Gilles Perrault est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sont consacrés à la Seconde Guerre mondiale, à l’espionnage et à la Résistance ; citons parmi ceux qui ont remporté un grand succès L’Orchestre rouge, La Longue Traque, Le Secret du Jour J et Le Grand Jour. Mais il a aussi écrit Le Pull-Over rouge et Notre ami le roi. Il publie aujourd’hui dans la célèbre collection des « dictionnaires amoureux », un Dictionnaire amoureux de la Résistance, titre qui pourrait paraître incongru, voire déplacé, à qui ne connaîtrait pas la collection et ses principes. Il est admis que l’auteur s’y livre en pleine subjectivité à tous les développements qu’il souhaite sur un sujet qu’il connaît et qui le passionne. Délivré de toute contrainte chronologique et même thématique (rien n’oblige l’auteur à se montrer exhaustif), Gilles Perrault peut affirmer tout le bien qu’il pense des résistantes, des résistants et de la Résistance, considérée comme « le chapitre le plus romanesque de notre roman national ».
« Certains historiens ont un problème avec les résistants, et réciproquement. »
Il ne s’agit donc évidemment pas d’un dictionnaire historique auquel on pourrait se référer pour une connaissance précise et nuancée de la Résistance, de ses organisations et de leurs difficiles relations, de ses multiples aspects, de son évolution etc. Tout au long des 121 entrées de son dictionnaire Gilles Perrault révèle néanmoins une excellente connaissance du sujet et si, dans l’article « Historiens » il s’en prend assez méchamment à Henri Rousso, accusé d’avoir défendu une approche distancée, méthodique et critique de la Résistance et d’avoir voulu rompre avec une approche jugée trop hagiographique et fondée sur les témoignages, il montre qu’il a lu la plupart des historiens spécialisés en distillant, l’air de rien, leur nom, tout au long de ses développements. Il s’agit sans doute de petits cailloux laissés de place en place pour que l’on puisse suivre son itinéraire et qu’on ne puisse l’accuser de légèreté : il est ainsi plaisant de relever les noms de Laurent Douzou, Pierre Laborie, Jean-Pierre Azéma, Denis Peschanski, François Marcot, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Julien Blanc, Daniel Cordier, André Guérin, Henri Noguères, Claire Andrieu, Raphaël Scheck et bien sûr Robert Paxton et Henri Michel, dans des articles qui sont très loin d’être universitaires et dans un ouvrage qui ne propose pas de bibliographie. Pas question donc d’accuser l’auteur de légèreté ou d’amateurisme !
En toute subjectivité
Gilles Perrault assume une totale subjectivité, qui est bien dans l’esprit de la collection. Elle se marque par le choix des entrées, par le contenu souvent très original d’un développement que l’on ne s’attendait pas à trouver dans telle ou telle entrée, et par le recours assez fréquent à des souvenirs personnels et familiaux. Il rappelle qu’il avait 13 ans à la Libération, que ses parents avaient des activités de résistance dans le cadre d’un réseau dépendant du SOE britannique, raconte l’écoute familiale de radio Londres, l’émotion de la famille apprenant les combats de Bir Hakeim, ou les angoisses qui l’étreignaient quand, revenant du lycée, il craignait de voir une traction avant stationner devant l’immeuble de l’appartement familial. La subjectivité s’exprime aussi par le récit de quelques rencontres au cours de ses longues années de recherche : avec Henri Frenay, le fondateur de Combat ou avec Léopold Trepper, le chef de l’Orchestre rouge. Elle s’exprime enfin dans un certain nombre de points de vue qui sont fondés sur des convictions et non sur des démonstrations argumentées. On peut par exemple trouver bien réductrice l’affirmation selon laquelle les jeunes sont dans la Résistance, et les vieux à Vichy ! Une large partie de la première génération de résistants était en effet assez âgée et composée d’anciens combattants de la Grande Guerre.
Le Panthéon des héros
27 entrées sont consacrées à des présentations biographiques de résistantes et de résistants, celles et ceux pour lesquels l’auteur éprouve la plus grande empathie et la plus forte admiration, celles et ceux dont les actions conjuguées constituent une véritable épopée qui est au coeur de sa conception de la Résistance et qui structure l’ouvrage. Beaucoup sont connus, d’autres le sont moins : Étienne Achavanne, « le premier à se retrouver face à un peloton (dans les premiers jours de juillet 1940) pour avoir était condamné à mort par une cour martiale allemande régulièrement réunie », où Jacques Bonsergent, le premier fusillé parisien, qui n’appartenait pas à la Résistance mais dont la « conduite aux mains de l’ennemi fut celle d’un résistant », ou d’autres encore, laissons au lecteur le plaisir de les découvrir. Au Panthéon de Gilles Perrault on trouve bien sûr Lucie et Raymond Aubrac, Berty Albrecht, Jeanne Bohec, Georges Guingouin et Jean Moulin, mais on trouve aussi de précises et touchantes présentations de Charles Debarge, Andrée De Jongh, Simone Michel-Lévy ou Vera Obolensky. Gilles Perrault est sincèrement admiratif de toutes les actions de ces femmes et de ces hommes, qu’il s’agisse de renseignement, de sabotage ou d’autres missions. Il considère que la Résistance est un tout, et lui, dont l’engagement à gauche a toujours été notoire et public, rend hommage à plusieurs résistants issus de la droite ou de l’extrême droite.
Des entrées inattendues
Beaucoup d’entrées sont assez inattendues par leur titre ou originales par leur contenu et leur structure : « Actes de désespoir », « Amours », « Bonheur », « Culot », « Déclic », « Haine », « Engueulades », « Parler », « Signe particuliers », « Sectarisme », « Trahisons » etc. Elles sont toujours fondées sur un récit précis, concret et vivant. D’autres sont bien plus classiques, mais sous un titre en apparence banal on trouvera souvent un contenu très personnel : « Vélo », « Traction avant », « Messages personnels », « Radio », « Sten » et même « De Gaulle » !
Gilles Perrault a voulu rendre hommage aux résistantes et aux résistants, affirmer leur courage, leur héroïsme et leur efficacité, fidèle à l’esprit d’une collection ou « l’affectif et le vécu occupent une place prépondérante ». Il est souvent très proche de l’hagiographie, mais il ne faut pas oublier que les connaissances exposées sont rigoureusement fondées. Ce dictionnaire est très agréable à lire. On peut, comme tout dictionnaire, le parcourir de façon plus ou moins aléatoire, lire telle ou telle entrée et revenir plus tard à telle ou telle autre. Pour ma part, je l’ai lu, du début à la fin, comme s’il ne s’était pas agi d’un dictionnaire, avec un grand bonheur.
Joël Drogland, pour Les Clionautes®