En librairie le 5 février 2015.

Quelle drôle de coïncidence ! Entamer la lecture du dernier ouvrage de Thierry Paquot lors du jeudi noir des transports suite à un arrêt de travail des conducteurs du RER A le 29/01/2015 ! Le philosophe de l’urbain dénonce ici les dysfonctionnements des villes et même si son propos ne se centre pas spécifiquement sur les mobilités, elles ne sont pas tout à fait absentes de sa réflexion.

Il s’en prend aux « mégapoles déraisonnables » (p. 12), à ces « désastres urbains » (p. 25), et revendique une approche philosophique de l’urbain qui ne s’inscrive pas dans « l’habituelle histoire évolutionniste, itérative, linéaire » (p. 29). Son discours s’organise autour de cinq grands types urbains, révélateurs des maux des villes. La plume alerte et acerbe, il qualifie le grand ensemble de « bâtard d’une pensée technocratique du logement dit « social » » (p. 33), le centre commercial du lieu de la « démocratie du caddie » (p. 135), le gratte-ciel de « roi du gaspillage » (p. 116) énergétique, la gated community de « non ville » (p. 140), le Grand Paris de « vieille idée, totalement dépassée » (p. 156).

Chaque chapitre se clôt sur une digression plus ou moins facile d’accès et qui amène parfois l’auteur à se demander : « Où me conduisent ces tours et détours ? » (p. 57). Il y ouvre des pistes qui mériteraient, pour certaines d’entre elles, d’être davantage creusées. Ainsi, en est-il de « l’adolescent et son insatisfaction » (p. 65) et de la réflexion trop succincte engagée à partir des propos d’Henri Maldiney : « L’adolescent ne veut pas être aimé, il veut être compris ». Il profite de ces digressions pour promouvoir des mobilités davantage durables, allant à l’encontre des grandes tendances développées à l’ « ère paléotechnique expression empruntée à Patrick Geddes (…) [de la cité carbonifère »->] (p. 80) : points relais pour les livraisons de colis, développement des transports ferrés locaux et non des lignes à grande vitesse qui ne profitent qu’aux plus riches… mais aussi « création de villages urbains compacts, avec commerces, services et zones agricoles » (p. 117) et le développement du télétravail. L’exercice de prospective auquel se livre Thierry Paquot dans le chapitre consacré au gratte-ciel est délicieux : avec Jean Ancien construisant sa tour Phare à Brest en 2025, la nouvelle loi sur l’égalité des territoires de 2017 résumée dans le slogan « Tous les territoires sont égaux, certains plus que d’autres ! » (p. 123), mais aussi les horaires de travail organisés depuis 2018 en 3 x 8, 7 jours sur 7, « au nom de la liberté du commerce et du fun shopping » (p. 123).

La conclusion de l’ouvrage revient sur le parcours de Thierry Paquot et sur ce que représente ce livre dans son cheminement intellectuel : « une sorte de « tournant » » (p. 170). Il s’explique sur l’étrange fin de chacun des chapitres, s’achevant sur une phrase unique faisant le lien entre les lieux étudiés et « enfermement et assujettissement ». Enfermement ou comment « une petite société qui se replie sur elle s’apparente au contenu d’une Cocotte-Minute dûment fermée par un solide couvercle. (…) Pour le dire autrement, le confinement empêche le mélange ; or c’est celui-ci qui assure à une société sa richesse, son urbanité, sa diversité culturelle. » (p. 174). Assujettissement pour désigner une soumission ne résultant pas toujours d’une contrainte et permettant de « faire avaler la pilule ». Après avoir dénoncé les méfaits du gigantisme urbain, il veut croire que des issues sont possibles : la « cité-jardin » à d’Ebenezer Howard, le « village urbain » d’Émile Vandervelde, la « ville-territoire » de Piotr Kropotkine ou la « bio-région » de Patrick Geddes, Lewis Mumford et Alberto Magnaghi et réussit à nous convaincre que « small is beautiful » !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes