Joe Sacco, qui n’avait plus réalisé de bande dessinée documentaire depuis Gaza 1956 en 2010, revient à ce genre qu’il a popularisé.
Avec Payer la terre, il nous entraine dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada, une région grande comme la France et l’Espagne réunis, mais peuplé de seulement 45 000 habitants.

Allant à la rencontre des autochtones, il nous retrace l’histoire de ce pays depuis l’arrivée des premiers colons et en dresse un portrait terrible, tant économique qu’écologique qu’humain. ».

Joe Sacco, reporter et dessinateur de grand talent, s’est rendu, comme le précise la quatrième de couverture de l’ouvrage, « dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, au-dessous de l’Arctique, une région grande comme la France et l’Espagne, mais peuplée de seulement 45 000 personnes ».

L’enquête menée auprès des Dene, terme signifiant le « peuple » et désignant, dans le nord du Canada, « le groupe indissociable de Premières Nations dont la culture est intimement liée à la terre », est d’une très grande qualité journalistique.

Associant travaux de recherche et interviews, l’album montre comment un peuple a été sciemment spolié et acculturé par les autorités politiques de l’État canadien.
Après avoir évoqué le mode de vie qui fut celui des Dene, associant nomadisme et quasi autarcie, Joe Sacco revient sur les problématiques contemporaines d’exploitation du sous-sol (gaz et pétrole) du territoire historique de ces nations autochtones et sur les débats internes liés à cette pratique.

L’histoire de la prédation du territoire des Dene est également évoquée, la découverte d’or et de pétrole aiguisant les appétits de contrôle du gouvernement. Par le « traité 11 » de 1921, le Canada a ainsi préempté la terre des Dene pour une annuité de 5 dollars et des outils.

Le système des « pensionnats autochtones », véritables machines à acculturer par la peur, a contribué à briser les communautés, en retirant les enfants aux familles et en les coupant de tous repères. Ses conséquences furent effroyables : sévices à l’encontre des élèves, éradication d’une culture et de ses modes d’expression avec pour corollaire, pour ceux qui passèrent par leurs rangs, alcoolisme, violences en série et quasi ostracisme pour certains.

Le militantisme, les combats politiques autour des revendications territoriales et pour sauver la culture Dene sont mentionnés à travers toute une série de très beaux portraits.

Joe Sacco ne verse jamais dans le manichéisme mais il montre clairement, à travers son enquête, comment un État et des entreprises ont cherché à prendre possession d’une terre et de ses ressources, au mépris d’un peuple dont la conception de la propriété est ainsi résumé par Réné Fumoleau, l’un des témoins de cet album : « la terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. Les hommes blancs sont venus et ils ont voulu la partager avec nous. Ils nous ont demandé si l’on pouvait faire quelque chose pour eux. Mais la question de la terre était impossible…on ne vend pas son père et on ne vend pas sa mère ».
Grégoire Masson

Présentation de l’éditeur. «En 2015, Joe Sacco s’est rendu par deux fois dans les territoires du Nord-Ouest du Canada, au dessous de l’Arctique. Il est allé à la rencontre des Denes, un peuple autochtone. L’auteur nous raconte l’histoire de ce peuple, ses traditions, restées intactes pour certaines, les premières rencontres avec les Anglais.

Pendant longtemps les peuples indigènes du Grand Nord, vivant sur des terres non propices à la colonisation agricole, restèrent livrés à eux-mêmes, jusqu’à ce que la découverte de pétrole et d’or incite le gouvernement à officialiser son autorité sur eux, comme sur leurs terres. À cette période, les autorités s’appropriaient les territoires, non plus par les massacres, mais cliniquement, méthodiquement, et de façon administrative — grâce à des traités.

En lisant ceux-ci, on n’échappe pas à l’impression que les « Indiens » ont donné la terre où ils vivaient en échange de la promesse d’une annuité de quelques dollars, de quelques outils et de médailles pour ceux qui se disaient leurs chefs. Aujourd’hui, la fracturation hydraulique ajoute la pollution à la spoliation initiale.