant sur les groupes aristocratiques qui leur étaient hostiles. Leur ascension n’avait donc rien d’inéluctable.
L’époque carolingienne, justement, et son traitement dans la seconde partie, appellent appelle moins de commentaire. Classiques, peut-être trop, des chapitres sont largement consacrés au récit de la prise de pouvoir de Charles Martel, puis de Pépin le Bref, et aux vicissitudes politiques (couronnement impérial de Charlemagne, division entre ses petits-fils…). Ils peinent parfois à faire ressortir les grands enjeux et les évolutions historiographiques récentes, tout en restant de très bonne qualité.
Au final, on peut voir le verre au deux-tiers plein ou au tiers vide. Au tiers vide dans la mesure où l’histoire politique reçoit peut-être une attention excessive, reléguant l’économie à quelques pages. Surtout, cette histoire politique se focalise trop exclusivement sur le cœur du royaume franc, au détriment des terres en marge (Armorique, sud de la France…), qui ont pourtant fait l’objet de nombreux travaux récents. Mais on en retiendra surtout les deux tiers plein au sens où il s’agit d’une synthèse à jour et très solide, qui constituera sans aucun doute longtemps l’ouvrage de référence sur le sujet. La grande qualité des illustrations, des cartes et des textes (en particulier sur la période mérovingienne, pour laquelle les auteurs ont été chercher de nombreux documents peu connus), rendent ce volume aussi agréable que tous ceux de cette belle collection. On soulignera en particulier que les peintures du XIXe siècle font l’objet d’une réelle mise en contexte alors qu’elles ne sont trop souvent utilisées que pour des raisons décoratives. L’atelier de l’historien sur « la postérité des Mérovingiens » mérite de ce point de vue toute l’attention des historiens et historiens d’art.
© Yann Coz