Une somme : c’est ainsi que l’on désigne traditionnellement ce type d’ouvrages. Jugez plutôt : plus de 2000 pages et plus de 150 spécialistes pour évoquer l’Empire ottoman. Autant le confesser de suite, ce compte-rendu s’appuie sur une lecture partielle de l’ouvrage qui est un indispensable outil de travail pour toute personne qui s’intéresse à une facette du sujet. C’est un livrel aussi dans lequel on peut se plonger au gré de ses envies. Pour se repérer, il contient un index, une table thématique et pour celles et ceux qui le souhaitent une liste sélective d’ouvrages parus depuis 2013.

Un projet titanesque

Cette publication fait suite à une première édition il y a sept ans. Le projet d’un tel dictionnaire de l’Empire ottoman remontait au milieu des années 2000. Plus de 150 spécialistes français et étrangers y contribuèrent alors pour aboutir à un volume de 1300 pages  ou encore 720 notices sur cet empire apparu vers 1300 et disparu après la Première Guerre mondiale. Les auteurs soulignent bien qu’il ne s’agit pas d’une refonte complète mais bien d’ajouts. Il a été également enrichi d’une table thématique détaillée ainsi que d’une liste des entrées. Les auteurs ont la modestie de dire que cet ouvrage ne saurait parler de tout car c’est un dictionnaire historique plutôt qu’encyclopédique.

Villes et lieux

Le dictionnaire fournit évidemment de très nombreuses entrées de lieux qui vont du palais à  la ville sans oublier des  espaces beaucoup plus vastes. Le palais de Topkapi, achevé en 1458, est un vaste ensemble ceint de murailles comprenant un harem clos pour les femmes, un palais et des kiosques pour le souverain et ses pages mais aussi une salle de conseils, des jardins avec une réserve d’animaux sauvages et de chasse.

A propos d’Istanbul et en dehors du Topkapi  il est une autre topologie politique de la ville, celle des hauts lieux révolutionnaires : les casernes des janissaires et la place de la viande, l’Hippodrome propice aux rassemblements de foule. Un autre article évoque La Mecque.

Les dirigeants de l’Empire ottoman à travers les siècles

Les Ottomans reconnaissaient un droit égal au trône à tout membre mâle de la dynastie. L’article sur ce dernier terme renvoie en outre vers de nombreuses autres entrées comme les notices consacrées aux sultans. Le grand vizir peut être considéré comme le deuxième personnage de l’Etat, assimilé à une sorte de premier ministre.  C’est en réalité une vision un peu faussée car sa nature a évolué en fonction des circonstances et du poids des personnalités. Pour le plus célèbre des sultans, Soliman, le règne ne fut pas seulement synonyme de puissance et d’ordre mais aussi de splendeur. On sait peut-être moins qu’il était lui même un poète lyrique chantant sous le nom de plume de Muhibbi son amour pour son épouse Hürrem.

L’Empire ottoman au quotidien

Comme dans toute autre société, les animaux servaient aux Ottomans à se nourrir ou à se vêtir. Moutons, vaches, buffles, poules et chèvres étaient les animaux d’élevage de prédilection. Le cheval quant à lui était l’animal de transport par excellence. Il y eut aussi des animaux de prestige comme le faucon.

La longueur de la barbe était estimée proportionnelle à la sagesse de son détenteur. Arracher ou raser de force la barbe de quelqu’un était une insulte très grave.

Du XVI ème au XIXème siècle, la majeure partie de la population de l’Empire fut à l’abri des ravages de la guerre mais son existence n’en était pas moins précaire avec la présence de la variole, de la peste  et du choléra.

Administrer l’empire

L’extension de l’Empire ottoman et la multiplication des administrations entrainèrent une production accrue d’archives. Les Ottomans découvrirent le café lors de la conquête de l’Egypte en 1517. D’abord restreint à de petits cercles, sa consommation se diffusa ensuite. A la fin du règne de Soliman, une taxation avait été mise en place pour limiter la consommation de café aux milieux les plus aisés. On lira également un article très complet sur les janissaires.

