CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

On ne se livrera pas ici à une énième présentation de la dynamique collection Illustoria de Lemmedit (nouvelle appellation des Editions Maison), dont les titres font maintenant l’objet de compte-rendus réguliers pour la Cliothèque (http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3183 ; http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3041 ; http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2927 ). C’est à une période et à un espace géopolitique qui n’avaient jusqu’ici pas été abordés que s’intéresse le huitième titre de cette collection pour l’instant intégralement consacrée à l’histoire militaire antique : le monde grec classique, avec une étude consacrée à la bataille de Platées. Livrée près de Thèbes, en Béotie, vers la fin de l’été de l’année 479 av..-C., elle opposa, lors des guerres médiques, une armée de Grecs coalisés à un puissant corps expéditionnaire perse destiné à obtenir la soumission des dernières cités-Etats réticentes à reconnaître l’autorité du Grand Roi. L’ouvrage est, comme il est de règle, rédigé par un spécialiste de la question. Jean-Nicolas Corvisier, professeur d’Histoire ancienne à l’Université d’Artois, directeur du Cercle de recherches urbanisation, sociétés urbaines et démographies dans les mondes anciens (CRUSUDMA), président de la Commission Française d’Histoire Militaire, s’intéresse particulièrement à la Grèce du Nord, à la démographie historique, la mer et la guerre dans l’espace grec antique. Au lecteur féru d’affrontements antiques, le sujet ici développé peut initialement paraître un peu moins original que ceux précédemment traités dans la collection ; l’auteur justifie cependant son choix par le constat du caractère décisif de la bataille, et celui que, en dépit de cela, elle reste un peu la mal-aimée de l’étude d’un conflit qui évoque avant tout les moments de gloire de Marathon, des Thermopyles, de Salamine. De fait, son travail, organisé en quatre chapitres, s’avère intéressant sur bien des points.

120 à 150 000 hommes en présence

Fort logiquement, l’étude de la bataille est introduite par un rappel des événements dont elle est la résultante (p.3-21). L’irrésistible expansion de l’Empire achéménide, la révolte des cités soumises d’Ionie, amène une première expédition perse dans l’Egée en 490, qui connaît à son terme un échec devant les Athéniens à Marathon. Dix ans plus tard, Xerxès 1er lance une véritable entreprise de conquête de la Grèce, avec un impressionnant corps expéditionnaire et une nombreuse flotte ; ayant obtenu la soumission de nombre de cités et de peuples, vainqueurs aux Thermopyles et à l’Artémision, maîtres d’Athènes, les Perses sont finalement vaincus sur mer, au large de Salamine. Mais la campagne n’est pas terminée : avec de puissantes forces terrestres, Mardonios, un des proches de Xerxès, reste en position en Grèce centrale, prêt à reprendre l’offensive au printemps suivant. Comme l’auteur le précise ensuite (p.23-43), ce sont deux modèles étrangers l’un à l’autre qui se trouvent alors face-à-face, sans d’ailleurs bien se comprendre : conception différente du pouvoir et des enjeux, nature extrêmement dissemblable des armées opposées…La bataille qui s’ensuit est donc le terme d’un long processus (p.45-68). Parallèlement à d’intenses efforts diplomatiques, Mardonios envahit de nouveau l’Attique au printemps 479. En découle, non sans difficultés, la concentration des contingents des cités grecques qui refusent toujours l’ascendant perse : Spartiates et autres Péloponnésiens (à l’exception des Argiens), Athéniens, Mégariens, Corinthiens, quelques Béotiens et peuples du nord-ouest… Les deux armées se retrouvent finalement en présence sur les bords de l’Asopos. Après près de deux semaines d’attente entrecoupée d’accrochages, un changement de position des Grecs précipite l’affrontement ; confus, celui-ci s’achève, après la mort de Mardonios, par la déroute et le massacre d’une grande partie des troupes perses. Si cette victoire sauve la Grèce du sud de l’invasion perse, son exploitation souffre vite des dissensions, jamais réellement éteintes, entre cités (p.69-83) : après avoir passé plus d’une dizaine de jours à organiser répartition du butin et célébration de la bataille, les coalisés se contentent d’obtenir la soumission de Thèbes. La seconde guerre médique n’est pas terminée ; mais les opérations ultérieures seront de plus en plus prises en charge par Athènes, qui y gagne le statut de grande puissance… prélude à l’affrontement à venir avec Sparte.

