Daniel Meier est docteur en sociologie politique et spécialiste des enjeux de frontières, notamment au Moyen-Orient. Il est actuellement chargé de cours à l’université de Genève et à Sciences Po Grenoble ainsi que chercheur associé au laboratoire PACTE de Grenoble. Ses travaux s’inscrivent dans ce qu’on a coutume d’appeler depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les borders studies. Ce livre a été écrit pendant le premier confinement et donc en pleine crise sanitaire de la Covid-19, période qui a vu s’accentuer, face à la pandémie, le phénomène de refrontiérisation (rebordering). La première partie de l’ouvrage revient sur cette refrontiérisation qui n’a évidemment pas attendu le coronavirus pour s’affirmer. Une deuxième partie questionne le rôle des États dans l’imposition des normes frontalières et dans le découpage des territoires. La troisième partie se centre sur une série d’enjeux qui se matérialisent aux frontières, entre flux et contrôles.
Entre histoire et politique, la première partie écrit l’histoire des frontières modernes depuis les traités de Westphalie entre le Roi de France Louis XIV, l’Empereur Ferdinand III, les Princes allemands, la Suède et leurs alliés respectifs. La frontière vient régler la guerre de Trente Ans qui ravage l’Europe depuis le XVIIe siècle. La frontière y est plus qu’une ligne ou une enveloppe, elle apparaît comme un processus. Les frontières sont ainsi des émanations d’un État, cependant les réseaux économiques quels qu’ils soient remettent aujourd’hui en cause la frontière. Le modèle du genre est la maquiladora, cette usine d’assemblage originellement mexicaine qui a vu le jour à proximité de la frontière américaine dès les années 1960 et qui exporte ses produits aux États-Unis, exonérés de droits de douane.
Depuis une quinzaine d’années, on a vu apparaître autour du monde de nouvelles frontières avec leur lot de conflits, de contentieux et d’enjeux commerciaux : les frontières maritimes. La définition des frontières maritimes tient en quelques subdivisions qui s’ensuivent en direction du large : mer territoriale sur 12 milles marins équivalents au territoire national, zone contiguë sur 12 autres milles où la police maritime peut intervenir, zone d’économie exclusive (ZEE) jusqu’à 200 milles. Au-delà, ce sont les eaux internationales. Autre phénomène lié à la refrontiérisation, la « teichopolitique » (teichos = mur) et le déploiement un peu partout de murs aux frontières. Selon Michel Foucher, ce serait 10% des frontières terrestres qui seraient murées, soit 25000 km de linéaire frontalier. Alors que la mondialisation est un phénomène qui s’appuie sur un principe d’échanges et d’ouvertures, le politologue français Didier Bigo a montré que les frontières connaissent une sorte de dématérialisation sur les lignes frontières mais une re-matérialisation en amont et en aval. La frontière est transportée par les acteurs des flux eux-mêmes. Les migrants remettent en question le système de frontières ouvertes de l’espace Shengen.
La frontière États-Unis-Mexique est une des plus longues dyades frontalières du monde avec 3150 km. Depuis 1986, la lutte contre l’immigration clandestine va se doubler d’un volet de lutte contre le trafic de drogues. La militarisation de la frontière est réellement intervenue après le 11 septembre 2001 avec le vote du Patriot Act. Ce sont 100 milliards US$ qui ont été dépensés depuis pour militariser et sécuriser cette frontière. De manière plus récente, les épidémies se jouent des frontières. Daniel Meier y voit une manifestation duelle où mondialisation des flux se conjuguent partout à un processus de refrontiérisation. « Et dans ce contexte de refrontiérisation, réussirons-nous à nous souvenir que la frontière n’est pas seulement une zone de confrontation mais bien plutôt un espace où se crée le lien et où s’actualisent les coopérations ? » (p.148).
Christophe Meunier
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Recension de Jean-Pierre Costille
Comme le dit la quatrième de couverture, les frontières oscillent entre flux et contrôle et « constituent un prisme original pour appréhender le monde dans lequel nous vivons ». Daniel Meier, docteur en sociologie politique et spécialiste des enjeux de frontières notamment au Moyen-Orient, s’attaque donc à la question avec l’angle de cette collection qui vise à étudier les idées reçues.
Aborder la question des frontières
Le terme de frontière est d’abord précisé, reprenant notamment la définition du Dictionnaire de l’Académie française. Il s’agit d’une « ligne conventionnelle marquant la limite d’un Etat, séparant les territoires de deux Etats limitrophes ». Daniel Meier rappelle que les frontières sont devenues des « lieux emblématiques de la mondialisation ». Il précise également qu’on a pu croire à leur disparition, jusqu’à ce que la pandémie de covid-19 montre un processus de refrontiérisation du monde. La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux facteurs historiques et politiques, la deuxième revient sur le rôle des Etats dans l’imposition des normes frontalières tandis que la dernière se concentre sur les enjeux qui se matérialisent aux frontières. Chacune des parties comprend entre cinq et six entrées. Le livre contient en outre des annexes, sous forme de glossaire, et une rubrique « Pour aller plus loin ». Il comprend également quelques encarts consacrés à Google maps, Interreg ou encore Frontex.
