Les confinements décidés lors de la crise de la Covid-19 ont soulevé des inquiétudes concernant la sécurité alimentaire dans les pays en développement mais aussi dans les pays développés et concernant la solidité du modèle alimentaire dominant basé sur la mise en réseau des territoires et des acteurs. La crise sanitaire a eu pour conséquence de nous rappeler la place centrale de l’alimentation dans nos sociétés et les enjeux qui se jouent autour de celle-ci.  

Or, jusqu’à la publication de Sweetness and Power par Sidney Mintz en 1985, ce champ de recherche a été ignoré par les spécialistes de géopolitique. Aujourd’hui, leur intérêt est croissant mais il porte surtout sur la dimension agricole (la fourche) en négligeant le rôle de la consommation (la fourchette). Dans ce livre, Pierre Raffard ambitionne justement de proposer “une géopolitique de la planète alimentaire en replaçant la consommation à [une] place centrale” et en montrant qu’elle “est soumise à des dynamiques et des enjeux politiques qui lui sont propres”. 

Pierre Raffard est docteur en géographie de l’Université Paris-Sorbonne et enseignant-chercheur à l’ILERI et à l’ESCD 3A-Paris. Depuis 2017, il est co-directeur du Food 2.0 LAB-Paris et il est l’auteur en 2018 d’un Atlas de l’alimentation. Ses recherches portent sur la dimension géopolitique de l’alimentation et sur l’analyse des comportements alimentaires et de leurs évolutions contemporaines. 

Le système alimentaire : état des lieux  

Pierre Raffard commence par rappeler que le scandale des lasagnes de cheval en 2013 avait révélé au grand public la complexité des itinéraires suivis par nos aliments. En effet, il est aujourd’hui difficile de s’y repérer à cause de la multiplication et de la mise en réseau des territoires de production ainsi que de la démultiplication du nombre d’acteurs concernés. Ces difficultés peuvent paraître surprenantes à l’heure du numérique mais le trop-plein d’informations les rende difficiles à absorber mais surtout à hiérarchiser. Ce qui aboutit à une perte de repère du consommateur au sein du système alimentaire dans lequel il évolue.  

L’auteur s’intéresse ensuite aux systèmes alimentaires dans le sens défini par Jean-Louis Rastoin et Gérard Ghersi, à savoir “des réseaux interdépendants d’acteurs, localisés dans un espace géographique donné, et participant directement ou indirectement à la création de flux de biens et de services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un ou plusieurs groupes de consommateurs localement ou à l’extérieur de la zone considérée”. Pour caractériser un système alimentaire, le projet Food System Dashboard propose d’étudier quatre données : 

  • Les chaînes d’approvisionnement rassemblant l’ensemble des étapes par lesquelles passent un produit alimentaire de son lieu de production jusqu’à son lieu de consommation 
  • L’environnement alimentaire comprenant l’ensemble des lieux (réels comme symboliques) où les humains se procurent ou s’informent sur leur nourriture 
  • L’ensemble des facteurs individuels (socio-démographique, économique, culturel, systèmes de valeurs…) participant à la construction des consommations alimentaires.  
  • Les comportements alimentaires de chacun prenant en compte chaque étape de l’acte alimentaire (accès, stockage, préparation, consommation) 

Ce même projet propose alors une typologie à cinq entrées des différents systèmes alimentaires allant de ceux centrés sur leur environnement immédiat à ceux prenant le monde comme échelle de référence : 

  • Les systèmes ruraux et traditionnels autour de petits paysans ou de petits éleveurs peu ou pas intégrés aux réseaux commerciaux internationaux. Ils servent avant tout à nourrir les paysans et leurs familles et se trouvent dans les régions encore en marge de la mondialisation 
  • Les systèmes informels et en expansion sont un peu plus intégrés aux chaînes d’approvisionnement aussi bien en amont qu’en aval, à l’exception des produits frais. Mais, le recours à des commerces “informels” y reste majoritaire. 
  • Les systèmes émergents et en voie de diversification eux sont clairement intégrés à des circuits alimentaires globaux. On y consomme plus systématiquement des produits importés et/ou transformés qu’on achète de plus en plus dans des supermarchés. 
  • Les systèmes en voie de modernisation et d’officialisation sont caractérisés par une forte productivité agricole et une infrastructure logistique rationalisée permettant une diversification des régimes alimentaires. L’industrie agroalimentaire et la restauration y occupent une place importante. 
  • Les systèmes industrialisés et consolidés ont le monde comme échelle de référence. Ils sont caractérisés par une forte concentration des outils de production et de très forts rendements agricoles. On y assure une qualité sanitaire à la grande majorité des productions. L’alimentation y est de plus en plus un plaisir, voire un moyen d’expression. 