Voir à travers le miroir d’Hérodote

Dès le Vè s., Athènes fera donc des guerres médiques un enjeu important de sa mémoire et de son identité, contribuant à leur donner une dimension de référence incontournable. Cela influe sur les sources qu’il nous reste du conflit (au premier rang desquelles figurent les essentielles Histoires d’Hérodote) : l’approche des rapports entre Grecs et Perses, de ceux entre les différentes cités grecques, y est toujours entachée d’une subjectivité plus ou moins forte. L’auteur ne l’ignore évidemment pas, comme en témoigne la présentation qui en est faite à la fin de l’ouvrage, et il sait les manier avec un recul critique constant ; à cet égard, le 2ème chapitre de l’ouvrage, concluant à la plus grande probabilité d’une victoire perse, est sans doute le plus marquant. C’est que le travail de J.-N. Corvisier s’appuie aussi sur une bonne connaissance de la période et des nombreux travaux historiques ayant traité de l’événement, comme la bibliographie, réduite (le format de l’ouvrage l’impose) mais pertinente, permet de le constater ; études qu’il traite avec le même recul bienvenu – on remarquera par exemple que l’auteur se détache quelque peu de l’interprétation de Peter Green (dans son prenant ouvrage Les Guerres Médiques récemment réédité, au compte-rendu duquel on se permettra de renvoyer : http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2298 ) quant au caractère supposé feint de la retraite décidée par le « généralissime » grec, le Spartiate Pausanias. Est donc ici tracé un tableau circonstancié et fort valable des faits, renforcé par les utiles compléments communs aux titres d’Illustoria : chronologie, lexique, et illustrations d’excellente qualité réunies dans un cahier central. S’il manque peut-être à celles-ci (pour beaucoup tirées d’autres publications) une vue actuelle du champ de bataille, aujourd’hui relativement bien localisé, on y trouvera des cartes claires et de nombreuses représentations d’époque des combattants les plus emblématiques du conflit (hoplites grecs, guerriers perses et scythes). Quel que soit le talent de l’auteur, il n’est pas forcément évident de rendre compte, dans le format assez resserré qui est celui de la collection, d’événements foisonnants, complexes, sujets à interprétations multiples, déjà objets d’études fouillées, tels que purent être ceux de la campagne de Platées, elle-même indissociable d’un affrontement plus large et que beaucoup s’accordent à reconnaître lourd d’enjeux. Le lecteur avide de voir se dérouler à fond les diverses réflexions inspirées par la bataille pourra éventuellement se sentir un peu frustré devant la nécessaire concision de certains développements, frustration qui fait peut-être écho à celle de J.-N. Corvisier ; celui-ci éprouve le besoin, à la toute fin de l’ouvrage, de consacrer trois pages à certaines des problématiques guère ou pas abordées dans le corps du texte : lieu précis des combats, appréciation des commandements de Mardonios et Pausanias au cours de ceux-ci, valeur de deux textes discutés, le décret de Trézène et le « Serment de Platées »… Sans se donner la liberté, fort présomptueuse, d’en tirer d’autres conclusions, on s’autorisera en tout cas à penser que le texte aurait un peu gagné à une ultime relecture qui aurait permis de remédier à quelques tournures de phrase alambiquées (p.47, 58…), des oublis de ponctuation, voire à certains intertitres dont on peut juger la répétition inappropriée.

Tel quel, il n’en demeure pas moins une approche accessible de la bataille, une très bonne introduction à son étude, et une excellente démonstration de la nécessaire distanciation qui doit être pratiqué par l’historien travaillant à partir des sources littéraires antiques. Il contribue donc à enrichir un peu plus une collection qui conserve tout son intérêt dans une édition francophone encore bien timide en matière d’histoire militaire.

Stéphane Moronval ©