D’abord un grand blanc. Puis peu à peu le visage du créateur se fait jour, celui d’Otto Mueller, un « artiste libre et sans étiquette », qui est en train de réaliser un chef-d’œuvre dans un coin de forêt en compagnie de sa muse, Maschka.
La toile finalisée, le lecteur ne visualisera l’histoire à venir qu’à travers ses yeux : l’histoire même de l’œuvre, Les Deux filles Nues (d’où le titre de l’album éponyme) et celle de l’Allemagne entre 1919 et aujourd’hui. La toile suit d’abord son géniteur à Breslau, où, séparé de sa femme, il devient professeur de nu à l’académie de la ville.
Otto Mueller vend la toile à Ismar Littmann, avocat amoureux de l’art moderne, qui l’accroche dans son bureau. Depuis la fenêtre du bureau de Littmann, le tableau observe la montée de la pénombre nazie, ses violences et le suicide de son propriétaire.
Spoliée par les nazis, la peinture intègre l’exposition d’« art dégénéré » de Munich, dans la section intitulée, de manière immonde, « l’aspiration juive à la sauvagerie se révèle : le nègre devient l’idéal racial de l’art dégénéré ». Elle croise entre autres le regard de personnages sinistres comme Adolf Ziegler, « peintre préféré d’Hitler » à l’origine de la confiscation des œuvres d’art moderne et organisateur de l’exposition susnommée où Wolfang Willrich, pamphlétaire sordide a associé l’art moderne à l’handicap mental.
L’œuvre suit ensuite le cours des « expositions » et doit sa survie, avec celle d’autres toiles, à Josef Haubrich qui en fait don au musée Wallraf de Cologne. Restituée à Ruth Littmann qui en avait été dépossédée, elle est aujourd’hui exposée à Cologne, au Musée Ludwig.
Tout est beau dans l’œuvre de Luz : les dessins sont magnifiques, l’histoire est bouleversante et le point de vue est extraordinaire.
Deux Filles Nues est une superbe réalisation d’un maître incontestable du neuvième art.
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