Cependant, l’auteur observe que cette typologie n’est pas fixe et qu’elle évolue dans le temps et dans l’espace. Ainsi, aujourd’hui, dans une même région du monde, peuvent cohabiter plusieurs systèmes alimentaires différents. 

Les systèmes alimentaires les plus mondialisés reposent en grande partie sur l’industrie agroalimentaire, comptant comme un des secteurs les plus importants de l’économie. Dans ce secteur, à côté des nombreuses des TPE et PME, on note une extrême concentration entre les mains d’un nombre réduite de firmes mondialisées comme Bayer, Nestlé ou Unilever. Cette extrême concentration est bien sûr liée à la globalisation des marchés agroalimentaires et à la recherche de compétitivité. Mais, elle est aussi la conséquence de l’imposition de normes et de réglementations de plus en plus contraignantes et coûteuses ainsi que de l’influence grandissante des fonds spéculatifs dans ce secteur. Toutefois, cette concentration n’empêche pas l’émergence de nouvelles logiques géographiques avec, à côté des territoires historiques (Etats-Unis, Suisse, France, Japon …), l’émergence de nouvelles polarités : des groupes chinois, brésiliens, indiens ou turcs peuvent désormais peser sur le fonctionnement du secteur agroalimentaire. 

Pierre Raffard conclue sa première partie en s’interrogeant sur les dysfonctionnements du modèle agroalimentaire d’inspiration états-unienne, longtemps présenté comme une référence car permettant à la fois une diversification des régimes alimentaires avec de nouveaux apports nutritionnels et une diminution des risques sanitaires et des phénomènes de sous-nutrition chroniques. Tout d’abord, ce modèle, avec l’amenuisement des ressources et les conséquences négatives engendrées par l’agroalimentaire et la globalisation des circuits de distribution, entre en conflit avec le défi environnemental. Ce défi, corrélé à l’enjeu de réussir à nourrir 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050, oblige à faire évoluer les pratiques de production et de consommation. De plus, ce modèle a abouti à une situation mondiale ambivalente : d’un côté, 820 millions sont toujours dans une situation de sous-nutrition chronique et de l’autre, un nombre croissant de population se retrouvent dans une situation de surnutrition (2 milliards de personnes en surpoids, un nombre de diabétiques doublé en 30 ans…). Longtemps vus comme deux phénomènes distincts, leurs frontières respectives ont tendance à se brouiller tant d’un point de vue géographique (le surpoids touche de plus en plus les pays émergents et en développement) que sociale (le surpoids touche de plus en plus les populations vulnérables économiquement et culturellement). Cependant, malgré le coût sanitaire et économique du surpoids, la mise en place de politique de lutte contre cette pandémie se heurte aux réticences des secteurs agroalimentaire et pharmaceutique. Pour terminer, l’auteur observe que l’industrie agroalimentaire s’adapte aux attentes des consommateurs : hier, ils recherchaient la praticité et le prix bas, aujourd’hui, les mangeurs des pays développés (et de plus en plus des pays émergents) souhaitent la construction de nouveaux modèles alimentaires.  

Food power : la bataille pour le contrôle des bouches et des esprits 

En 1975, les Etats-Unis sont les premiers à théoriser les notions de food power et de food weapon. Mais, les hommes n’ont pas attendu le XXème siècle pour comprendre que le contrôle des ressources alimentaires est un des fondements de la puissance. A l’Antiquité comme au Moyen-Âge ou à l’époque moderne, nombreux furent les sièges gagnés en affamant la population. De même, lors de la Seconde guerre mondiale, le IIIème Reich fait du Hungerplan un enjeu central de sa lutte contre l’URSS. L’arme alimentaire continue à être utilisée dans des conflits contemporains (Kosovo, Yémen, Syrie…). Pierre Raffard rappelle aussi que l’aide alimentaire, depuis le plan Marshall (1949) et le Food for Peace (1954), peut-être un vecteur d’influence. Elle peut même parfois se transformer en arme de guerre comme c’est le cas, par exemple, au Sud-Soudan. 

