compte rendu par Cyril Froidure
Rejetée ailleurs, la barbarie fut longtemps revendiquée en territoire allemand à travers l’exaltation du guerrier germain. Lionel Richard, professeur des universités en littérature comparée et auteur d’articles pour des périodiques tels que Le Monde diplomatique, a pour ambition montrer de quelle façon les nazis reprirent à leur compte cette barbarie en l’associant à leurs théories racistes dans le but de purifier la race par une violence extrême. Les Allemands furent appelés à retrouver la pureté de la race germanique en faisant, comme ces « ancêtres », preuve de cruauté afin de lutter contre le Juif, l’Etranger.
Les juifs subirent en territoire allemand ségrégation, extermination entrecoupées de périodes d’accalmie jusqu’à la période révolutionnaire qui vit le premier texte instituant l’émancipation des juifs : la constitution de Westphalie. La période de l’unification vit l’instauration de droits pour tous y compris pour les juifs, le développement d’un sentiment national sans fondement antisémite.. Toutefois les discriminations, un antisémitisme latent subsistèrent au XIXème et au début du XXème siècle même si les partis antisémites ne représentèrent jamais plus de 5% des voix.
Qui étaient ces Juifs ?En 1933, ils étaient environ 500 000, des urbains aux ¾, de professions variées mais avec une forte représentation dans les professions libérales, n’ayant pas de conscience de race ou de groupe les amenant à se rassembler. Le « danger »juif fut donc surévalué par les nazis, qui, arrivés au pouvoir à la suite d’une crise multiforme, mirent en avant la responsabilité des juifs qu’il fallait éliminer afin d’opérer le redressement du pays. Cette élimination prit rapidement un tour institutionnel : radiation des fonctionnaires non-aryens, service chargé de vérifier l’aryanité des citoyens, lois sur la citoyenneté et la protection du sang et de l’honneur allemand, mise sous contrôle de la culture juive.
Leur émigration mais aussi leur élimination physique étaient déjà dans les esprits de hauts dignitaires qui, quotidiennement, appelèrent par leurs écrits, leurs discours au meurtre, envisagé comme une solution possible au problème juif : ainsi, Gottfried Feder, un des idéologues du parti la concevait car les Juifs étaient des criminels, des parasites dont il fallait se débarrasser. L’extermination n’est donc pas déterminée par la guerre mais les nazis, et Hitler au premier chef, ne croyaient pas possible une régénération de l’Allemagne sans une guerre qui rendrait possible la résolution de la question juive. L’auteur rappelle étapes et acteurs de cette extermination mise en route dès 1941.
L’un des points les plus intéressants du livre réside dans l’étude du comportement des églises face à la politique des nazis. Les églises protestantes et catholiques ne s’opposèrent pas au nouveau régime sur le fond et ne défendirent pas les groupes opprimés. Elles voulurent avant tout défendre leur situation ; parmi les protestants, l’église confessante, dont faisait partie Martin Niemoller, s’éleva contre l’association entre politique et théologie que prônaient les Chrétiens Allemands nazis mais ne fit rien qui pouvait déplaire au régime. Côté catholique, aucune protestation non plus mais la signature d’un concordat assorti d’un serment de fidélité.
L’absence de réactions des églises face à l’antisémitisme nazi s’expliquerait par un antijudaïsme lié au sort du Christ mais aussi à la volonté de se défendre contre le bolchevisme qu’il retrouvait dans les attaques nazies contre le judéobolchevisme.
Pour les deux, il y eut la volonté de ne pas laisser se développer une nouvelle religion, basée sur la pureté du sang et le renouveau germano-nordique qu’appelaient de leurs vœux Rosenberg et Himmler. Cette « religion » eut toutefois peu de partisans alors qu’en même temps le christianisme resta ancré dans la population allemande.
