Les études impériales scrutent ce territoire singulier qu’est l’empire à travers plusieurs filtres, dont celui de la relation centre-périphérie, riche de développements variés. L. Kamenoff et H. de Villaine proposent dans cet ouvrage une sélection de huit contributions défendues lors d’une université européenne d’été à Saint-Petersbourg en 2019.
Trois sections scandent ce livre, la première est consacrée aux empires du passé et aux centres dominants, la deuxième est axée sur la langue et la dernière aborde le soft power des empires contemporains. Ces trois prismes soulignent chacun le poids mondial des empires, caractéristique à la fois territoriale et politico-économique. Mais plus profondément, les réflexions qui se succèdent dévoilent une compréhension des empires fondée sur des allers-retours mêlant entre autres littérature, économie, cinéma, migration, sur la puissance de l’acculturation qui rappelle que l’empire est avant tout patchwork de populations et donc de langues et de pratiques culturelles à la fois distinctes et partagées, ou sur le rôle des périphéries dans l’évolution des centres des empires, remettant ainsi en cause la vision d’un espace monocéphale, leg du schéma diffusionniste. Dans cette optique, la culture occupe le premier plan et relègue de facto les aspects militaire et politique des constructions impériales.
De centres en périphéries
Trois articles retiennent particulièrement notre attention. L’analyse de L. Kamenoff et A. Pankratova (U. de St-Petersbourg) qui souligne la puissance du contrôle étatique de l’économie et du commerce dans l’établissement et la consolidation des empires. L’exemple retenu par ces deux jeunes historiennes est celui de Vologda, cité sise à 400 km au N-E de Moscou, où Moscou déploie avec vigueur à la fin du XVIIe siècle un système unificateur visant à réguler le système économique et ses acteurs, en l’occurrence les agents de l’État et les commerçants. La contribution d’E. Berankova (U. de Prague) qui se focalise sur les sources d’inspiration de la littérature québécoise traditionnellement perçue comme une déclinaison de sa supposée grande sœur française, et montre des centres d’impulsion diversifiés où se côtoient Canada anglophone, Etats-Unis et auteurs autochtones. Enfin, le travail comparatif de V. Ageeva (Russie) à propos des soft power actuels français et russes, fondés sur une pratique de la diplomatie d’influence aux résultats variables qui rappelle que le soft power est conçu par ces deux empires déchus comme le moyen de conserver leurs rôles de centres sur la scène internationale.
Cet ouvrage témoigne du renouveau des études impériales, mues par des préoccupations culturelles, polycentriques et comparatives et questionne autant le passé que notre présent, marqué par des volontés de puissance plus ou moins impérialistes.