Dans la perception que l’hyperpuissance américaine peut avoir des menaces qui pèsent sur elle et sur le monde, le terrorisme islamique est sans doute l’élément le plus voyant. Pourtant, l’appétit de puissance de l’Empire du milieu, ses ambitions maritimes, son agressivité commerciale suscitent chez les auteurs étasuniens, de multiples travaux de prospective géostratégique.
Ces analyses se retrouvent également chez les auteurs de thrillers technologiques comme Tom Clancy qui font leur choux gras, avec un certain talent d’ailleurs de ce nouveau péril jaune.
L’ouvrage de ce spécialiste de la question, docteur en sciences politiques et en géopolitique est particulièrement utile et stimulant. Dans un volume très accessible il dresse un état des lieux de ces tensions et frictions particulièrement efficace.
Trois parties composent cet ouvrage, enrichi de graphiques :
Un pays trop grand pour un monde trop petit
L’appétit d’un géant
De l’Empire du mal à l’Empire du milieu
La première partie traite de la perception de la menace chinoise, en tant que puissance commerciale mais aussi politique et militaire. Ce pays qui n’a jamais hésité à fournir à quelques États voyous et autres des composants d’armes de destruction massive a entrepris un effort considérable de modernisation et de rationalisation de son appareil militaire. Achat de matériels ex-soviétique de bonne qualité comme les sous-marins diesel électrique de la classe kilo, acquisition de matériel occidental via Israël, mais aussi fabrication locale de matériel militaire de pointe sont les signes tangibles de cet effort entrepris dès l’accession au pouvoir de Deng Xiao Ping.
L’agressivité commerciale de la Chine, le peu de cas que ses entreprises font des règles instaurées par l’OMC à laquelle le pays a adhéré en 2001, suscitent des récriminations de plus en plus fortes aux Etats-Unis. Celles-ci rappellent la période des années 1980 avec la montée en puissance du Japon suscitant une certaine nippophobie.
Au niveau politique, l’activisme diplomatique de la Chine est évident dans les différents pays proches, associant présence militaire, octroi de prêts et d’investissements, traités d’amitié et contrats commerciaux. La Chine ne met aucune condition morale à ces avantages accordés à des pays du tiers monde, et surtout pas sur le respect des droits de l’homme.
La Chine revient en Afrique, un continent qu’elle avait déjà essayé de pénétrer à l’époque des guérillas anti-marxistes des années soixante dix. À ce moment là, les chinois et les étasuniens soutenaient des mouvements anti-gouvernementaux contre les pouvoirs prosoviétiques installés en Angola, en Ethiopie et au Mozambique. L’échec de cette politique a éloigné la Chine pendant un temps du continent noir ; elle y revient maintenant, au Soudan, comme au Nigeria, au Gabon comme au Congo, dans des pays où les réserves de pétrole ne sont pas négligeables.
L’appétit d’un géant qui constitue la seconde partie de l’ouvrage évoque dans un premier chapitre la double vulnérabilité énergétique et maritime de la Chine. C’est ce constat que les autorités de Pékin auraient fait depuis les années de la rupture sino-soviétique alors que la Chine en consommait 2.8 millions de tonnes, pour 308 aujourd’hui.
Pour la vulnérabilité maritime, le pays est sous la menace de la VIIe flotte américaine qui croise dans le détroit de Taiwan. Mais ce n’est pas le seul facteur. Comme pour le Japon, les approvisionnements énergétiques transitent dans une série de détroits plus ou moins stables politiquement. On pense à l’Indonésie et au détroit de Lahore soumis à la piraterie moderne.
Cela explique la sollicitude dont le régime des généraux birmans bénéficie, malgré les effets destructeurs dans la partie Sud de la Chine des exportations clandestines d’opium venues du Myanmar. L’activisme diplomatique de la Chine touche également l’Asie Centrale, une zone où le pays est loin d’être vulnérable au contraire. Depuis les indépendances des ex-républiques soviétiques les autorités de Pékin ont multiplié les rencontres, y compris avec la création de l’organisation de coopération de Shanghai…
Créée le 14 juin 2001, elle est devenue un instrument de la politique étrangère de Pékin et maintient les liens avec la Russie. Depuis 2005 des pays comme l’Iran et le Pakistan en font partie.
Mais ce qui est remarquable, c’est la diplomatie des tuyaux, une politique de signature de contrats d’approvisionnements pétroliers et gaziers… entreprise avec le Kazakhstan notamment. L’enjeu est de relier les gisements de l’Ouest Chinois, du Xin Jiang, à ceux du Kazakhstan afin d’approvisionner Shanghai.
La troisième partie, « de l’empire du mal à l’empire du milieu », traite des tensions entre les Etats-Unis et la Chine. Face à l’activisme diplomatique et militaire de la Chine, Washington semble mettre en œuvre une politique de containment comme au temps de la guerre froide.
A la présence traditionnelle dans la mer de Chine, les Etats-Unis ajoutent la mise en place de bases aériennes dans des pays d’Asie centrale ce qui contrarie les Russes mais est tout de même clairement destiné à mener d’éventuelles missions d’observation en Chine. De ce fait l’auteur peut parler d’un Kriegspiel, (d’un jeu de guerre) en Asie centrale, mettant aux prises les Etats-Unis, héritiers du Royaume Uni, la Russie, et ce nouveau venu, la Chine, l’Empire du milieu, qui supplante l’Empire du mal.
Face à cette nouvelle menace les Etats-Unis envisagent aussi des rapprochements surprenants, y compris avec la Mongolie qui reçoit désormais une aide directe de 140 millions de dollars.
Le dispositif du GUUAM, réunissant dans une sorte de traité d’alliance, les Etats-Unis, la Géorgie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, la Moldavie, et l’Azerbaïdjan, est une création de Washington, visant à réaliser une sorte de nouveau containment contre la Russie, mais aussi contre la Chine. De ce fait, le rapprochement de Pékin et de Moscou a pris la forme de manœuvres navales communes, un geste politique fort au Nord de la mer de Chine, loi de la VIIe flotte de la Navy.
Très accessible, récent et bien documenté cet ouvrage mérite indéniablement d’être lu par des professeurs du secondaire traitant de l’Asie Orientale en classe de terminale. Ils pourront se familiariser aux principaux concepts de la géopolitique, très bien illustrés dans cet ouvrage et surtout donner à leurs élèves des éléments de réflexions très précis.
On regrettera simplement l’absence de quelques cartes pour situer certaines zones de tensions, mais elles sont assez faciles à trouver par ailleurs.
Au passage on notera la pertinence de certaines informations diffusées sur la liste H Français sur l’enseignement de la langue française dans les cursus scientifiques en Chine. Cela correspond à une volonté de l’Empire du Milieu de proposer un modèle alternatif dans l’Afrique francophone, un pré carré que les ambitions énergétiques d’outre atlantique auraient parfois tendance, depuis la crise ivoirienne à vouloir grignoter.
© Clionautes
La lecture de cet ouvrage s’inscrit dans mes travaux pour le séminaire de Questions Internationales que je dirige dans le cadre de la prépa ENA de Lille. Je pourrais le cas échéant donner quelques éléments supplémentaires à des publics intéressés sur les questions de géopolitique de l’Asie Centrale et sud Orientale. modica.bruno@wanadoo.fr