En aucun cas, d’après l’auteur, les églises en firent mine de résister au régime nazi et prétendre le contraire relève pour Lionel Richard de la naïveté ou de la malhonnêteté intellectuelle
Une réaction des églises peut être néanmoins être signalée : l’euthanasie des malades, des handicapés provoqua une protestation assez vive pour que les nazis se sentent obligés de ralentir leur programme même si des éliminations eurent lieu jusqu’en 1945. Quant au Saint Siège, la condamnation du nazisme attribuée, après-guerre, à l’encyclique « en une ardente inquiétude » n’est plus acceptée d’un texte qui cherchait plutôt à défendre l’église catholique contre la création d’une église nationale.
Au terme de son développement, l’auteur conclut sur la postérité du nazisme en général, du racisme et de l’extermination en particulier. Dans Dire et ne pas dire Auschwitz, il s’interroge sur l’écriture de l’extermination : pour un devoir de fidélité et contre une littérature comme le souhaite E.Wiesel, pour une littérature afin de sauver la mémoire de la barbarie.Lionel Richard prend dans son ouvrage un ton très polémique et n’hésite pas à critiquer très fermement nombre d’historiens reconnus pour leurs travaux sur la période en s’appuyant sur des documents d’époque : des discours de dirigeants nazis, des extraits du journal nazi le Völkischer Beobachter. Il met en cause les conclusions de Ian Kershaw sur la rédaction des lois de Nuremberg pour qui elle furent rédigées dans l’urgence. Richard, s’appuyant sur des travaux d’historiens allemands (Reinhard Rurüp et Arnold Pauker), soutient qu’elles étaient en préparation dès 1934-5 et reproche à Kershaw de vouloir disculper la population allemande des années 1930 en prétendant que la politique antisémite nazie n’obéissait pas à un programme défini et connu de la population.
Lorsqu’il développe la position des églises, L.Richard reproche à F.Bédarida sa légèreté dans « l’Allemagne de Hitler, 1933-1945 » lorsqu’il soutient que les églises effectuèrent un travail de sape contre le régime et cite, pour alimenter sa critique G.Badia (« Ces Allemands qui ont affronté Hitler ») : « même lorsque furent connues des déportations massives des juifs, la hiérarchie catholique ne protesta pas publiquement. »
A la fin d’un livre qui bouscule certaines présentations du IIIème Reich, l’auteur prend fait et cause pour une législation (loi de 1972, amendement Gayssot 1990) qui, bien que critiquée par des historiens de renom (Nora, Rioux), a pour avantage de poser des limites, de ne pas conforter les mauvaises intentions.Copyright Clionautes.
Qui étaient ces Juifs ?En 1933, ils étaient environ 500 000, des urbains aux ¾, de professions variées mais avec une forte représentation dans les professions libérales, n’ayant pas de conscience de race ou de groupe les amenant à se rassembler. Le « danger »juif fut donc surévalué par les nazis, qui, arrivés au pouvoir à la suite d’une crise multiforme, mirent en avant la responsabilité des juifs qu’il fallait éliminer afin d’opérer le redressement du pays. Cette élimination prit rapidement un tour institutionnel : radiation des fonctionnaires non-aryens, service chargé de vérifier l’aryanité des citoyens, lois sur la citoyenneté et la protection du sang et de l’honneur allemand, mise sous contrôle de la culture juive.
Leur émigration mais aussi leur élimination physique étaient déjà dans les esprits de hauts dignitaires qui, quotidiennement, appelèrent par leurs écrits, leurs discours au meurtre, envisagé comme une solution possible au problème juif : ainsi, Gottfried Feder, un des idéologues du parti la concevait car les Juifs étaient des criminels, des parasites dont il fallait se débarrasser. L’extermination n’est donc pas déterminée par la guerre mais les nazis, et Hitler au premier chef, ne croyaient pas possible une régénération de l’Allemagne sans une guerre qui rendrait possible la résolution de la question juive. L’auteur rappelle étapes et acteurs de cette extermination mise en route dès 1941.
