Prix Le Monde de la recherche universitaire, la thèse de Cécile Van de Velde soutenue en 2004 a été publiée en 2008 aux PUF. Cette reconnaissance tient autant à la qualité du travail réalisé qu’à la pertinence du sujet. Ce texte amène le lecteur à se demander si « La jeunesse peut-elle encore être pensée comme une transition, quand on sait que cette transition peut désormais se prolonger tout au long de la vie ? »

L’adulte, dans nos sociétés actuelles, ne se conçoit plus comme un être fini mais en perpétuelle formation. « L’âge adulte devient une ligne d’horizon, mouvante et subjective, associée à l’idée de responsabilité et de maturité. » Olivier Galland avait le premier repéré cet allongement de la dépendance dans ses travaux. « Dans une société valorisant la mobilité et le devenir, l’entrée dans la vie adulte tend à relever davantage d’une représentation de soi que d’acquis statutaires. »

Pour rendre compte de cette jeunesse, l’auteure s’est appuyée sur des données statistiques et qualitatives issues du panel européen des ménages (1994 -1999) et sur 135 entretiens semi-directifs conduits auprès de jeunes adultes du Danemark, du Royaume Uni, de France et d’Espagne. Les entretiens n’ont pas été conduits par l’auteur seule mais aussi par d’autres personnes appartenant à un réseau qu’elle a noué au fil de ses allers et retours en Europe. Ils répondent toutefois à une même règle. Ils ont été menés, partout, à la fois dans la capitale du pays et dans une ville moyenne.

Elle est partie de l’hypothèse que les sociétés ont un effet structurant « sur les trajectoires de jeunesse et sur les conceptions de l’adulte qui leur sont associées. » Elle a choisi les quatre pays d’entretiens en reprenant la typologie de Gosta Esping-Andersen qui articule solidarités familiales, aides publiques et recours au marché du travail pendant la jeunesse. Après « de maints allers-retours entre expériences vécues et analyses statistiques », cela a donné quatre formes d’expériences du « devenir adulte » : « Se trouver », « S’assumer », « Se placer », « S’installer ».

« Se trouver », c’est ce qui caractérise les jeunes Danois. Pour cela, l’Etat danois pourvoie à l’indépendance financière des jeunes, qui suivent des études supérieures, en leur octroyant une allocation de près de 600 euros par mois. Aussi, les jeunes Danois quittent très tôt le domicile familial (âge médian de départ de chez les parents : 20 ans) pour s’installer en colocation, en couple ou vivre seul. Il y a émergence d’une « famille intermédiaire entre la famille d’ « orientation » et la famille de « procréation » (cf Talcoot Parsons, 1955). Ce départ s’inscrit en continuité avec l’adolescence où l’autonomie est acquise très tôt : les adolescents recherchant très vite des moyens de gagner de l’argent. Il n’est pas rare que les jeunes Danois remboursent leurs parents pour les frais qu’ils ont engagés pour eux à partir de l’âge de 15 ans. Si jamais, le jeune ne quitte pas le domicile parental autour de 20 ans, il est normal qu’il paie un loyer à ses parents. Emmanuel Todd voit dans ce modèle celui de la famille « nucléaire absolue ». Ce qui compte le plus dans la formation de la jeunesse, c’est de « faire son ego-trip » avant de penser à fonder une famille. « Entrer de façon linéaire à l’Université juste après le lycée est, au contraire, relativement dévalorisé. » Aussi, travailler pendant un an, faire des études à un autre moment ou en même temps que l’on travaille, cela n’a rien de scandaleux. « Toutefois, « 30 ans, c’est la fin » : la frontière des 30 ans marque la frontière symbolique de cette période d’expérimentation institutionnalisée. »

« S’assumer » correspond au mode de vie des jeunes britanniques. Si ce modèle s’apparente au modèle danois, il est beaucoup plus précaire. A défaut d’allocations, le jeune n’hésite pas à s’endetter pour faire ses études ou à travailler pour les financer. Aussi, les études des jeunes britanniques sont souvent courtes, surtout que les frais d’entrée à l’université sont élevés. L’université (la « culture de l’internat ») est un lieu de socialisation central dans le parcours du jeune. Ce n’est pas tant la spécialité de formation qui importe que le rite de passage qu’il représente. Au Royaume-Uni, « le diplôme n’est pas le seul « passeport » vers l’intégration professionnelle. » Il n’existe pas cette idée d’un définitif irréversible (comme en France), lié au diplôme. C’est l’individu qui est l’acteur de sa propre carrière au fil des occasions qui se présentent à lui. Le poids financier que représentent les études au Royaume Uni est responsable d’un fort taux d’endettement des étudiants. De nombreux jeunes, dès qu’ils le peuvent, retournent au foyer familial pour réduire les coûts d’étude en attendant d’avoir un emploi. Cette tendance va donc à l’encontre de l’idée « d’une société valorisant les notions d’indépendance et de responsabilités individuelles ».

« Se placer », est le propre de la jeunesse française. « La France demeure la patrie de l’honneur, des rangs, de l’opposition du noble et du vil, des ordres, des corps, des états, qui se distinguent autant par l’étendue de leurs devoirs que par celle de leurs privilèges. » La jeunesse est un moment déterminant car par les études menées elle va conditionner le destin social de l’individu. C’est donc un moment terrifiant, surtout pour ceux qui n’ont pas les clés pour « se placer ». Cécile Van de Velde réfute le modèle « Tanguy », ce grand enfant qui ne veut pas quitter le domicile familial même en ayant acquis son indépendance financière. Ce genre de situation est plus qu’anecdotique. Pour l’auteur, il faut distinguer deux comportements suivis par les jeunes en fonction de leur origine sociale. Les jeunes issus de milieux populaires ont un comportement radicalement différent de ceux issus de classes moyennes et aisées. Ils restent plus longtemps au domicile familial mais participent financièrement à son fonctionnement (paiement d’un loyer, remplissage du réfrigérateur, tâches ménagères). Toutefois, l’âge de 25 ans semble un seuil à ne pas franchir en restant chez ses parents, sinon « c’est la honte. » Les jeunes issus des classes plus aisées accèdent à une indépendance très tôt mais c’est une indépendance sans finances. Ils ne vivent plus sous le toit familial mais vivent dans un appartement payé par leurs parents. C’est de la fausse indépendance comme en témoigne « la sociologie du linge sale ». Tant que le jeune revient au domicile familial pour apporter son linge sale et récupérer l’équivalent lavé et repassé, le cordon n’est pas coupé ! Cette manière de « gérer sa carrière » dès l’adolescence est très discriminante et plus particulièrement pour les jeunes issus des classes populaires. Pour les autres, l’idée d’urgence et de l’angoisse du retard l’emportent tout au long des études et provoquent du stress. Le parcours linéaire est valorisé car il est un gage d’une plus rapide insertion sur le marché du travail.

« S’installer », c’est ainsi que se caractérise la jeunesse espagnole qui décohabite autour de l’âge de 27 ans (quand elle ne revient pas habiter chez Papa et Maman avec la crise actuelle !). Elle attend de partir pour s’installer en couple, dans le cadre du mariage, une fois son avenir professionnel assuré et par un accès à la propriété immobilière. On quitte le foyer quand on en crée un. Partir plus tôt est vécu comme « une trahison affective » ! Des jeunes partent pour faire leurs études et reviennent habiter à la maison ensuite. La cohabitation des jeunes espagnols dans la famille est souvent qualifiée d’ « hôtel de luxe » : pas de participation aux tâches ménagères, pas de paiement d’un loyer le plus souvent mais en revanche, pas question d’y amener sa petite amie ! On est à des milliers de kilomètres (et c’est le cas) de ce qui se pratique au Danemark ! Quand la petite amie rencontre la famille espagnole, c’est dans le cadre d’un engagement à long terme. Cette manière de faire ne va pas sans conflits, toutefois. Mais, le jeune espagnol n’a pas le choix. L’Etat espagnol est l’un de ceux (comme le Portugal, l’Italie, la Grèce) en Europe qui aide le moins les jeunes.

Ce tour d’horizon européen rend compte d’une pluralité des jeunesses. Si tous les jeunes se retrouvent derrière l’idée que cette période est celle d’ « une quête de soi », les chemins pour y arriver sont très variés. Pourtant, à l’heure de la mastérisation engagée dans le cadre européen, cette diversité pose bien des questions quand on constate à quel point l’investissement des Etats dans la jeunesse est différent. Egalité des diplômes ne signifie pas équité à leur accès.

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes