Après avoir signé les biographies dessinées d’Olympe de Gouges et de Kiki de Montparnasse, le duo Catel et José-Louis Bocquet nous proposent aux éditions Casterman, toujours dans la collection « les clandestines de l’histoire », la réédition de leur magnifique bande dessinée retraçant la vie de Joséphine Baker de sa naissance en 1906 à son décès en 1975 et ce, à l’occasion de sa panthéonisation. Divisée en deux parties, la première propose l’histoire-même en 453 pages, tandis que la seconde est composée d’une chronologie substantielle de 16 pages et de 55 notices biographiques, consacrées aux principaux personnages qui ont accompagné ou croisé Joséphine Baker tout au long de sa vie (de Sidney Bechet à Brigitte Bardot en passant par Georges Simenon ou encore Éric Maria Remarque et Charles De Gaulle) plus une dédiée spécifiquement à sa fameuse et turbulente « tribu arc-en-ciel  » rédigée par l’un des douze membres, Jean-Claude Bouillon-Baker, qui a apporté son aide aux auteurs.

L’histoire est rythmée et découpée par les grandes dates et périodes qui ont jalonné sa vie (« 1923 North State Street Chicago Illinois », « 1926 Folies Bergère », « 1929 paquebot Lutétia Atlantique sud »  ) … du moment où elle fut repérée par Red Bernett régisseur du Booker T. Washington Theater à son dernier spectacle à Bobino en 1975, en passant par ce  soir de 1925 où elle devient une star, la guerre, ses sept vies sont abordées. Son excentricité (son guépard Chiquita) son caractère (volontaire et déterminé) font la part belle au récit dans le contexte des Années Folles, mais c’est aussi une traversée du Paris artistique et intellectuel qui s’offre lecteurs, Joséphine croisant tour à tour Colette, Le Corbusier, Georges Simenon, Sacha Guitry, entre autres. Bien sûr la période de la Seconde Guerre mondiale n’est pas occultée : sa rencontre avec le capitaine Fox officier du deuxième bureau, le service de renseignements de l’armée française, ses tours de chant pour les troupes américaines et britanniques et son entrevue avec le général de Gaulle. Un chapitre revient bien entendu sur son retour aux Etats-Unis où elle participe à la marche pour les droits civiques avec Martin Luther King en 1963. Plus drôles, quelques anecdotes méconnues sont rapportées, comme par exemple ce moment sur le tournage de Zouzou (1934) où Joséphine, et Jean Gabin, discutant en marge du plateau et en costumes ne sont pas reconnus par un matelot qui les agresse verbalement avant de se fondre en excuses.

Le récit brille par la bonne humeur et l’optimisme général qui se dégage non seulement du texte mais aussi du dessin particulièrement réussi. Mais il n’occulte pas pour autant les difficultés connues par Joséphine au cours de son existence : ses origines dans un milieu pauvre, la ségrégation et le racisme aux États-Unis, ses difficultés financières, ses quatre mariages (dont le premier à .. 13 ans !)  et ses échecs amoureux… ni l’ambiguïté avec laquelle une partie de son public a pu la considérer en France et en Europe, comme le résume un échange avec son impresario Pépito :

 

-Les Français tu les bluffes : il voit en toi un bibelot colonial ! Tu leur chantes noir sur blanc que ton pays, c’est la savane !

-Et toi ! L’Europe m’a donné ce que l’Amérique ne m’aurait pas permis… être moi-même.

 

Assurément Catel et Bocquet ont signé un classique de la bande dessinée à offrir ou à se faire offrir à Noël !