L’enquête inédite sur le dernier massacre des Indiens (29 décembre 1890)

Le massacre de Wounded Knee Creek est une blessure dans la mémoire des Lakotas. Laurent Olivier invite à redécouvrir cet événement qui fait partie de l’histoire de l’Ouest-américain.

Pourquoi un archéologue, conservateur en chef du patrimoine au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, spécialiste des Gaulois s’intéresse-t-il aux Sioux ? Le prologue apporte la réponse : des peuples vaincus qui ont laissé une mémoire.

Le contexte

Une nouvelle aube » se lève 

Laurent Olivier dresse un triste tableau de la situation des Lakotas1 en 1890 sur ce piémont des Black Hills colonisé par les Américains qui les parquent dans des réserves sous l’autorité du bureau des Affaires indiennes. L’auteur décrit Pine Ridge où campe un détachement de l’armée.

Il rappelle l’histoire des contacts avec les Européens, d’abord les trappeurs canadiens dont les descendants métis franco-Sioux sont encore nombreux2, puis les fermiers américains. Il montre l’expansion d’un vaste empire semi-nomade sioux au XIXe siècle. Après avoir résisté à la colonisation ( 1851-1868) et malgré la victoire de Little Big Horn les Lakotas n’ont eu d’autre choix que de déposer les armes/ Au moindre trouble l’armée intervient dans les réserves. Le traité de Fort Laramie en 1868 a été vidé de sa substance et la vie est difficile dans les réserves où vieillissent les grands chefs respectés : Sitting Bull, Red Cloud, Crazy Horse. Le développement du chemin de fer et la loi du lotissement de 1887 ont facilité le démembrement de la grande réserve sioux.

La volonté du gouvernement était de sédentariser et d’américaniser les Lakotas3. L’interdiction des pratiques traditionnelles empêchait les grands rassemblements sous l’autorité des leaders spirituels.

Les années 1880 sont, par ailleurs, des années difficiles : maladies dont une épidémie de variole ; rude hiver 1766/67 puis sécheresses.

Wounded Knee se prépare

L’automne 1889 débute dans un climat de grande détresse, un mouvement messianique apparaît dans l’Ouest. Les Lakota envoient des émissaires pour en savoir plus sur Wewoka, un chamane qui tient un discours syncrétique entre chamanisme et religion chrétienne, réplique de précédentes manifestations dont certaines remontent au XVIIIe siècle. Persuadés de l’existence d’un nouveau messie, ils organisent des « danses des esprits » décrites en détail.

Face à ces manifestations les autorités réagissent de peur de nouvelles alliances entre les peuples indiens. C’est le général Miles, un héros de la Guerre de Sécession puis des guerres indiennes qui commande la riposte à l’automne 1890 : stopper les « Gost Dance » (danses des esprits).

L’auteur décrit l’engrenage qui se met en place : la peur d’une insurrection indienne alimentée par la presse, l’arrivée de l’armée qui alarme les Lakotas et génère la désunion. L’arrestation du vieux chef Sitting Bull le 15 décembre 1890 déclenche une courte révolte qui lui coûte la vie.

Le dernier voyage de Big Foot

Le récit des violences de ce mois de décembre montre toute la haine qui existe entre les deux camps ; la violence gratuite des militaires.

Big Foot est un chef respecté ; pacifique mais qui défend les traditions, il est donc suspect pour les Américains qui le surveillent et veulent empêcher tout contact entre les réserves. Le commandant local entretient de bonnes relations avec Big Foot mais la tension augmente car d’une part les Indiens sont affamés et d’autre part l’administration américaine est intransigeante. Malgré la compréhension de Sumner, au lendemain de l’exécution de Sitting Bull, on ne peut guère utiliser un autre mot, les ordres sont de s’emparer de Big Foot et de déporter son peuple vers l’ouest. Le récit de la fuite4 de ce peuple sur plus de 160 km en cet hiver froid et humide est précis, il s’appuie sur les rapports des troupes américaines et des témoignages indiens. Les troupes se positionnent à Wounded Knee Creek au soir du 26 décembre.

Malgré le drapeau blanc des Indiens qui accompagnent le vieux chef malade et manifeste des intentions pacifiques, ils sont considérés, par l’armée comme des prisonniers de guerre, une « reddition » embellie par la presse.

L’arrestation de Big Foot, 120 hommes et environ 250 femmes et enfants s’est faite sans incident au soir du 28 décembre sur le site de Wounded Knee. Un campement s’installe sous la garde des troupes et sous le regard de journalistes venus observer cette reddition.

