Le Déméter 2019

Le club Déméter¹ publie en ce début d’année son numéro annuel d’analyses, prospectives sur les questions agricoles et alimentaires. Un outil qui s’adresse aux spécialistes mais aussi à toute personne intéressée par les questions agricoles et de la ruralité. Une approche géopolitique qui est abordée à la fois à l’échelle mondiale, nationale (Éthiopie, Vietnam, Colombie, Chine, France) ou régionale (Californie). Le tout est organisé en trois parties : Agrosphères, Regards d’avenir, Repères.

L’introduction de Sébastien Abis, directeur du Club Déméter, L’agriculture dans le monde voit son importance renforcée et sa puissance déplacée, situe clairement les enjeux : nourrir un monde plus peuplé et une classe moyenne mondiale, elle aussi, plus nombreuse, impatiente d’obtenir une nourriture de qualité dans un monde qui devra faire face à des changements climatiques à fort impact sur l’agriculture. L’alimentation est au cœur de la géopolitique des ressources : accès à la terre, à l’eau, à l’énergie quand l’insécurité alimentaire génère révoltes et affrontements. L’auteur évoque la puissance des grandes entreprises sur ce secteur et s’interroge sur la place que l’Europe entend jouer.

Agrosphères

Pierre Blanc et Thierry Pouch démontrent comment et pourquoi les questions agricoles et alimentaires sont centrales en matière de géopolitique au croisement de l’insécurité alimentaire, la sous-alimentation ne recule pas, et des conflits, intensification des tensions commerciales sur les productions ou sur la terre. Ils tentent une explication de l’instabilité du monde par la géoéconomie et la faiblesse de la gouvernance et la mondialisation.

Jean-Baptiste Damestoy s’intéresse à l’agriculture éthiopienne : zone à fort potentiel, un pouvoir politique interventionniste dont le but est de permettre une plus-value du secteur primaire pour engendrer ensuite l’expansion économique générale. L’auteur montre les succès : céréales, khat, élevage, horticulture et les menaces : question de l’eau en relation avec l’Égypte en aval, pour les exportations un accès à la mer menacé par l’instabilité des états voisins, accaparement des terres.

Sébastien Treyer présente les liens entre la santé, l’environnement et l’agriculture ; une réflexion qui retrace les évolutions depuis le Sommet de Rio en 1992. L’auteur insiste sur l’aspect systémique de ces questions à différentes échelles, sur les interrelations, un point intéressant à travailler avec des élèves de lycée. Il situe son analyse sur le moyen terme, analyse l’échec des OMD² : problèmes de gouvernance, blocages, évolution des rapports de force.

Alexandre Bouchot illustre les défis environnementaux du Vietnam. Il montre la croissance économique du pays depuis la fin des années 80, le renforcement de la sécurité alimentaire et pourtant le maintient d’une population de paysans pauvres. D’autre part le Vietnam devra faire face à la montée du niveau de la mer dans ses grands deltas. La déforestation et l’urbanisation ont un fort impact sur l’environnement, aggravé par les pollutions liées à l’emploi croissant de produits phytosanitaires. L’auteur évoque la méfiance vis à vis de la qualité de l’alimentation disponible.

Francis Willequet interroge le défi alimentaire né de l’urbanisation, notamment les aspects logistiques tant dans les pays en développement que développés comme la France. Il rappelle d’une part la définition du terme « sécurité alimentaire » défini par la FAO en 1996 : disponibilité, accessibilité, satisfaction quantitative, qualitative et d’autre part la croissance urbaine partout dans le monde. Il pose la question fondamentale dans toute l’histoire : nourrir la ville et il analyse l’organisation de la sécurité alimentaire.

Eric Meyer aborde le cas de la Chine du ticket de rationnement au commerce « phygital »³. Partant de la situation en 1987 l’auteur montre la mondialisation des formes de distribution et de consommation jusqu’à l’e-commerce (exemple d’Alibaba) et présente les formes futuristes du commerce alimentaire aujourd’hui dans les villes chinoises.

