« Le temps s’est arrêté à cet escalier, à cet effroi… Ces tirs… Ce silence de mort… » (p.133)

« L’attentat du 7 janvier 2015 tourne en boucle dans ma tête. Tout fout le camp en moi mais le dessin résiste. »

Dessiner encore fait partie de la sélection du Prix BD Fnac France Inter 2022. On le comprend aisément. Corinne Rey dite Coco a connu l’indicible, « sa tragédie du 7 ». Six ans après, elle a cherché dans ce roman graphique à retranscrire son parcours et à partager ses émotions. Il a fallu mettre des images, faire des dessins afin de continuer à vivre.

Son avatar, petit personnage asexué à l’épaisse chevelure, s’agite sous le crayon de l’illustratrice qui se souvient : sa rencontre avec le mythique dessinateur Cabu, alors qu’elle effectue son stage de fin d’études à Charlie Hebdo, sa découverte de l’univers satyrique du journal et les conseils avisés des collaborateurs, son entrée dans l’équipe et ses premiers dessins publiés après un reportage sur une manifestation de catholiques intégristes et surtout, l’ambiance libertaire et l’humour très spécial de chacun, celui de Charb, de Cabu, de Tignous ou même de Wolinski.

L’après attentat : Coco se débat contre ses bouffées d’émotions qui la submergent comme une vague, comme celle d’Hokusai. Elle ne fait qu’y penser. Elle ne peut plus dormir. Du bout de son crayon, elle se revoit faire le code d’accès en bas de l’immeuble du journal, alors que les frères Kouachi la menacent de leur arme. Un tonnerre de SI l’inonde. Alors qu’elle culpabilise, les pages de l’album se fragmentent en petites alvéoles qui sertissent les SI. Si elle n’avait pas été là, si elle n’avait pas fait le code, si elle était un homme, si elle avait pu les arrêter.

Suivre Coco au fil des pages suscite une grande empathie : ses luttes sont traduites par l’alternance de noir et blanc, de noirs profonds, de rencontres colorées, puis d’un bleu profond, celui de la couverture, serait-ce l’espoir ? Un personnage dessiné minuscule ou énorme, malmené, disloqué, surfe sans cesse sur la vague, risquant d’être englouti…

Puis on s’attache à des petits riens, on surnage, on n’oubliera jamais rien, mais il faut dessiner, dessiner encore …

Un récit bouleversant et percutant, un album magnifique.

Pour prolonger cet article, un entretien de l’auteur sur France Culture :

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/coco-je-dois-dessiner-encore