Le Lévy-Lussault a 10 ans ! Pour fêter cela, ses deux co-directeurs ont décidé de proposer une nouvelle édition revue et enrichie, tout cela en conservant le même nombre de pages ! Aussi, c’est un travail de grande envergure qui a été mené tant au niveau de la forme que du fond pour rendre compte des évolutions qu’ont connu la géographie et les sciences sociales en général depuis 10 ans. Gros plan sur ce monument rénové que ses auteurs refusent de muséifier.
Un dictionnaire pensé comme un site internet
A sa sortie en librairie, il y a 10 ans, les auteurs de ce dictionnaire le présentaient comme le maillon manquant dans la production éditoriale de l’époque. Si des dictionnaires de géographie existaient bien, les deux co-directeurs disaient à propos des Mots de la géographie de Roger Brunet, paru en 1992, que c’était davantage un « plaisant abécédaire où l’on divague, amusé ici par un trait d’humour, retenu par là par une citation, qu’un dictionnaire de concept et de langue. » (p. 17). Le premier Dictionnaire de la géographie (celui de Pierre George), sorti en 1976, avait subi les foudres de Jacques Lévy qui avait écrit, à sa parution, que « C’est par l’abondance de termes techniques ou étrangers que le Dictionnaire espère rattraper son indigence scientifique » ! (p. 15) Aussi, pas question pour Jacques Lévy et Michel Lussault de glisser sur cette pente ! Inspiré de The dictionary of human geography (1981), le Lévy-Lussault se veut une grammaire des notions géographiques afin « de rendre plus rigoureuse la langue des géographes, et au-delà, celle des sciences sociales ». (p. 17) Le pari a été gagné puisque ce dictionnaire est devenu la référence en géographie. Dès le départ, l’ouvrage a été conçu comme un site internet. Les liens entre les articles ont été particulièrement travaillés grâce à un système ingénieux de renvois. L’ensemble des notices est classé selon quatre catégories : les théories de l’espace, l’épistémologie de la géographie, les penseurs de l’espace et les champs communs aux sciences sociales. La plupart des articles sont accompagnés d’une bibliographie sélective (actualisée dans la nouvelle édition). La nouvelle édition a repris tous ces éléments structurels. Pourquoi changer une recette qui fonctionne ?
Les nouveautés
Cette édition intègre 75 nouvelles notices. L’apparition et l’affirmation de nouvelles idées au cours des dix dernières années a rendu nécessaire leur intégration à la nouvelle formule. Pour cela, il a fallu faire de la place pour éviter que le dictionnaire ne prenne trop d’embonpoint ! Aussi, des notices jugées désuètes ont disparu. Le relevé des disparitions et des nouveautés est particulièrement intéressant à mener. Ainsi, se dessinent, au fur et à mesure des pages, les concepts émergents ou qui voient leur place renforcée. Globalement, ce sont les entrées les moins propres à la géographie qui ont disparu (analyse/synthèse, communisme, libéralisme, idéologie, dialectique, écriture, formalisation, hiérarchie, guerre…). Des mots de vocabulaire ont aussi été évincés : anamorphose, technopôle, technopole,… remplacés par d’autres tels que cartogramme, motilité, cluster, gated community, internet, économie résidentielle… La place des arts est renforcée dans la nouvelle mouture : danse, musique, cinéma, art contemporain. C’est la relation de ces éléments à l’espace qui est mise en avant. Les mots en rapport avec l’environnement ont vu aussi leur poids augmenter : écoquartier, changement climatique, humanité… Les notices consacrées aux penseurs de l’espace sont plus nombreuses d’auparavant. La liste des disparus, dont l’œuvre a été fondatrice de la discipline, s’est rallongée : François Ascher (le grand urbaniste mort en 2009), Jacques Bertin (le père de la sémiologie graphique décédé en 2010), Olivier Dollfus (géographe de la mondialisation, disparu en 2005)… Des oublis ont été réparés. Pierre Bourdieu (1930-2002), Jean Gallais (1926-1998), Hannah Arendt (1906-1975) font leur entrée dans le Lévy-Lussault 2013.
Des articles retravaillés
Enfin, un nombre important de notices ont été fusionnées, retravaillées par les co-directeurs. Ont ainsi été renforcées celles qui touchent de près ou de loin aux concepts d’urbain, d’urbanité, de géographicité. Ces concepts centraux dans l’œuvre des deux directeurs trouvent ici une place de choix. Certains articles ont vu leur taille doubler voire tripler entre les deux éditions ! Si ce dictionnaire fait un état des connaissances et de l’épistémologie de la géographie, il porte aussi la marque de ses deux mentors. C’est bien légitime ! Dans le cadre de ces approfondissements conceptuels, il faut noter la présence de petits tableaux qui aèrent les articles et présentent de manière synthétique les idées présentes dans l’article. Un effort didactique a été réalisé par rapport à la première édition et ces encarts peuvent être utiles dans l’enseignement supérieur comme support de présentation de l’urbanité de Jacques Lévy (voir les dynamiques urbaines contemporaines, p. 765, tableau présent dans la nouvelle notice : Périphérisation de l’urbain), par exemple.
Au final, les deux éditions se complètent. Pas question d’abandonner la version 2003 pour la 2013. Ne reste plus qu’à trouver de la place sur nos étagères pour ranger côte à côte ces deux monuments de la géographie !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes
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