Un article revient sur l’idée de déclin qui toucha l’empire. Rien d’original qu’un tel ensemble connut des hauts et des bas. Il fut cependant sans doute plus tardif que ce qu’on a coutume de dire et il faut aussi se souvenir qu’un retard par rapport à l’Occident ne signifie pas qu’il n’y a pas eu progrès et croissance. Le terme de pacha contrairement à la plupart des distinctions fit son apparition à l’époque de la création de l’empire. Pour administrer l’empire, on peut mentionner l’utilisation de la tugra, marque apposée sur tout document important qui était en quelque sorte une garantie d’authenticité.

La diversité de l’empire

Au-delà de l’aspect géographique, cet empire fut multiethnique et polyglotte avec sans doute une centaine de langues parlées. Le turc était presque partout la langue de l’administration, de la justice et du monde militaire. Le système des poids et mesures en usage s’est constitué en Asie centrale sous la double influence chinoise et iranienne. Retenons que diversité ne signifie pas anarchie.

Un appui pour la spécialité HGGSP

Il n’est évidemment pas possible, dans le cadre de cette recension, de rendre compte de la richesse d’un tel ouvrage. D’un point de vue très utilitaire pour nos cours, on peut rappeler l’existence d’un jalon qui est consacré à l’Empire ottoman dans le cadre du programme de spécialité de Première. A ce titre, cet ouvrage est un solide appui pour traiter l’Empire ottoman : de l’essor au déclin. On évoque alors les raisons de l’expansion de cet empire et on peut s’appuyer sur l’entrée sur la guerre. L’article précise que le niveau de perfection se situe entre 1440 et 1690. L’empire était capable de déployer 100 000 hommes avec leurs animaux de trait et des équipements de siège. Parmi ses autres points forts, il y eut la discipline des troupes, la logistique ou encore le style de combat. Du côté du déclin, on peut s’appuyer sur l’entrée sur la bataille de Lépante. Si on sait que la  flotte de l’empire fut quasiment détruite, on sait peut-être moins que, sur le terrain, la bataille resta une victoire sans lendemain. L’Empire ottoman reconstitua l’essentiel de sa flotte en deux ans et durant ce temps les Alliés n’exploitèrent pas ce succès.

L’empire et ses relations

Un article revient sur les relations entre la France et l’Empire ottoman. C’est une histoire d’abord placée sous le signe de l’affrontement. Il ne faut pas oublier pourtant que des circonstances exceptionnelles aboutirent à un rapprochement entre François Ier et Soliman le Magnifique. Une autre entrée permet d’en savoir plus sur la conception de la frontière et son évolution. L’apparition de l’image moderne dans l’empire commence au XVIII ème siècle et est étroitement liée à l’ouverture vers l’Occident.

Bien plus tard, à propos du génocide des Arméniens, les auteurs précisent qu’il est difficile, encore aujourd’hui, d’établir un bilan exact. Ce dernier varie de 600 000 à 1,5 million de morts. Cette imprécision s’explique notamment par le fait qu’on ne savait pas combien d’Arméniens vivaient dans l’Empire ottoman en 1914.

L’empire et les batailles

La bataille de Kosovo en 1389 est une des plus fameuses  de l’histoire ottomane. Elle n’eut cependant pas entièrement le caractère et les conséquences qui lui ont été prêtés, notamment par l’historiographie et la conscience nationale serbe, jusqu’à nos jours. Elle ne sonne pas le glas d’une Serbie puissante et libre tombant d’un coup pour près de cinq siècles sous le « joug ottoman ». Aux XVII ème et XVIII ème siècles, les campagnes militaires en Europe centrale facilitèrent le contact des Ottomans avec la culture occidentale : livres, cartes, atlas, instruments arrivèrent en territoire ottoman. Pour ce qui concerne la fin de l’Empire, on lira l’entrée sur le Traité de Lausanne en 1923.

C’est donc un ouvrage imposant, de référence, qui permet une approche complète de cet empire qui dura plus de six siècles. Il est d’autant plus indispensable pour bien comprendre tout ce qui se joue dans la zone au moment où a lieu le centenaire de la République turque, fondée le 29 octobre 1923.