Hubert Védrine a débuté sa carrière en 1974 comme chargé de mission au ministère de la Culture. Puis, en 1979, il bifurque vers la direction générale des relations culturelles du ministère des Affaires étrangères, au département du Proche et Moyen-Orient.

Un grand diplomate

Durant le premier septennat de François Mitterrand (1981 – 1988), il est conseiller à la cellule diplomatique, puis rejoint le Conseil d’État lors de la première cohabitation. En 1988, il devient porte-parole de la présidence. En 1991, il est nommé secrétaire général de la présidence de la République, jusqu’au départ de François Mitterrand en mai 1995 ayant passé quatorze années à l’Elysée.

Durant l’année 1996, il rejoint le Conseil d’Etat où il avait auparavant nommé maître des requêtes en 1986 et publie un ouvrage de 800 pages sur la politique étrangère de l’ancien Président : Les Mondes de François Mitterrand.

En mai 1997, après la victoire du PS aux législatives, Lionel Jospin le choisit, et le Président Jacques Chirac le nomme Ministre des Affaires étrangères, fonction qu’il conservera cinq ans jusqu’au terme de la cohabitation en mai 2002.

Il vit la fin de l’URSS en direct. Il publie une première sélection de ses articles et discours des années 1995-2003 sous le titre : Face à l’hyperpuissance, qui sera suivie d’un nouveau recueil en 2009, Le Temps des chimères, puis en 2011 par Dans la mêlée mondiale.

Depuis 2003, Hubert Védrine préside l’Institut François Mitterrand. La même année, Hubert Védrine créé une société de conseil en stratégie géopolitique : Hubert Védrine Conseil.

En 2007, avec Pascal Boniface, il publie l’Atlas du Monde global, suivi en 2009 de l’Atlas des crises et des conflits, réactualisé en 2015, et en 2011 de l’Atlas de la France.

Il publie aussi en 2008 La Politique étrangère américaine.

En novembre 2012, Hubert Védrine remet au Président Hollande un « rapport sur les conséquences du retour de la France dans l’OTAN, sur la relation transatlantique et sur l’Europe de la défense et publie la même année Dans la mêlée mondiale ».

En 2013 – 2014, il préside la commission qui rédige un rapport sur les perspectives économiques entre l’Afrique et la France.

Son essai La France au défi, paraît en 2015, suivi de Le monde au défi, en avril 2016. Son ouvrage Sauver l’Europe en novembre 2016. Au printemps 2020, Hubert Védrine publie Et après ? Il s’y penche sans détours sur tous les débats qui vont forger l’après-pandémie mondiale.

Hubert Védrine est donc un diplomate reconnu par ses homologues étrangers et français pour la finesse de son analyse et sa maîtrise des rouages ministériels et internationaux.

Les mouvements profonds de l’Histoire

En un peu plus de 500 pages, l’auteur brosse à grands traits les femmes et les hommes, les lieux de pouvoirs, les organisations internationales, les courant de pensées qui structurent notre monde. Au-delà d’une connaissance approfondie du monde de la diplomatie, Hubert Védrine nous pose une question simple : Qu’est-ce que l’Histoire a à nous dire ? On pourrait penser qu’elle n’a rien à nous enseigner dans ce monde globalisé et hyperconnecté. Et pourtant, tout semble indiquer que sous la Toile où fourmillent des milliards d’internautes, l’Histoire semble continuer sa route au long cours, avec ses forces souterraines, ses peuples, ses nations, ses peurs, ses ambitions, ses idées, ses mémoires et tout ce qu’elle véhicule. Le pire comme le meilleur.

Impossible par conséquent d’appréhender notre monde actuel et se préparer à celui qui vient, enrayer ses menaces si on n’embrasse pas en permanence deux niveaux : les forces globalisantes et uniformatrices, et les forces qui y résistent, les perspectives nouvelles, les menaces anciennes ou récentes.

249 entrées ont donc été choisies pour tenter de décrypter cette matière en fusion permanente.

Hubert Védrine y apporte la vision globale qu’on lui connait. Elle permet ainsi que chaque chapitre ne soit pas une définition fermée. Il y ajoute aussi son habituelle causticité. On ne sera donc pas étonné de le voir évoquer le Gaullo-Mitterrandisme, concept qu’il a lui-même forgé. Comme un fil rouge dans cet ouvrage apparaît la question de l’avenir de notre pays et des marges de manœuvre dont il dispose dans ce monde multipolaire.

Hubert Védrine est un adepte de la realtpolitik. Il ne s’en cache pas. Il n’hésite pas à réhabiliter le cynisme, mot employé à contresens selon lui puisqu’à l’époque des Grecs anciens, le cynisme signifiait au contraire la vertu et la sagesse grâce à la liberté de pensée, de parole. Et tant pis si cette position heure l’opinion dominante du moment, en général hypocrite.

Inventeur du terme irrealtpolitik, il l’oppose à la realtpolitik, c’est-à-dire des politiques étrangères et diplomaties fondées sur les réalités et le réalisme, qui ont conduit à des compromis contrairement à l’irréalisme, l’utopisme, le chimérisme même drapés dans le wilsonisme et le droit-de-l’hommisme.

Il inventa également le terme d’hyperpuissance, prononcé dans la revue Jeune Afrique en 1998. Il estimait que pour la plus grande puissance de tous les temps (Etats-Unis), superpuissance devenait trop limité et connoté guerre froide. La presse américaine dénonça cette dénomination et souleva une controverse. Madeleine Albright alors secrétaire d’Etat de Bill Clinton le contacta pour lui demander de s’expliquer. En fait, le préfixe hyper est perçu comme péjoratif en anglais, contrairement en français. Hubert Védrine voulait simplement signifier que les Etats-Unis de la décennie des années 1990 se définissaient par cette hyperpuissance sans commune mesure, sans appel et sans adversaire digne de ce nom.

L’auteur n’esquive pas le sujet du Rwanda (une entrée sur 249) dont il admet qu’elle est la controverse la plus virulente sur la politique étrangère française contemporaine. Il décrit les deux thèses qui s’opposent toujours : celle qu’il soutient lui-même selon laquelle la France est le seul pays qui, ayant pris conscience des risques de massacre inhérents à la guerre civile déclenchée en 1990, a agi pour enrayer cet engrenage (signature des accords d’Arusha en août 1993) ; l’autre, celle de Kigali et de ses relais selon laquelle la France a coopéré avec un régime qui préparait un génocide. Peut-être que la déclassification de documents nous permettra d’y voir plus clair dans quelques années.

Pour conclure, le dictionnaire amoureux de la géopolitique d’Hubert Védrine se lit comme on picore un plat apprécié. Très agréable à lire, les sujets abordés, qu’il s’agisse des biographies des grands de ce monde ou autres sont très finement analysés. A lire absolument pour, justement, tenter de comprendre le monde qui vient.

Pour les Clionautes

Bertrand Lamon