Véronique Bellon-Maurel, Jean-Marc Bournigal et Roland Lenain se sont associés pour traiter des évolutions numériques de l’agriculture : les datas nouveaux intrants agricoles : collecte et diffusion de la donnée, propriété de cette donnée un enjeu pour les agriculteurs, apparition d’un nouvel écosystème entre grandes plateformes numériques et nouvelles formes de coopération. Un autre aspect est abordé : l’évolution du machinisme agricole pour limiter les consommations énergétiques et s’adapter à de nouvelles techniques ; semis sous couvert, robotisation du désherbage… Les auteurs concluent sur les besoins en formation des acteurs agricoles.

Pauline Canteneur présente le cas californien : Evolution des comportements alimentaires et laboratoire d’une nouvelle agriculture : évolution vers une agriculture intensive à haute valeur ajoutée face à des enjeux forts : ressource en eau, pénurie de main d’œuvre. On notera l’intéressante carte des innovations (p. 145) : utilisation massive de la génomique et du big-data ( encart sur la mise en œuvre en Argentine).

Pour Pascal Bergeret un des défis majeurs est le vieillissement de la population agricole : durée d’activité, transmission des exploitations, accès aux ressources, formation et flux migratoire. Comment faire face aux nécessaires gains de productivité tant dans les pays développés qu’en développement. L’auteur aborde les tendances démographiques, l’évolution des demandes vis-à-vis de l’agriculture et évoque des pistes de solution.

Claude Bernard étudie les atouts de l’enseignement agricole en France, les évolutions de l’enseignement supérieur et de la recherche pour aller vers les agrosciences.

Regards d’avenir

Alain P. Bonjean considère que l’avenir est aux biotechnologies génétiques et notamment aux OGM (CRISPR – CAS9). Il montre la rivalité États-Unis – Chine.

Yves Le Morvan traite de la PAS après 2020. Après un retour sur l’histoire de cette politique il montre l’ambition européenne d’une politique alimentaire durable dans un contexte de concurrence mondiale et de nécessaire gestion du risque.

Jean-Jacques Hervé dans l’Europe vue de Russie, revient sur les motifs et les conséquences des sanctions européennes après l’affaire ukrainienne. Il développe la politique d’essor agricole, outil de puissance pour le Kremlin et en réponse les politiques à mettre en ouvre en Europe occidentale.

Trois auteurs s’associent pour une présentation de la Colombie : état des lieux de l’agriculture, question foncière et croissance des importations.

Ce sont également trois auteurs pour la boisson alcoolisée la plus consommée au monde, la bière : un marché mondialisé et concentré avec une hausse de la consommation dans les pays émergents mais en même temps un essor des microbrasseries en Amérique du Nord et en Europe pour répondre à la demande des consommateurs (un paragraphe sur la situation française).

Bénédicte Renaud analyse le gaspillage alimentaire, l’économie circulaire avec la valorisation des sous-produits de l’industrie agroalimentaire notamment en alimentation animale.

Sanjkaya Rajaram et Maaerten van Ginkel propose un article en anglais sur la sécurité alimentaire en Afrique sub-saharienne et en Asie dans un contexte de changement climatique. Ils soulignent le rôle de l’agriculture paysanne et les conditions d’une agriculture intensive et durable.

Le dernier article est consacré à l’intérêt des blés des oasis sahariennes comme ressource génétique. Comment ces très vieilles semences peuvent, peut-être, sauver l’agriculture face au changement climatique. Une belle carte des origines hypothétiques des blés aux époques préhistoriques et antique (p.313).

Repères

Cette dernière partie présente des statistiques, des graphiques, des cartes et de brèves analyses concernant la population, l’environnement, les productions (céréales, sucre, huiles, semences, viandes, alcools, produits laitiers). L’intérêt est le regroupement de chiffre, parfois difficiles à trouver, et leur réunion dans un même tableau par exemple pour les céréales : rendement, consommation de produits phytosanitaires, consommation d’azote, GES, sous alimentation. Un encart d’actualité sur la filière betterave et le Brexit.

Ces repères sont ensuite disponibles en ligne par exemple ceux de 2018 sont ici.

Un bilan annuel dense et utile.

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