Tout le monde se souvient de l’arrivée groupée de 1000 enfants venus d’Haïti en France, organisée à la suite du séisme de janvier 2010. Ce procédé peu courant, mené par le gouvernement français, a relancé le débat sur les conditions de mise en œuvre de l’adoption internationale en France. Les reportages, les articles se multiplient. Ils relayent les doutes et les incohérences de ce fait sociétal à part entière. La question du sort des pupilles de la nation, après un an de délaissement par leurs parents biologiques, est même reposée. Doit-on considérer ces enfants comme adoptables ?

Aussi, dans ce contexte, le livre d’Yves Denéchère, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers (UMR CERHIO) est particulièrement bienvenu. C’est un ouvrage historique rigoureux tant au niveau de la mise en œuvre de la méthode (importance des notes de bas de page, recours à des sources nombreuses : archives de différents ministères, archives du préfet de Maine et Loire, témoignages d’adoptés et d’adoptants…) alliée à l’exploitation d’une bibliographie conséquente. L’ouvrage est de nature scientifique mais son traitement fait qu’il peut s’adresser à tous ceux qui veulent en savoir plus sur l’adoption internationale et son histoire.

La place des guerres dans l’histoire de l’adoption

 

L’auteur montre que l’histoire de l’adoption commence en France avec les deux guerres mondiales. Elle a émergé après la première guerre mondiale avec la mise en place du statut de pupille de la nation en 1917 pour les enfants orphelins de père et/ou de mère. En 1923, l’Etat offre la possibilité d’adopter un enfant aux couples français (alors que jusque là, seul un adulte pouvait être adopté en vue de devenir l’héritier d’un autre adulte). L’idée est de donner une famille à un enfant.

 

Le reflet de l’histoire morale d’une époque

L’histoire de l’adoption internationale est le reflet d’une époque. Ainsi, le Québec, province catholique qui rejette les filles mères et leurs enfants (« Les enfants du pêché »), va ouvrir aux couples français volontaires la possibilité d’adopter ces enfants dans les années 1960 et 1970, dans le cadre d’une politique de retour au pays. De la même manière, pendant l’entre deux guerres, la question du sort des enfants nés de l’union de soldats français d’occupation en Allemagne, abandonnés par leur mère et non reconnus par leur père, s’était posée. Les bouleversements géopolitiques sont les marqueurs de l’histoire de l’adoption. Les années de l’après seconde guerre mondiale sont celles où se développe un courant tiers-mondiste. L’adoption est vue comme un moyen de lutter contre les inégalités de richesse. Des associations, telle que Terres des Hommes, se chargent de trouver des familles à ces enfants nécessiteux. C’est aussi dans ce contexte que se développe une adoption particulière, celle des enfants handicapés, par le biais d’une association : Emmanuel.

Le développement d’un regard critique sur les pratiques adoptives

La guerre du Vietnam et le retrait des troupes américaines sont l’occasion d’organiser des départs massifs d’enfants. Ces départs dans la précipitation desservent l’adoption internationale comme le comportement de certaines associations (voir récemment l’épisode de l’Arche de Zoé). Ces épisodes conduisent à encadrer de plus en plus l’adoption internationale. La Convention de La Haye de 1993 réglemente l’adoption internationale et donne des cadres précis à ces pratiques (passage par une organisation agréée pour l’adoption ou par l’AFA : agence française de l’adoption, visant à supprimer les possibilités d’adopter en démarche individuelle). Elle engage les pays signataires (environ 55 pays) à respecter ses règles, même si des passe-droits demeurent : il suffit de penser à l’adoption à l’international par des peoples (Madonna, Angelina Jolie et Brad Pitt, les époux Halliday).

La France avec, sans doute 100 000 enfants adoptés sur les 500 000 adoptés dans le monde, est un des premiers pays concernés par ce phénomène. Nous avions d’autant plus besoin d’un travail rétrospectif sur ce fait sociétal à part entière. Pour ce faire, Yves Denéchère n’a pas ménagé sa peine. En plus de l’exploitation des archives des services administratifs qu’il estimait manquer de corps, il a eu recours à des témoignages d’adoptés ou d’adoptants. On regrettera toutefois que ces témoignages ne tiennent pas une place plus importante dans l’ouvrage. Le dépouillement d’archives administratives rend, par moment, le texte un peu aride. De plus, il apparaît que l’histoire de l’adoption internationale est véritablement le fruit d’un contexte. La géopolitique comme les évolutions sociétales y tiennent une place centrale. Si la question de l’adoption par les couples homosexuels est posée à la fin du livre, le non accès aux archives des années 1990 – 2000 empêche de faire l’histoire récente de ce phénomène. C’est d’autant plus dommage que les postulants sont très demandeurs d’une analyse actualisée du contexte géopolitique de l’adoption internationale. Où faut-il concentrer ses efforts pour avoir toutes les chances qu’un projet d’adoption aboutisse ? Sachant qu’un agrément en vue d’adoption d’un enfant a une durée limitée à 5 ans, nombreux sont les couples ou célibataires qui voient leur agrément arrivé à échéance sans que leur projet ait abouti. Le temps presse ! Et sans doute, que les postulants auraient aimé trouver dans cette première histoire de l’adoption internationale davantage de clés pour comprendre l’histoire du temps présent.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes