Le Maréchal était encore bien vert ! Quatre-vingt-sept déplacements afin d’effectuer des visites en France entre 1940 et 1944, sans compter de multiples escales dans des villes ou villages ! Et ce malgré les vicissitudes et les contraintes des temps. Mais qu’allait-il donc chercher ? Quels thèmes étaient diffusés lors de ces visites ? Et les Français étaient-ils tous dupes de cette propagande ?
Pétain, un dirigeant politique réactionnaire
Un des intérêts de l’ouvrage est de rappeler que Pétain a commencé tôt à soigner son image et à développer ses idées auprès des Français. Rémi Dalisson a ainsi comptabilisé 114 déplacements entre les deux guerres. Il s’agit alors d’entretenir le mythe du sauveur de Verdun (et de faire oublier le rôle de Joffre) avec toute « une gestuelle à connotation sacrificielle » : visite au monument aux morts, prières aux morts… Mais aussi des discours dans lesquels, au-delà des références au martyrs et au sacrifice des soldats, apparaissent des thèmes que l’on retrouvera sous Vichy : glorification de la nation, importance du chef, critiques de la « mollesse consumériste » et des idéologies (de gauche). À partir de 1940, les quatre-vingt-sept visites (onze en 1940, trente-neuf en 1941, vingt-quatre en 1942, deux en 1943 et onze en 1944) constituent un rouage essentiel de la propagande vichyste. Il s‘agit de « garder la population en état de mobilisation permanente autour du chef et de ses valeurs ». Dans des villes et des villages « tirés à quatre épingles », avec le soutien des zélateurs du régime (Légion française des combattants, Service d’ordre légionnaire puis Milice), de mouvements de jeunesse, de la police, des autorités locales, le voyage se fait pédagogique. Il faut célébrer le travail, nécessité pour rénover le pays, défendre une patrie épurée, sportive et tournée vers un passé folklorisant et enfin célébrer la famille sans oublier les absents, maris prisonniers en Allemagne, dont le sort affirme-t-il l’inquiète.
Pétain, maréchal thaumaturge ?
Le Maréchal affirme avoir fait don de sa personne pour sauver la France. Il doit voir la foule et être vu par elle, d’où des déplacements dans les villes dans une belle décapotable ou des discours depuis un balcon. Il se déplace aussi à pied, « passe des revues, flatte et touche des enfants […] reçoit son peuple », discute, assiste à des représentations, se fait acclamer lors d’arrêts improvisés. Certains en pleurent de joie et ses plus fervents soutiens lui prêtent serment. Père et chef de la nation, il se rend au chevet des blessés de guerre comme il s’est penché sur la France battue militairement mais qui se relève grâce à lui. Ces déplacements s’effectuent dans de nombreuses régions essentiellement dans son « petit royaume » avant 1944, à l’exception de visites en Seine-et-Oise et à Orléans et Rouen (l’attachement à Jeanne d’Arc n’y est pas pour rien). En 1944, ses visites prennent une autre tournure avec « onze voyages compassionnels » en zone nord après des bombardements alliés qui ont fait des victimes civiles. Ainsi, à Paris en avril, il déclare vouloir soigner les maux qui planent sur la ville. Il ne faut pas oublier, bien sûr, un dernier déplacement qui a tout d’une déroute vers l’Allemagne et Sigmaringen en 1944. Il ne reviendra en France que pour son procès.
Des micro-résistances précoces
Rémi Dalisson évoque l’assistance parfois nombreuse lors des visites du maréchal. Mais se demande-t-il comment évaluer la réception par les personnes présentes et par les autres des discours prononcés et de la symbolique alors mise en œuvre. En outre, la présence peut être ambivalente : occasion rare de se rassembler dans la zone nord, de chanter la Marseillaise et de hisser le drapeau tricolore. L’évaluation des foules présentes n’est pas toujours facile, elle décroît semble-t-il et, au fil des ans, des absences sont perceptibles parmi ceux qui accueillent le Maréchal. Enfin des contestataires utilisent ces visites pour dénoncer la politique de Vichy, Pétain et la collaboration avec l’occupant. Un des apports principaux du livre est de montrer l’importance et la diversité de cette « micro-résistance » qui se déploie, malgré le danger lié à une répression sévère, de manière bien plus précoce qu’il a longtemps été admis : sifflets, cris, slogans critiques, Marseillaise chuchotée ou entonnée, ports de cocarde en zone nord, tracts diffusés, affiches maréchalistes lacérées, marteau, faucille ou croix de Lorraine peintes… Ces actes sont souvent le fait de jeunes gens, fréquemment proches de la gauche dont des communistes qui le font avant même le changement d’orientation du PCF suite à l’invasion de l’URSS en 1941.
Un ouvrage des plus utiles qui analyse avec finesse le rôle des visites du Maréchal dans la propagande de l’État français, nuance la vision d’une France toute entière vichyste et révèle les micro-résistances qui se sont déployées alors. Par ailleurs, Rémi Dalisson insère ce moment dans l’histoire longue des déambulations de ceux qui ont gouverné le pays de Charles IX à Emmanuel Macron en passant par Napoléon III et Charles de Gaulle.