L’arme alimentaire peut aussi être un outil de pression diplomatique. Elle peut alors prendre la forme d’appel au boycott ou de sanctions économiques officielles (allant de la mise en place de taxes sur des produits jusqu’à la tentative de bloquer partiellement ou totalement l’approvisionnement d’un pays). Plus largement, la ressource agricole se trouve au cœur de la guerre économique contemporaine. Ainsi, dans un contexte d’accroissement démographique, certains acteurs parient sur la raréfaction des terres cultivables, créant un vrai marché des ressources foncières agricoles.  Ce phénomène de land grabbing (l’acquisition de terres agricoles par des Etats ou des sociétés transnationales) ne concerne plus seulement les pays en développement mais aussi les pays riches. 

Ensuite, Pierre Raffard met en avant que de nombreux Etats se sont appuyés sur la cuisine comme ferment identitaire.  Ainsi, en France, les autorités révolutionnaires, pour se distinguer du centralisme de la monarchie, ont glorifié les particularités régionales aussi bien culturelles que gastronomiques. Cet intérêt pour l’objet gastronomique est renforcé au XIXème siècle avec, par exemple, la première carte géographique gastronomique de la France proposée par Charles-Louis Cadet de Gassicourt en 1808. On retrouve aussi ce même lien consubstantiel entre cuisine et construction nationale dans la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk. La cuisine peut aussi se transformer en champ de bataille symbolique ou idéologique comme c’est le cas, par exemple, entre l’Ukraine et la Russie sur la paternité du borscht (soupe de betterave) ou entre Israël et le Liban autour du houmous. Ces “tensions gastro-diplomatique” peuvent parfois aboutir à des actions violentes (comme le démontage du McDonalds de Millau en 1999 par la Confédération paysanne) ou être le vecteur de crispations identitaires (comme la “kebabophobie” dans certains pays européens). 

Enfin, l’auteur rappelle que les relations internationales sont marquées par des repas qui mettent en scène la grandeur d’un Etat. Il revient sur le rôle précurseur de Talleyrand et de ses cuisiniers lors du congrès de Vienne devant décider le devenir de l’ex-Empire napoléonien. Par la suite, d’autres puissances suivront ce modèle. Ainsi, en 1869, lors de l’inauguration du canal de Suez, le khédive égyptien Ismaïl Ier donne un repas de plusieurs heures et composé d’une trentaine de plats et qui marquera les esprits. En effet, au XIXème siècle, pour les pays extra-occidentaux, l’occidentalisation des assiettes devient un moyen d’obtenir la reconnaissance des Européens comme le montre les exemples du Japon de l’ère Meiji ou de l’Empire ottoman. Le recours à la diplomatie culinaire continue aujourd’hui. Certains repas gardent une charge politique et symbolique forte comme ceux entre Nixon et Mao Zedong en 1972 qui se terminent par des duels de toasts alcoolisés. Mais, la France reste un des pays où cuisine et diplomatie entretiennent des liens quasi-charnels : les réceptions deviennent alors une occasion de promouvoir la culture culinaire française.  

L’assiette : une arme de séduction massive 

Tout d’abord, Pierre Raffard note que le soft power a été assez peu abordé par les chercheurs sous le prisme alimentaire. C’est assez surprenant quand on sait que l’alimentation et la cuisine peuvent s’exprimer dans les trois piliers théoriques du soft power (culture, système de représentation et politique étrangère) et que l’inventeur du concept, Joseph Nye, y consacre plusieurs passages dans son ouvrage Soft Power : The Means to Success in World Politics. Finalement, la notion de soft power alimentaire émerge vraiment dans les années 2010. Ainsi, le chercheur australien Christian Reynolds divise le soft power alimentaire en trois niveaux correspondant à des degrés plus ou moins avancés d’emprunt interculturel : 

  • La “propagande culturelle” qui est la promotion de son idéologie ou de sa culture à des populations étrangères par son alimentation. Elle se mélange avec les pratiques locales créant une forme de confiance envers “l’autre”. C’est la situation de la Chine 
  • Le “changement démocratique” consacre l’adoption des éléments culinaires par un nombre croissant de consommateurs, permettant leur réappropriation par des acteurs locaux. C’est le cas du Japon. 
  • Le “changement systémique” est assez rare : l’influence ne se limite plus au seul champs alimentaire, transformant en profondeur le système de pensée de la société locale, allant même jusqu’à la défense des intérêts de l’acteur politique étranger. C’est, par exemple, le résultat de la stratégie de Monsanto dans certains pays d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine) 

Au contraire de la notion de soft power alimentaire, la notion de gastrodiplomatie a connu un succès immédiat dans les années 2000. Son inventeur, l’américain Paul Rockower la définit comme “une forme particulière de diplomatie publique qui mêle diplomatie culturelle, diplomatie culinaire et construction d’une image de marque nationale pour rendre palpable au goût et au toucher une culture étrangère”. Cette stratégie est utilisée par plusieurs Etats modestement influents et qui veulent se faire une place sur la scène internationale : elle a été initiée avec succès par la Thaïlande, suivie par la Corée du Sud mais aussi le Pérou ou l’Australie. 

