Valérie Ignounet est spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite, elle a notamment publié Histoire du négationnisme en France et Le front national de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées. Elle co-dirige également l’Observatoire du conspirationnisme.
Dans la France d’après-guerre, le négationnisme est peu audible. Valérie Igounet revient sur le silence qui domine jusque dans les années 1960. Les Français, marqués par la culpabilité de la collaboration, ne sont pas prêts à entendre les déportés. Dans les années 1970, moment de l’affaire Faurisson, la « falsification de l’histoire » stimule la recherche historique. Le négationnisme réactive l’idée d’un complot juif international.
L’apparition du négationnisme (1948-1967)
Dès 1948, Maurice Bardèche publie un ouvrage qui nie l’existence des camps de concentration : Nuremberg ou la Terre promise. Il estime que les Allemands sont victimes des Juifs. Ces derniers seraient responsables de la Seconde Guerre mondiale et auraient inventé l’extermination de leur peuple pour se disculper. Il se présente comme l’héritier de son beau-frère, Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal antisémite et collaborationniste Je suis partout et fusillé à la Libération.
Paul Rassinier apparaît plus crédible que Maurice Bardèche. En effet, Paul Rassinier a été député de gauche, déporté à Buchenwald et Dora et résistant. Il doute du nombre de victimes et met son expérience en avant dans Passage de la ligne (1949). Dans Le mensonge d’Ulysse (1950), il évoque une « rumeur concentrationnaire » et gomme les différences entre camps nazis et goulag. Exclu de la SFIO, il évolue auprès de la Fédération anarchiste. L’antisémitisme se répand aussi dans les rangs de la gauche ouvrière.
Un mythe d’un « complot sioniste » se développe, notamment à partir de 1967 autour de trois aspects : les Juifs ont menti pour créer leur Etat, les Juifs ont expulsé les Palestiniens, Israël est le centre d’une conspiration mondiale. Les idées négationnistes restent confidentielles pour l’instant.
Le deuxième âge du négationnisme (1967-1978)
A partir de la guerre du Kippour en 1973, l’antisémitisme et le négationnisme deviennent des thèmes fédérateurs de l’extrême-droite. En 1976, trois ouvrages majeurs du négationnisme sont publiés : The Hoax of the Twentieth Century d’Arthur Butz qui apporte un habillage technique au négationnisme et qui inspire Robert Faurisson, Le mensonge d’Auschwitz publié par un ancien SS Thies Christophersen, Did Six Million Really Die ? de Richard Harwood. Ces ouvrages connaissent une large diffusion.
D’autre part, François Duprat, membre du bureau politique du FN, favorise l’essor de ces idées au sein du parti. Il est assassiné en 1978, sa mort est associée par le parti à ses idées « révisionnistes » et des militants lui rendent hommage tous les ans. Le négationnisme fait également une percée dans la presse française : Une de L’Express de 1978 qui titre « A Auschwitz, on n’a gazé que les poux » (phrase de Louis Darquier de Pellepoix), entretiens avec Robert Faurisson… Pierre Sudreau, député, demande l’ouverture d’une enquête : c’est le début de l’affaire Faurisson.
L’affaire Faurisson (1978-1985)
Dans les années d’après-guerre, Robert Faurisson s’engage pour la défense de Pétain et de l’Algérie française. Dans les années 1950 et 1960, il se fait repérer par les services de police, fait 17 jours de prison pour offense au chef de l’Etat, tient des propos négationnistes à ses élèves. Agrégé de lettres, il devient ensuite maitre de conférences à Lyon-II. Ses thèmes de recherche sont révélateurs : Céline, Lautréamont, véracité du Journal d’Anne Frank, « la légende des chambres à gaz »…
En 1978, il publie un article intitulé « Le problème des chambres à gaz » dans Défense de l’Occident. Selon lui, les chambres à gaz n’ont jamais servi à gazer des hommes, la « Solution finale » désignait l’émigration des Juifs vers l’Est et Hitler n’a jamais ordonné l’exécution d’un peuple. Les juifs auraient menti pour obtenir la création de l’Etat hébreu. A partir d’une idée-fixe, il construit une « anti-histoire » en proposant une lecture trompeuse de documents historiques authentiques. Le Monde publie des propos de Faurisson, accompagné d’un témoignage de déporté et d’un article d’historien. Malgré ces précautions, la publication fait débat et suscite l’indignation de Pierre Vidal-Naquet. C’est en effet une visibilité nouvelle pour Robert Faurisson, qui use du droit de réponse pour exprimer publiquement ses idées. A partir de 1979, il n’enseigne plus tout en restant titulaire de son poste à l’université. Une partie de l’extrême-gauche s’intéresse au négationnisme.
Au FN, l’avortement est considéré comme un génocide, qui favoriserait le remplacement des « Français » par des immigrés, à la natalité plus dynamique. Les propos antisémites et négationnistes sont fréquents et associés à un fort anti-sionisme. Jean-Marie Le Pen ne condamne jamais ces propos. Les années 1980 marquent l’essor du parti autour de la lutte contre l’immigration.
Le quatrième âge du négationnisme (1985-2000)
A partir de la fin des années 1970, les publications scientifiques sur le génocide des Juifs se multiplient (Léon Polikov en 1979, Raul Hillberg est traduit en français en 1988). Des intellectuels et des organisations luttent contre le négationnisme notamment le site www.phdn.org et Conspiracy Watch. Les assassins de la mémoire de Pierre Vidal-Naquet, rassemblant des textes écrits entre 1980 et 1985 constitue la première étude du négationnisme français.
Dans le domaine judiciaire, la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990 accélère l’adoption de la loi Gayssot. Elle renforce la loi Pleven de 1972, renforce les peines encourues et permet aux associations de se constituer parties civiles plus facilement. Contester un crime contre l’humanité devient une infraction. Les débats sont vifs, à l’Assemblée et au Sénat mais aussi parmi les historiens. Serge Klarsfeld est favorable à la loi, mais Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet estiment que la loi ne peut dire la vérité historique.
Robert Faurisson est le premier à être condamné en vertu de cette loi en 1991 pour « complicité de contestation de crimes contre l’humanité ». Jean-Marie Le Pen prend la défense des « historiens révisionnistes » et demande la suppression des lois « liberticides ».
En 1987, il va plus loin en déclarant sur RTL : « Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Le contexte est alors celui du procès Barbie, qui suscite un nouveau sursaut des négationnistes : naissance des Annales d’histoire révisionnistes lancée par Pierre Guillaume, diffusion d’un tract « La rumeur d’Auschwitz » auprès d’élèves de collège et de lycée, diffusion d’un autre tract signé Robert Faurisson et intitulé « Un grand faux témoin : Elie Wiesel » est distribué devant le palais de justice de Lyon où est jugé Barbie. Ce dernier est condamné à la prison à perpétuité en juillet 1987, mois de la première diffusion de Shoah de Claude Lanzmann à la télévision.
La classe politique condamne unanimement le président du FN à l’exception des cadres de son propre parti. Les publications proches du FN continuent ainsi à dénoncer le « mythe des six millions », les fours crématoires sont à nouveau associés avec l’IVG. Le FN connaît cependant une progression électorale : 14,4 % des voix à la présidentielle de 1988, un record pour le parti. Les dérapages de J.-M. Le Pen se multiplient : jeu de mot « Durafour-crématoire » en 1988, « internationale juive » en 1989.
De nouveaux acteurs apparaissent : Henri Roques, auteur d’une thèse négationniste en lettres modernes en 1985 à l’université de Nantes. L’obtention de son doctorat fait scandale et la soutenance est annulée en 1986, mais la thèse publiée par Ogmios est un succès en librairie. Or, le Canard enchaîné révèle des liens financiers entre l’éditeur et l’ambassade d’Iran. Les livres négationnistes sont vendus par des librairies alternatives comme l’AEncre qui pratique aussi la vente par correspondance.
Le procès Garaudy pour « complicité de contestation de crime contre l’humanité », « diffamation à caractère racial » et « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale » constitue une autre affaire médiatisée, défendue par Jacques Vergès en 1998. Des pétitions de soutien à Roger Garaudy circulent pendant le procès, il apparaît comme un défenseur de la cause palestinienne et est même défendu par le président iranien. Condamné en France à une lourde amende, il est reçu en Iran par le président Khatami et l’ayatollah Khamenei, il est décoré par le ministre égyptien de la culture, il reçoit des dons des pays arabes et est récompensé par le « Prix Kadhafi des droits de l’homme » en 2002. Agé, il se déplace moins et R. Faurisson prend progressivement sa place dans le monde arabe.
L’internationalisation et l’exportation du négationnisme (2000-2020)
Complotistes et négationnistes ont des points de convergence, renforcés par le contexte de la Seconde Intifada et du 11 septembre : Serge Thion remet aussi en cause le génocide cambodgien, Roger Garaudy affirme que les attentats du 11 septembre ont été organisé par le gouvernement américain, Paul-Eric Blanrue attribue le génocide des Tutsis, à un complot américano-israélien. Ils emploient des éléments de langage communs : « histoire officielle »; « axe américano-sionniste », « manipulations », « complot (juif) »… La négation des chambres à gaz suscite moins d’intérêt et le négationnisme se recentre sur l’idée d’un complot sioniste, plus vendeuse.
Les nouveaux complotistes en vogue se nomment Thierry Meyssan (site Réseau Voltaire, L’effroyable imposture sur le 11 septembre), Dieudonné M’Bala M’Bala, Alain Soral…
Ils sont régulièrement accueillis en Iran, financé par le gouvernement iranien à tel point qu’on peut parler de négationnisme d’Etat pour l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Un quotidien iranien, Hamshahri organise un concours de caricature de l’holocauste en 2005 en réponse aux caricatures de Muhammad. Une exposition les rassemble et attire 9 millions de visiteurs à Téhéran. Dieudonné M’Bala M’Bala reçoit le soutien financier d’une société de production iranienne pour réaliser une comédie L’Antisémite projetée au Festival international du film de Téhéran. Il reçoit Robert Faurisson au Zénith de Paris en 2008. Maria Poumier, proche de Dieudonné, écrit une hagiographie de Robert Faurisson et lutte pour l’abrogation de la loi Gayssot.
Internet stimule ces réseaux complotistes. Le premier site français, Egalité et Réconciliation, fondé par Alain Soral, approche les 5 millions de visiteurs mensuels. Alain Soral est condamné à 58 reprises.
Le congrès de Tours en 2011 marque une rupture dans l’histoire du FN. Marine Le Pen veut rompre avec l’antisémitisme, remplacé par une lutte contre l’Islam. En effet, elle caractérise le génocide juif de « summum de la barbarie ». Le changement de nom en 2018 poursuit cette politique. Les électeurs du RN restent cependant les plus perméables aux thèses complotistes. 22 % d’entre-eux croient à l’existence d’un complot sioniste.
Jennifer Ghislain pour les Clionautes