Wounded Knee

Trois chapitres font le récit très détaillé des évènements. Un travail d’enquête minutieux basé sur le croisement des sources.

S’ils résistent, détruisez-les !

Le lendemain, le désarmement donne lieu à des incompréhensions comme en témoignent les extraits cités ? Ce moment est d’autant plus délicat qu’une fouille vise à rechercher tout ce qui coupe, y compris les couteaux des femmes pour la cuisine ? Cette fouille est perçue par les Indiens comme une offense. La tension est extrême, un coup de feu déclenche le carnage. Mais qui a tiré ?

L’auteur tente une reconstitution minute par minute. Les témoignages des deux camps sont mis en regard. Ils pourraient être proposés à des élèves pour montrer le travail de l’historien dans la reconstitution d’un fait.

L’auteur décrit des échanges de feu asymétriques : « Selon Tibbles, les coups de feu venant du cercle des guerriers n’auraient pas excédé le nombre d’une demi-douzaine. En revanche la réplique des soldats américains a été dévastatrice.[…] Après la première décharge des fusils des soldats, peu [d’Indiens du conseil] avaient survécu. »5

Le récit détaille un massacre violent de femmes, d’enfants, de vieillards, le pillage des dépouilles6 et le retour de la troupe vers l’agence de Pine Ridge.

Revenus d’entre les morts

Ce chapitre évoque ce qu’il s’est passé dans les heures et les jours qui suivent le massacre : le déplacement des blessés vers Pine Ridge, le traitement des dépouilles, les quelques survivants retrouvés malgré le froid, en particulier de jeunes enfants au côté de leur mère morte.
Le bilan est difficile à établir : face aux
27 soldats américains ce sont 146, 168, plus vraisemblablement 200 morts parmi les Lakota.

Après-coup

L’auteur revient sur l’enchaînement des événements, heure par heure, comme le ferait un rapport de police. Il insiste sur la destruction systématique des traces. Il tente de déterminer le déclencheur mais les témoignages sont contradictoires. Les barrières culturelles ont sans doute joué un grand rôle dans cette tragédie. Il mesure l’inégalité de la puissance de feu et le rôle des canons qui ne laissaient aucune chance aux Indiens réfugiés dans leur camp.

Plus intéressant, l’enquête pour déterminer les responsabilités du massacre de non-combattants désarmés. Les différents rapports internes de l’armée fait clairement apparaître la volonté de se disculper. Il n’y a, par exemple, dans un premier temps aucun décompte des victimes non-combattantes (femmes et enfants). Wounded Knee apparaît comme un succès militaire. Il est vrai que la commission d’enquête n’entend que les officiers et conclue sur la responsabilité des Indiens qui auraient appelé à la résistance et ce malgré les incohérences des témoignages recueillis.

« Honneur à nos vaillants soldats », c’est ainsi que la presse rend compte des évènements malgré une vague d’indignation dans l’opinion publique de la Côte Est et à l’étranger. Eliane Goodale, inspectrice des Affaires indiennes pour le Dakota est chargée d’une nouvelle enquête auprès des survivants indiens : c’est un autre récit.

Si on comprend le souci de l’auteur de rendre un compte minutieux de toutes les sources possibles, l’accumulation des détails rend la synthèse mal aisée.

Il démontre le choix, pour les autorités comme pour la presse d’honorer les soldats et les exonérés de toute violation du droit. Il fallait donc présenter les Lakotas comme dangereux : « un ennemi malin et sauvage »7 qui n’avait jamais mis en valeur leur terre. Un monument rend hommage aux soldats dès 1893 et le show de Buffalo Bill clos le chapitre des guerres indiennes.

Pour les Indiens leur histoire n’a pas été écrite. Les témoignages des rescapés montrent un peuple vaincu qui a tout perdu. Dans les mémoires reste l’image d’une femme morte son bébé vivant retrouvé à ses côtés. Pour les Indiens qui avaient avant 1890 accepté l’assimilation c’est la désillusion : quoiqu’ils fassent ils perçoivent ils sont vaincus. Wounded Knee est un réel traumatisme du fait de la mort des femmes et des enfants. La demande de réparation8 faite dès février 1891 est soldée par l’octroi d’un fond de 100 000$ à ceux qui ont perdu des biens à cause des « danses des esprits » : un non-sens et beaucoup de détournements. En 1903 une stèle aux morts lakota dont la signification est ambiguë.