Dans ce contexte, le tourisme culinaire représente désormais un secteur économique intéressant mais aussi un vecteur d’influence. Le lien a toujours existé entre voyage et gastronomie comme le montre la publication à partir de 1900 du guide Michelin. Mais, ce lien a eu tendance à s’émousser avec le développement du tourisme de masse. Seul l’oenotourisme a su maintenir dans un premier temps ce lien entre voyage et culture culinaire. Mais, lassés de l’uniformisation du tourisme de masse, les consommateurs demandent de plus en plus à réintégrer la découverte culinaire à la découverte touristique. Pour attirer cette clientèle de gourmets, la concurrence entre les territoires est de plus en plus féroce. Certains territoires se sont façonnés une image de marque liée à leur référence culinaire (Lima, Bordeaux, Bangkok…) alors que d’autres se sont même créés une tradition gastronomique ex-nihilo (comme par exemple la ville turque de Gaziantep). 

Enfin, Pierre Raffard s’intéresse au changement de statut des chefs et des cuisiniers qui sont désormais devenus des “ambassadeurs” d’un nouveau genre mais aussi desobjets de divertissement, voire des militants politiques. En effet, certains chefs sont devenus des stars dont l’influence ne se limite plus à la sphère culinaire. Dans ce domaine, la France a fait office de précurseurs avec des chefs comme Marie-Antoine Carême, Urbain Dubois ou Auguste Escoffier au XIXème siècle. Ils sont suivis dans la deuxième moitié du XXème siècle par Paul Bocuse, Joël Robuchon, Alain Ducasse … Cette exception française est désormais devenue la norme internationale avec des chefs comme les espagnols Joan, Josep et Jordi Roca, le danois René Redzepi, le russe Vladimir Mukhin … Cette influence peut parfois aboutir à une collusion entre chefs cuisiniers et intérêts privés, voire à une mainmise progressive des investisseurs financiers sur le secteur de la restauration. Certains chefs profitent aussi de la lumière médiatique pour devenir des militants de causes politiques, sociales et environnementales. Ainsi, ils deviennent lanceurs d’alertes au tournant des années 2000 et obligent les pouvoirs politiques à se positionner sur la question alimentaire. Cet engagement citoyen peut aussi devenir de l’activisme militant quand le cuisinier d’origine nigériane Tunde Wey propose de calculer le prix de ses menus de son restaurant en fonction de l’appartenance ethnique des clients (4 morceaux de poulets gratuits pour la clientèle noire mais 1000 $ pour les blancs). 

Du placard à la planète : quelle géopolitique alimentaire à l’heure de la globalisation ? 

Tout d’abord, Pierre Raffard s’interroge sur la façon de réfléchir et d’analyser la notion de globalisation alimentaire. Longtemps, dans la lignée des travaux d’Alfred Crosby, la question de la globalisation alimentaire a été abordée par le biais des mobilités humaines : les migrations permettent la mise en place d’un double processus d’apport-emprunt d’aliments alors que les flux touristiques favorisent la mise en relation de différents systèmes alimentaires et la diffusion de nouveaux modèles de consommation originaires des principaux bassins touristiques (Méditerranée, Asie du Sud-Est, Caraïbes).  

Mais, cette approche est de plus en plus limitée pour comprendre cette globalisation alimentaire. En effet, la connectivité planétaire repose “sur la capacité des hommes et des territoires à s’intégrer aux réseaux mondialisés, à capter les flux qui les irriguent et, in fine, à générer de nouveaux modèles eux-mêmes susceptibles de se diffuser”. De ce point de vue, l’évolution du marché mondial de la boulangerie-pâtisserie est symptomatique. Historiquement centré sur la France, de nombreux boulangers et pâtissiers français vont s’installer à la fin des années 1980 en Amérique du Nord et en Asie. Alors, dans ces régions, des entrepreneurs locaux vont élaborer une offre hybride entre inspiration française et particularités locales (éclairs au thé matcha, brioches aux haricots rouges …) et vont imposer un modèle industriel à l’opposé de la figure de l’artisan boulanger français. Enfin, à l’heure d’Instagram, ces boulangers-pâtissiers asiatiques vont répondre à l’attente des consommateurs en mettant en avant plus l’aspect visuel que gustatif du produit.  