L’un des points les plus intéressants du livre réside dans l’étude du comportement des églises face à la politique des nazis. Les églises protestantes et catholiques ne s’opposèrent pas au nouveau régime sur le fond et ne défendirent pas les groupes opprimés. Elles voulurent avant tout défendre leur situation ; parmi les protestants, l’église confessante, dont faisait partie Martin Niemoller, s’éleva contre l’association entre politique et théologie que prônaient les Chrétiens Allemands nazis mais ne fit rien qui pouvait déplaire au régime. Côté catholique, aucune protestation non plus mais la signature d’un concordat assorti d’un serment de fidélité.
L’absence de réactions des églises face à l’antisémitisme nazi s’expliquerait par un antijudaïsme lié au sort du Christ mais aussi à la volonté de se défendre contre le bolchevisme qu’il retrouvait dans les attaques nazies contre le judéobolchevisme.
Pour les deux, il y eut la volonté de ne pas laisser se développer une nouvelle religion, basée sur la pureté du sang et le renouveau germano-nordique qu’appelaient de leurs vœux Rosenberg et Himmler. Cette « religion » eut toutefois peu de partisans alors qu’en même temps le christianisme resta ancré dans la population allemande.
En aucun cas, d’après l’auteur, les églises en firent mine de résister au régime nazi et prétendre le contraire relève pour Lionel Richard de la naïveté ou de la malhonnêteté intellectuelle
Une réaction des églises peut être néanmoins être signalée : l’euthanasie des malades, des handicapés provoqua une protestation assez vive pour que les nazis se sentent obligés de ralentir leur programme même si des éliminations eurent lieu jusqu’en 1945. Quant au Saint Siège, la condamnation du nazisme attribuée, après-guerre, à l’encyclique « en une ardente inquiétude » n’est plus acceptée d’un texte qui cherchait plutôt à défendre l’église catholique contre la création d’une église nationale.
Au terme de son développement, l’auteur conclut sur la postérité du nazisme en général, du racisme et de l’extermination en particulier. Dans Dire et ne pas dire Auschwitz, il s’interroge sur l’écriture de l’extermination : pour un devoir de fidélité et contre une littérature comme le souhaite E.Wiesel, pour une littérature afin de sauver la mémoire de la barbarie.Lionel Richard prend dans son ouvrage un ton très polémique et n’hésite pas à critiquer très fermement nombre d’historiens reconnus pour leurs travaux sur la période en s’appuyant sur des documents d’époque : des discours de dirigeants nazis, des extraits du journal nazi le Völkischer Beobachter. Il met en cause les conclusions de Ian Kershaw sur la rédaction des lois de Nuremberg pour qui elle furent rédigées dans l’urgence. Richard, s’appuyant sur des travaux d’historiens allemands (Reinhard Rurüp et Arnold Pauker), soutient qu’elles étaient en préparation dès 1934-5 et reproche à Kershaw de vouloir disculper la population allemande des années 1930 en prétendant que la politique antisémite nazie n’obéissait pas à un programme défini et connu de la population.
Lorsqu’il développe la position des églises, L.Richard reproche à F.Bédarida sa légèreté dans « l’Allemagne de Hitler, 1933-1945 » lorsqu’il soutient que les églises effectuèrent un travail de sape contre le régime et cite, pour alimenter sa critique G.Badia (« Ces Allemands qui ont affronté Hitler ») : « même lorsque furent connues des déportations massives des juifs, la hiérarchie catholique ne protesta pas publiquement. »
A la fin d’un livre qui bouscule certaines présentations du IIIème Reich, l’auteur prend fait et cause pour une législation (loi de 1972, amendement Gayssot 1990) qui, bien que critiquée par des historiens de renom (Nora, Rioux), a pour avantage de poser des limites, de ne pas conforter les mauvaises intentions.Copyright Clionautes.