La guerre des mémoires

Dans le chapitre sur l’impossible réparation l’auteur présente le travail de collecte de l’information auprès des survivants, isolés et dispersés dans les réserves. Ce travail est l’œuvre d’un Sioux Oglala éduqué, Joseph Horn Cloud, au début eu XXe siècle qui eut un rôle de porte-parole dans les négociations et demandes répétées de réparation entre 1902 et 1920.
En 1924 pour remercier
les Sioux de leur participation aux combats en Europe lors de la première guerre, ils obtinrent la nationalité Américaine sans que ne soit évoqué le massacre de 1890. En 1934 le surintendant de la réserve de Pine Ridge lance une nouvelle enquête auprès des survivants qui chaque année viennent se recueillir devant la fosse de Wounded Knee, et ce pour faire connaître lz point de vue des Lakota.

Enfin avant que les derniers survivants ne disparaissent le Congrès discute, dans de longs débats de cette question de réparation, décret finalement rejeté en août 1940. Laurent Olivier montre qu’aujourd’hui encore des recours sont encore tentés.

Peut-on parler de génocide ?

L’auteur rappelle l’origine et la définition du concept de génocide . Il dit les remous occasionnés aux Etats-Unis autour de la question cela pourrait-il être appliquée pour les esclaves et des Indiens ?

Il revient sur les différentes acceptions du terme : pratique de destruction culturelle / destruction intentionnelle d’un peuple entier. Dans le cas des Amérindiens était-ce détruire pour soumettre ou détruire pour éradiquer ? Cette réflexion interroge toute l’histoire américaine, celle des guerres indiennes mais aussi du statut des Indiens (jugement de Standing Bear).

Sommes-nous ce genre d’hommes ?

Comment des soldats expérimentés comme les Officiers ou novices comme de nombreux soldats présents à Wounded Knee devinrent-ils les auteurs de ce massacre ?

Laurent Olivier retient trois circonstances favorables : le statut inégal des protagonistes ; des codes moraux différents : « La violence qui se déchaîne sur les Lakota a ainsi pour but affiché de préserver les colons américains de la « sauvagerie » indienne incarnée par la Ghost Dance »9 ; la soumission à l’autorité comme le montre l’attitude des éclaireurs indiens de l’armée américaine.

Les suites du massacre : gestion des corps, business des reliques est assez semblable à d’autres massacres de masse. De nombreuses « reliques » du massacre, pillées sur les corps, sont encore aujourd’hui dans les collections publiques (musées) ou privées et font l’objet d’un commerce.

Comme il l’avait fait à Blois en octobre dernier l’auteur pose la question : que nous apprendraient des fouilles archéologiques du site ?

Souviens-toi de Wounded Knee

Que faire de ce site ? Entre un projet inabouti de parc historique à vocation touristique, lancé en 1952 et la publication en 1970 de Enterre mon cœur à Wounded Knee10 ce site est devenu un symbole de la destruction des peuples amérindiens. L’auteur rapporte un bégaiement de l’histoire en 1973 : une manifestation de l’AIM11 pour dénoncer l’effacement culturel des Indiens débouche sur un siège de 71 jours par la police des Affaires indiennes et le FBI12.

Le dialogue est impossible entre l’administration américaine et des Indiens qui demandent le retour au traité de 1868, entre deux univers culturels différents.
Pour les Sioux la guérison du traumatisme ne peut être obtenue que par des réparations, impossibles à obtenir, et le souvenir. Depuis 1986 des cavaliers refont le dernier voyage de Big Foot pour « essuyer les larmes », faire le deuil. Pour eux le site est sacré.

Les Lakota se sont battus pour conserver leur mémoire. L’archéologie pourrait être à leur service, s’ils le souhaitent.

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1  La nation Lakota regroupe sept clans : les Oglalas, les Hunkpapas, les Minnecoujous, les Sans-Arcs, les Brulés, les Two Kettles et les Blackfeet-Sioux.

2  Sur cette présence voir : Sous la direction de Dean Louder et Eric Waddell, Franco-Amérique, Québec, éditons du Septentrion, 2017

3  Création d’internats pour les enfants indiens comparable à ces pensionnats autochtones qui, aujourd’hui, sont dénoncés au Canada : Pensionnats indiens au Canada

4  Carte p. 88

5  Citation p. 163 et 165

6  Notamment grâce à la correspondance des soldats.

7  Citation p. 291

8  Dans la tradition amérindienne, tout homicide doit être réparé

9  Citation p 401

10  Texte de Dee Brown, publié en français chez Albin Michel en 2009 et le film d’Yves Simoneau

11  American Indian Movement

12  https://www.youtube.com/watch?v=vcKyGkhVq8Y