De plus, hier comme aujourd’hui, la globalisation alimentaire est le reflet de l’organisation géopolitique du monde comme le montre le succès de la cuisine japonaise dans les années 1970 à un moment où ce pays est en pleine prospérité économique. Dans ce contexte, les villes globales jouent un rôle central dans le déploiement des modèles de consommation. Ainsi, on voit l’émergence d’un modèle culinaire global profondément métropolitain comme le montre l’engouement actuel en Occident pour les “super-aliments” (graines de chia, spiruline…), pour le quinoa ou pour l’açaï. 

L’auteur s’interroge aussi sur la place périphérique qu’occupe le continent africain au sein de la planète alimentaire. Tout d’abord, alors qu’elle pourrait s’appuyer sur une diaspora de plusieurs centaines de millions de personnes, la cuisine subsaharienne est avant tout perçue comme un acte identitaire en situation de migration. Cette situation est aussi due à la marginalisation du continent dans la mondialisation : faiblesse des flux touristiques, aucune ville globale, faible rôle des acteurs agroalimentaires sur le marché mondial … Cependant, grâce aux réseaux sociaux et aux nouveaux médias gastronomiques, un engouement naissant pour les cuisines africaines est en cours. 

L’organisation alimentaire mondiale doit aussi être repensée. Ces dernières années, “les utopies alimentaires d’hier sont devenues les réalités d’aujourd’hui et de demain” : manger bio, privilégier les circuits courts … sont devenus des modèles de consommation qui connaissent un réel engouement dans les pays occidentaux mais aussi émergents et au sein d’un spectre social de plus en plus large. Cette promotion de systèmes alimentaires donnant la primeur à la qualité des produits oblige les pouvoirs publics à faire évoluer les cadres législatifs. De plus, le renforcement de modèles de consommation “communautaires” (viande halal, casher…) ou le rejet de régimes alimentaires carnés montrent que les pratiques alimentaires peuvent être porteuses de préoccupations éthiques, morales ou religieuses. Cette demande de modèles alimentaires alternatifs a attiré l’attention des acteurs économiques (industrie agroalimentaire, grande distribution…) qui utilisent ces arguments pour conforter leur développement tout en redorant leur blason. 

Pierre Raffard termine en s’intéressant à la FoodTech qui depuis moins de dix ans a profondément transformé nos pratiques et nos choix alimentaires grâce aux avancées majeures qu’ont connu l’informatique et la biologie. Elle se déploie autour de quatre axes principaux :  

  • Elaborer une offre nouvelle pour répondre à une demande croissante en faveur de produits plus sains, plus pratiques, plus durables et/ou plus éthiques 
  • Grâce aux Big Data, suivre et analyser en temps réel les achats, les évolutions des consommations et la diffusion des modèles alimentaires 
  • Le secteur de la livraison à domicile 
  • L’ensemble des produits et des services d’accompagnement alimentaire personnalisés 

Cette FoodTech est centrée sur quelques territoires dynamiques : bien sûr, les Etats-Unis mais aussi l’Europe de l’Ouest, l’Asie de l’Est et Israël. D’autres pays (comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Turquie…) déclinent localement des innovations étrangères, notamment dans le domaine de la livraison à domicile. En parallèle de la FoodTech, les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans l’évolution de nos assiettes mais aussi des valeurs et représentations attachées à l’acte alimentaire : ils font émerger un modèle global d’inspiration américaine et participent à l’homogénéisation des lieux de restauration, des pratiques culinaires et des codes esthétiques.  

 

Dans ce petit ouvrage passionnant écrit avec un langage simple et clair, Pierre Raffard nous présente les recompositions contemporaines de nos systèmes alimentaires et replace l’alimentation comme un enjeu géopolitique mondial. Il s’intéresse aussi à l’émergence de pratiques alimentaires alternatives et s’interroge sur le futur de nos assiettes. Enfin, il parsème son livre de nombreux exemples récents qui pourront être particulièrement utiles pour rendre plus vivants certaines séquences d’HGGSP et pour amener nos élèves à réfléchir sur l’importance politique d’un acte somme toute banal : manger !

Pour compléter ce compte-rendu, un entretien vidéo de Pierre Raffard :