Entre histoire et politique
Le premier article rappelle d’abord un chiffre édifiant à savoir qu’avec le Royaume-Uni, la France est l’un des principaux Etats traceurs de frontières : ensemble, ces deux empires sont responsables de l’imposition de 39 % du kilomètrage de frontières étatiques mondiales, hors d’Europe. » L’auteur explique ensuite que, bien plus qu’une ligne, une frontière est un processus. On a aussi tendance à croire aux frontières naturelles mais c’est une illusion. La frontière est une construction imaginaire et symbolique qui peut certes, parfois, s’appuyer sur des éléments naturels. Daniel Meier examine ensuite l’idée qui voudrait que les frontières soient définies par les autorités étatiques. Il souligne combien la réalité peut être différente : l’exemple de la « jungle de Calais » montre que la redéfinition de la frontière peut aussi être opérée à l’initiative des plus faibles. On peut aussi citer la notion de no man’s land, de territoire enclavé ou encore de régime d’extraterritorialité, ce qui permet de nuancer l’idée qu’avec une frontière on sait toujours de quel côté on est. La frontière est donc tout sauf binaire.
Etats et migrations
L’auteur entame la partie par les frontières maritimes en montrant qu’il ne faut pas les résumer à des frontières économiques, mais bien plutôt insister sur elles comme de « nouveaux objets de la politique internationale ». On enchaîne ensuite avec la question des murs en montrant que leur efficacité par rapport à l’immigration illégale mérite d’être questionnée. Au Moyen-Orient, « pas moins de 30 murs ont vu le jour depuis 2001 ». Il faut aussi mesurer le business que représente l’édification de tels murs. Des technologies expérimentées au Proche Orient ont ensuite été utilisées par les Etats-Unis. Daniel Meier pose ensuite la question du renforcement des frontières en lien avec le terrorisme international. Il rappelle d’abord que le terrorisme n’est pas un phénomène totalement nouveau. Il questionne plutôt : « le terrorisme a-t-il bien été le facteur premier expliquant le renforcement des frontières ou celui-ci doit-il être recontextualisé dans un environnement de fluidité mondialisée où il apparait comme une réponse possible à une diversité de défis ? ». Au niveau de l’Europe, la question des frontières se pose avec le redoutable dossier du Brexit et de ses implications territoriales. « La mondialisation semble avoir favorisé le retour de frontières internes dans plusieurs états européens qui se manifestent par des revendications populistes et sécessionnistes. ». A ce propos, il faut avoir quelques chiffres en tête : la frontière extérieure de l’Union est constituée de 11 000 kilomètres de frontières terrestres et de 43 000 kilomètres de frontières maritimes.
Enjeux des frontières
Daniel Meier entame cette dernière partie en revenant sur le cas de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Elle est encore aujourd’hui une des plus franchies au monde avec environ 200 millions de passages par an à travers les 42 points frontières qu’elle compte. L’auteur rappelle que la surveillance de la frontière a été initiée par G. W. Bush. La politique de sécurisation de la frontière s’était poursuivie sous Obama et elle ne date donc pas de la présidence de D. Trump. Pour les pays du Sud, il faut se méfier de l’idée qui voudrait qu’on attribue uniquement à la colonisation la délimitation des frontières : la réalité est plus nuancée. Le dernier article s’interroge sur le fait que « les conflits frontaliers seraient plutôt rares de nos jours ». Des îles peuvent être l’objet de différends territoriaux et on note aussi que des litiges frontaliers passent aussi désormais devant la Cour internationale de justice. En fait les conflits frontaliers ne sont pas rares mais ils sont souvent latents et « ne se donnent à voir en conflit ouvert que par épisode, ce qui explique l’impression d’une relative rareté des conflits ».
En conclusion, Daniel Meier insiste sur la prégnance des frontières, sur sa capacité à être dématérialisée. Il souligne aussi que la crise sanitaire actuelle nous oblige à réfléchir à la question de la mobilité. Enfin, la frontière n’est « pas seulement une zone de confrontation mais bien plutôt un espace où se crée le lien et où s’actualisent les coopérations. »
Cet ouvrage, très synthétique, peut s’avérer fort utile dans le cadre du programme de 1 ère d’HGGSP sur la question des frontières. Les entrées proposées peuvent être utilisées individuellement pour éclairer tel ou tel aspect du cours ou pour servir, pourquoi pas, d’introduction pour mettre en lumière les idées reçues sur le sujet.
Pour en découvrir un extrait : http://www.lecavalierbleu.com/livre/frontieres-audela-cartes/