Albert Einstein et Fritz Haber : deux savants et deux visions diamétralement opposées de la science. Les auteurs de cette bande dessinée suivent deux itinéraires de scientifiques dans un monde en plein bouleversement.
Des « frères contraires »
Dans la préface, François de Closets présente l’histoire de ces deux savants qui apparaissent comme des « frères contraires ». C’est une histoire assez incroyable qui relie ces deux savants. Tous deux s’estiment et s’admirent. Ils partagent certains points communs comme d’être issus de familles juives germanisées. Ce sont tous deux des libres penseurs passionnés de sciences. Ils sont également tous deux mariés à des femmes de haut niveau scientifique, même si elles ont des caractères différents.
Deux savants pris dans l’histoire
La préface retrace donc l’histoire de ces deux savants. Pour Einstein, la physique a une dimension métaphysique. Adulé au temps de la relativité, son combat pour la mécanique quantique se révéla plus compliqué. Einstein en est venu à incarner la science et François de Closets rappelle combien la question de sa responsabilité dans la conception de l’arme nucléaire le rongeait. La science, qui avait signifié l’espoir, rima ensuite avec désespoir.
Les débuts 1912-1914
La bande dessinée commence lors d’une soirée à Berlin en 1912. Fritz Haber et Albert Einstein discutent et c’est l’occasion pour les auteurs de leur faire exposer leurs deux conception de la science. Pour le premier, elle doit servir à l’industrie, tandis que l’autre penche vers la recherche fondamentale. A l’époque, c’est Fritz Haber qui a le vent en poupe. Il fait tout pour convaincre son homologue de venir travailler à Berlin. Peu après, la visite d’une usine à Oppau est l’occasion d’une nouvelle rencontre entre les deux savants qui ne fait que confirmer les divergences d’opinion sur ce que doit être la science. En février 1914, Fritz Haber propose ses services à l’armée allemande et se dit disposé à abandonner son droit au brevet sur ses découvertes.
La Première Guerre mondiale
Survient alors le coup de feu de Sarajevo, prélude à la Première Guerre mondiale. L’épouse de Haber, Clara, et celle d’Einstein, Mileva, discutent entre elles de la situation. Lorsque le premier devient colonel dans l’armée, le second penche pour la pacifisme. On suit Fritz Haber dans sa mise au point d’une nouvelle arme, les gaz. Sa femme, chimiste de formation, l’interpelle sur ce qu’il est en train de concevoir mais sans succès. Même si les premières expériences sont loin d’être militairement convaincantes, Fritz Haber persiste. Lors d’une réception, sa femme Clara fait un scandale pour dénoncer l’attitude de son mari. Elle finit par se suicider, désespérée par la dérive de son mari.
Lendemains de la guerre
Albert Einstein obtient le prix Nobel de physique en 1921. Milena divorce et Fritz Haber se remarie. Les auteurs ont fait le choix de ne pas développer les aspects scientifiques mais bien plutôt d’écrire l’histoire à hauteur d’homme. On découvre au passage un Albert Einstein pas vraiment agréable avec sa femme.
Après la guerre
Le début du second tome situe l’action à Berlin en 1921. Plusieurs personnes s’en prennent à Fritz Haber car il est juif. Pendant ce temps, Albert Einstein creuse son sillon marqué par le pacifisme. Il se fait également le défenseur des réfugiés. Tous deux discutent de leur rapport à leur judéité. En 1921, Eisntein part pour New York et, pendant ce temps, son ami travaille sur un produit, le zyklon B, pour éliminer les insectes. En parallèle de leur histoire, les auteurs évoquent la montée du nazisme. Fritz Haber meurt en 1934.
La Seconde Guerre mondiale
Albert Einstein est à Princeton en 1939. Pendant ce temps, en France, les Joliot qui travaillent sur l’atome décident de ne rien dire de leurs découvertes pour ne pas risquer de donner des informations aux nazis. On voit ensuite l’épisode célèbre de la lettre d’Einstein au président Roosevelt. Il souhaite alerter le président américain sur la situation et lui demande de se lancer dans la course à l’atome, avant que les nazis n’aboutissent.
La ruse de l’Histoire
Toute sa vie Einstein mena le combat du pacifisme pour être finalement associé à la bombe atomique dans l’esprit du grand public. Le livre se termine par le bombardement atomique puis on retrouve Albert Einstein dans les rues de New York en 1946. On l’entend alors dire : « je voulais être physicien, pacifiste, agnostique et tranquille dans mon coin. Je me suis retrouvé sioniste …physicien dissident….et signataire de cette maudite lettre… » L’album se clôt sur l’image culte d’Albert Einstein tirant la langue.
Cet album offre donc un angle original en suivant ces deux savants en parallèle. C’est à la fois l’histoire de deux hommes, mais c’est aussi celle de deux visions de la science dans la première moitié du XXème siècle.
Jean-Pierre Costille