Patrick Royer est co-auteur de West African Challenge to Empire : Culture and History in the Volta-Bani anti-colonial War, Ohio University Press/James Currey, 2001 (prix Amaury Talbot de la Royal Anthropological Society). ll enseigne au Rensselaer Polytechnic Institute dans l’État de New York.

L’idée principale de l’auteur est que le rapport de guerre se perpétue dans la pacification, il est donc le principe organisateur de la société coloniale. L’étude porte un territoire militaire qui s’étend sur la région actuelle du Sud Mali et du Burkina-Faso où fut expérimentée la « méthode Gallieni » et qui est aussi en ce début de XXIe siècle le lieu d’une nouvelle guerre djihadiste. L’étude s’appuie sur les sources françaises mais aussi sur une connaissance profonde des savoirs des griots et de la tradition orale de l’Afrique de l’Ouest, ce qui rend cet ouvrage novateur et particulièrement intéressant.

L’ouvrage est organisé en trois parties : une réflexion générale sur les guerres d’empire avec une étude plus spécifique sur le rôle de la guerre dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest ; la conquête militaire du Soudan occidental ; les méthodes de conquête et de pacification et les débats de la fin du XIXe siècle sur la guerre comme instrument de l’expansion dans le monde.

L’auteur a la volonté de donner la parole à tous les camps et rappelle que les héros africains de la résistance à la conquête étaient souvent eux-mêmes des conquérants dont les intérêts, finalement assez proches de ceux des Européens, étaient en concurrence.

Dans son introduction il rappelle que le recours à la guerre au début et à la fin de la conquête du Soudan1 fut une entreprise dont le bien-fondé n’était évident ni pour les hommes politiques français ni même pour beaucoup de militaires.

Guerre et société au Soudan occidental

Le premier chapitre, Guerres d’empire, présente les rapports entre guerre, conquête et pacification et plus précisément les points communs entre les guerres coloniales et les autres guerres. Il propose une réflexion sur les mots : guerre, rébellion, résistance, troubles. L’auteur montre que les historiens sont réticents à utiliser le mot guerre. La conquête a pourtant, à l’époque, été perçue comme une guerre tant par les populations qui encore au début du XXe siècle ne s’estiment pas soumises que par les militaires en place.

Le second chapitre, La guerre coloniale : la technologie et les hommes, montre la supériorité technologique de l’armée française et insiste sur le rôle des tirailleurs sénégalais. Il est suivi d’une description, dans La guerre africaine, des techniques de combat des armées africaines, leurs armes (arcs et fusils) et le système de défense des « tata ».

Le chapitre quatre, Le pouvoir et le territoire, est une réflexion sur l’organisation des sociétés africaines en quartiers, villages. L’autorité du chef, quelque soit l’étendue de son pouvoir, y est fondée sur l’histoire réelle ou légendaire qui découle de l’autorité de la famille du fondateur (chasseur ou guerrier). L’auteur aborde les systèmes d’alliance : confédération entre villages ou coalitions militaires face aux armées de puissants voisins comme l’état du Macina, coalitions que l’on retrouve face aux avancées françaises. C’est l’occasion d’évoquer de grands conquérants d’avant la conquête française comme Seikh Ousmane dan Fodio ou Al Adj Umar dont l’auteur décrit les modes de déplacement et de combat.

Guerre et imagerie populaire, ce chapitre analyse les relations entre le pouvoir et la guerre pour les peuples africains et notamment dans la culture mandé, le rôle des femmes à travers diverses gestes dont celle de Sunjata. L’auteur prend comme exemples Samori Touré, Mamadou Lamine, Tieba Traoré dont il décrit les récits populaires tout en mettant en parallèle les sources françaises.

 

Les guerres de conquête au Soudan occidental

Cette seconde partie est plus événementielle. L’auteur y relate les débuts et la fin de la conquête en cinq chapitres qui prennent pour source les archives françaises.

C’est d’abord la transformation des relations commerciales en régime de conquête à partir des années 1850 et le rôle de Faidherbe. Comment le commerce induit la pénétration le long du fleuve Sénégal.
Puis avec Gallieni ce sont les combats contre Amidou, successeur d’ Al Adj Umar dans la région de Ségou et l’avancée vers le Niger.

Ce sont ensuite les campagnes de Borgnis-Desbordes pour atteindre le fleuve Niger et le débat entre l’utilisation de la force ou le choix de la diplomatie.

Les troubles de 1885 au Haut-Sénégal conduisent à la politique de destruction des villages. Puis, avec le retour de Gallieni, les débuts d’une organisation territoriale et de mise en valeur pour une pacification qui fit sa gloire.

Enfin le dernier chapitre est un récit, selon l’historiographie occidentale, de la fin de la conquête de la boucle du Niger.

 

Guerre et pacification au Soudan occidentale

Dans cette troisième partie l’auteur développe une réflexion sur les théories et les méthodes de la guerre coloniale française, approche tant politique que militaire.

Conquête et pacification. Comment pacifier après la conquête, quelle forme de domination s’appuyant sur des rapports de forces ? L’auteur détaille la connaissance des populations et les outils mis en place notamment à travers l’impôt et l’utilisation des vielles rivalités entre ethnies, notamment entre populations rurales et « anciens envahisseurs », souvent musulmans déjà évoqués au chapitre quatre, dont la mémoire n’est pas éteintes encore aujourd’hui.

L’art français de la guerre coloniale, est une analyse de la « méthode Gallieni », sa genèse, son expérimentation, la connaissance tant géographique qu’ethnographique du terrain et la théorisation du recours à la force

Conquête et civilisation, L’auteur revient sur les réflexions du XIXe siècle sur la guerre et le rapport à la richesse des nations : Benjamin Constant, Clemenceau, Novikow. C’est aussi le temps de la « race » analysé ici, de la distinction entre guerre européenne et guerre en Afrique.

 

En annexe, pour compléter le point de vue africain l’auteur propose trois biographies : Garam Modi Siré, conquérant africain puis auxiliaire de la conquête française ; Diosé Traoré, résistant malien face à Borgnis-Desbordes et Archinard ; Diaman Bathilly interprète et administrateur noir.

 

Un ouvrage d’une grande richesse qui propose une réflexion sur la guerre coloniale, la connaissance des récits des griots et de la tradition orale de l’Afrique de l’Ouest rend cet ouvrage novateur et particulièrement intéressant.

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1   Sur ce sujet on pourra se reporter à la recension des ouvrages : Colonel Albert Baratier, A travers l’Afrique / Epopées africaines, L’Harmattan, 2015 – Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, Presses Universitaires de Rennes, collection Carnot, 2009 – Christian Roche, Les Résistances africaines aux conquêtes djihadistes et françaises du XIXe siècle, L’Harmattan. 2019