Recension par Gilles Boué

Dans un monde où la notion de guerre semble réservée à quelque contrée exotique et sous développée, il est bon de se rappeler que des espaces proches ont aussi été des territoires disputés et organisés par des questions de défense. C’est tout à l’honneur de Marie France Sardain de nous renvoyer à ces interrogations fondamentales, démontrant que la défense de Paris a été un des éléments structurants de la pensée stratégique française tout au long du 19ème siècle. De l’auteur, on sait peu de choses, sinon que son travail lui a permis d’obtenir le titre de docteur en histoire contemporaine et qu’elle est membre de la CFHM (Commission Française d’Histoire Militaire). L’ouvrage critiqué ici, est le résumé de sa thèse datée de 2001.
L’idée principale de l’auteur est que le débat stratégique français a été dominé au 19ème siècle par la nécessité politique de protéger Paris à tout prix. La prise de Paris en 1814 puis 1815, agissant comme un véritable traumatisme, poussa les gouvernements, et ce quels qu’ils fussent, à développer une politique militaire tournée vers la protection de la capitale. Cette politique illustre à elle seule, l’éternelle discussion entre le bouclier et l’épée, le canon et la cuirasse.
En effet, la problématique de la protection de Paris renvoie aux évolutions induites par la révolution industrielle. L’auteur insiste, et avec bonheur, sur les changements des paradigmes stratégiques provoqués par les évolutions du matériel d’artillerie, des chemins de fer puis à la toute fin de la période étudiée par les nouveaux explosifs chimiques et finalement l’aviation. Le 19ème siècle aura vu Paris subir une conquête suite à une bataille périphérique (1814), une autre conquête en 1815 en faisant de la ville un enjeu plus politique que militaire, un siège en règle en 1870, une bataille de reconquête en 1871 dans le cadre d’une guerre civile, sans compter les quelques journées révolutionnaires qui égrenèrent le siècle. Chacun de ses épisodes influença la pensée stratégique des dirigeants, mais toujours dans l’idée d’éviter une occupation étrangère de la capitale. Les choix opérationnels se résumèrent donc à, soit développer la protection de Paris par les opérations d’armées en campagnes sur les frontières, soit fortifier la ville.

Défendre Paris, à tout prix !

Mais dans ce cas, où le faire, comment et à quel prix ? Me. Sardain est tout à fait à l’aise avec les interminables discussions sur le budget à consacrer aux fortifications, sur les choix techniques et les arguties juridiques sur les « servitudes militaires ». L’auteur nous fait apparaître la complexité de la question et surtout l’absence de réponses claires, des ébauches de réflexion en 1818 aux commissions de 1830 puis de 1840. Aux fondamentaux de la poliorcétique s’additionnent les querelles de personnes et le sort du général Séré de Rivières illustre à merveille les empoignades entre les diverses coteries. Les atermoiements sont à l’origine des échecs de 1870 : discussions interminables et pingrerie des gouvernements successifs, combat des chefs militaires, médiocrité des armements, tout concourait à une issue fatale au siège de Paris. Mais cette défaite peu glorieuse ne fit qu’animer le débat, entre renforcement des lignes de forts autour de Paris ou création d’un camp retranché pour les armées de campagne ou, solution bien française, un peu des deux. En 1914, la question restait en suspens et ce fut grâce aux initiatives locales et/ou de dernières minutes que la capitale put se mettre dans un état de défense suffisant pour infléchir la marche des allemands. Ce livre est aussi essentiel pour comprendre comment s’est organisée la région parisienne, autour de la notion de « zone » et au delà de banlieue.
L’ouvrage est divisé en trois parties de tailles inégales maladroitement titrées (surtout les deux premières parties, mais cela n’est il pas plutôt le choix de l’éditeur ?) : les batailles du premier empire, les batailles du second empire et la nouvelle conception de la stratégie défensive. Le texte principal est complété par un appareil critique bienvenu et complet (liste des abréviations, sources et bibliographie, index des noms de lieux et de personnes, tables des croquis et des matières). On notera surtout la présence d’un excellent glossaire de poliorcétique qui aurait cependant mérité quelques schémas explicatifs qui auraient rendu plus compréhensibles des phrases telles que p.232 : « restaient à prévoir … le dérasement des traverses au niveau des crêtes » (à propos du fort de Chatillon).

Quelques bévues peu stratégiques

Publier une thèse sous une forme plus à même de trouver un public plus large est un art difficile. Économica maîtrise cet exercice et cependant, on ne peut être qu’étonné des nombreuses bévues, absences de relecture et choix éditoriaux. Le fait d’inclure dans le corps du texte la biographie des personnages rencontrés, au lieu de renvoyer à une notre infrapaginale, alourdit étonnamment la lecture et la compréhension du texte. Les croquis (fort intéressants au demeurant) sont pour la plupart sans échelles et ne sont pas annoncés dans le corps du texte. Un renvoi aurait permis une compréhension immédiate des enjeux géographiques. L’auteur a du fournir des croquis en couleur, reproduit dans l’ouvrage en noir et gris, ce qui les rend illisible pour nombre d’entre eux. On regrettera aussi quelques anachronismes, on ne parle pas de QG en 1870 mais d’état major. La relecture pose problème : p.151 « ceux ci (les allemands) retranchés derrière les murs des parcs attaquèrent les forces françaises si violemment que le soir même la retraite fut ordonnée », un minimum de connaissances des opérations tactiques propose le verbe « repoussèrent » au lieu « d’attaquèrent ». Mais il y a plus gênant, p.210 : « les pièces d’artillerie placées sur les plates-formes étaient des canons conçus en 1875-1877 (90,120 et 155mm de long) ! Ce qui en l’espèce amuse le lecteur se retrouve malheureusement un peu tout au long de l’ouvrage, ce qui le dénature et le décrédibilise.
Ne soyons pas trop sévère, et au delà de ce péchés véniels, il est important qu’Économica poursuive son travail de publication de travaux d’histoire militaire.

Gilles Boué © clionautes