Le procès de l’esclave amérindienne Marie en 1759 dans la petite ville de Trois-Rivières permet de montrer ce qu’a été l’esclavage des Amérindiens dans la vallée du Saint-Laurent au XVIIIe siècle. Il permet de comprendre ce que fut le contact entre les Amérindiens et les Français au temps du commerce des fourrures. Il témoigne du fonctionnement de la justice.

Pour la justice d’Ancien Régime et ses sévérités, le procès en 1759 de Marie, Amérindienne, esclave est à la fois exceptionnel et révélateur de ce que la Nouvelle-France.

Eric Wenzel, spécialiste de l’histoire du droit, interroge les relations entre la justice et la société coloniale. Il montre les écueils à éviter dans l’étude d’un procès ancien et place son travail dans le sillage d’Alain CorbinLe monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Flammarion, 1998.

Dans son introduction Eric Wenzel décrit les faits ; l’agression de deux femmes, ses patronnes, par l’esclave Marie qui tente de se suicider. Elle est condamnée au bannissement hors de la juridiction de Trois-Rivières lors un procès qui suit immédiatement les faits.Dans un second temps, en appel, elle est condamnée à la pendaison en raison de sa tentative de suicide.

L’auteur en tire plusieurs des questionnements : Que fait une Amérindienne crie à Trois-Rivières en 1759 ?

Quelles étaient les pratiques esclavagistes en Nouvelle-France ? La justice outre-mer peut-elle respecter les règles comme en métropole ? Pourquoi une telle sévérité envers une femme qui n’est pas une meurtrière ?

Marie, une Amérindienne crie devenue « panisse »

Marie est une Crie devenue « panisse ». Sont qualifiés ainsi les esclaves indigènes. La situation de Marie permet, à l’auteur, de traiter même rapidement, les contacts entre Premières Nations dans le contexte colonial. Les Cris étaient peu présents dans la vallée du Saint-Laurent. Marie a besoin d’un interprète qui lui-même ne maîtrise pas la langue crie. Les Cris étaient présents au Nordcarte p. 20 sur les territoires de la Baie d’Hudson convoités par les Anglais, comme le précise l’auteur à la recherche des origines de son héroïne. Une route de traite des fourrures reliait Trois-Rivières aux territoires des Cris de la Baie de James, une route empruntée par Radisson et Des Groseillers, un siècle plus tôt. Une autre hypothèse linguistique fait pencher l’auteur pour un lien de Marie avec les Cris des bois, au nord des Grands Lacs.

L’auteur évoque la vie chez les Cris au XVIIIe siècle en s’appuyant sur les travaux de l’historien Toby MorantzAn ethnohistoric study of eastern James Bay Cree social organization, 1700-1850, , Ottawa, National Muséum, 1983.

On ignore comment Marie est devenue esclave, peut-être victime des guerres indiennes, puis échangée dans le contexte du commerce des fourrures. L’auteur rappelle l’existence d’un esclavage aussi bien parmi les Premières Nations que dans la colonie même si la situation est très différente de celle des Antilles ou de la Louisiane, comme l’a montré les travaux de l’historien québécois Marcel Trudel ou ceux de Frédéric Régent.

Le Procès de Marie : un certain reflet de la justice pénale en Nouvelle-France

Cette justice importée de la métropole a dû s’adapter. Le procès montre que bien qu’esclave Marie a des droits, notamment celui de la présomption d’innocence. L’auteur propose un bilan du rapport des Autochtones à la justice coloniale : environ 200 procès pour consommation d’alcool, voies de fait, vol de fourrures mais peu de rimes de sang, une justice plutôt équitable. Les condamnations sont identiques pour un Amérindien ou un Canadien.

Si les Amérindiens sont soumis aux mêmes procédures et lois que les sujets du roi, les autorités les laissent régler en interne les conflits entre Amérindiens sauf pour les esclaves qui « ont perdu leur indianité »Citation p. 59.

Le procès de Marie a respecté dans les grandes lignes les procédures requises par l’ordonnance de 1670 malgré quelques écarts comme le montre l’étude détaillée d’Eric Wenzel. Il évalue comme conforme à la doctrine pénale de l’époque le premier jugement. Il s’interroge sur le procès en appel de la haute magistrature coloniale et les mobiles de son bras armé Louis-Joseph Godefroy de Tonnacoure.

Une affaire judiciaire révélatrice du système colonial

Ce procès, comme d’autres, est révélateur des difficultés de la justice de la Nouvelle-France. C’est d’abord un manque de juges professionnels, un seul juge à trois-Rivière. La qualification du personnel judiciaire est médiocre. A ces difficultés s’ajoute la question des interprètes qui ne maîtrise pas réellement les langues amérindiennes nombreuses et variées. A Trois-Rivière aucun interprète ne parle le cri, la langue maternelle de Marie.

L’auteur montre aussi que pour comprendre la sévérité du procès en appel il faut le resituer dans le contexte de la perte entamée de la Nouvelle FranceTraité de Paris 1763.

Ce procès montre une justice garante de l’ordre colonial.