Premier volume de la collection publiée par le CRDP d’Aquitaine, cet ouvrage sur le Gaullisme et les Français présente le même intérêt que les deux autres consacrés respectivement à la guerre d’Algérie et à Mai 1968. On comprend la réflexion de l’éditeur qui a publié cet ouvrage en 2006, à la fin du septennat de Jacques Chirac. Son successeur a sans doute fait le choix de remettre en cause l’héritage gaulliste, ce qui n’exclut d’ailleurs pas des attitudes gaulliennes. On parle d’attitude gaullienne lorsque l’on introduit un discours de rupture, ce qui est le cas de l’actuel locataire de l’Elysée… De là à ce qu’elle soit effective. C’est la différence entre attitude gaulliste et posture gaullienne.

Cet ouvrage est comme les deux autres organisé en deux parties, un texte de synthèse, rédigé par un universitaire et des documents commentés associés à des sujets de devoirs ou des exercices. Les professeurs de lycée et de collège auront alors tout loisir d’y puiser des idées d’autant plus que cet ouvrage est également accompagné d’un CD-ROM. On pourrait sans doute améliorer la navigation sur ce CD-ROM ainsi que la nature des documents. Certes les textes les plus importants s’y trouvent rassemblés. L’appel du 18 juin bien entendu ou encore l’appel de de Gaulle aux français lors du putsch des généraux en 1961. Plus original sans doute les textes des proches du Général, comme Olivier Guichard ou Pierre Lefranc.

C’est sans doute la nature des documents iconographiques qui aurait pu être améliorée. On retrouve des caricatures de Moisan mais finalement assez peu. De Gaulle avait pourtant en son temps largement inspiré les caricaturistes, beaucoup moins les photographes people. Les temps on changé !
La partie la plus dense, à savoir le texte de Bernard Lachaise, est divisée en trois parties.

Les deux dernières sont peu inattendues, et se présentent de façon classique, montrant comment le gaullisme, loin d’être une doctrine est avant tout un pragmatisme adapté à l’exercice du pouvoir dans la France de la haute croissance. Car c’est quand même cela qui doit être rappelé. Le volontarisme gaullien avait moins de chance de s’incliner devant la réalité des faits que les mouvements de menton visant à aller chercher la croissance avec les dents. Toutefois, l’auteur parvient à montrer avec brio que le fondateur de la cinquième république issu d’un milieu conservateur ne l’était pas du tout. En même temps, il n’hésitait pas à user de ce registre avec un maniement de l’anticommunisme qui faisait parfois merveille. Cependant, ses idées sur la participation, sur l’association capital travail ont suscité l’inquiétude de ses proches, surtout après 68 et ont été simplement reprises par Jacques Chirac. Cependant pour ce dernier rien de significatif en dehors de l’évocation, à la fin du septennat de VGE d’un travaillisme à la française et quelques formules sans lendemains.

La troisième partie traite des rapports particuliers du gaullisme et des français, entre l’adhésion et le rejet. On retrouve ici les analyses classiques qui fondent ce rejet à savoir la lecture communiste du gaullisme et celle de François Mitterrand. Ce dernier présent dans les documents avec l’extrait du coup d’état permanent n’est pas considéré comme un « successeur » de de Gaulle, ce qui peut d’ailleurs paraître assez étonnant. Pourtant celui qui a compris, avec le congrès d’Epinay, la nécessité de constituer un rassemblement des gauches s’est quand même largement inspiré de la méthode et de la démarche de celui qu’il a longtemps combattu, une fois à l’Elysée.
C’est la première partie de ce texte de Bernard Lachaise traitant de l’essence du gaullisme et de son expression, qui est la plus originale puisqu’elle reprend largement les derniers travaux et notamment ceux de la fondation Charles de Gaulle qui publie ces temps-ci les actes d’un colloque consacré à de Gaulle chef de guerre entre 1940 et 1944. Dans cette partie, l’auteur revient sur le lexique gaullien et sur ses avatars, à savoir le néo-gaullisme tel que des hommes comme Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevènement et plus près de nous Nicolas Dupont-Aignan, ont pu l’incarner. Au passage on notera la part importante consacrée par l’auteur au gaullisme de gauche avec des hommes comme Jean Charbonnel ou René Capitant. Ces hommes à la marge de l’UNR et de l’UDR ont quand même fini par se rapprocher de la gauche notamment en 1981.
Des cartes électorales montrent également l’implantation du gaullisme et en négatif la tradition républicaine qui s’oppose à ce que René Rémond et quelques autrse qualifient de bonapartisme. L’Hérault, département hostile, il n’est pas le seul, au coup d’état du 2 décembre 1851 est longtemps resté réfractaire au gaullisme et rares ont été les élus, y compris à la fin du XXe siècle à s’implanter avec cette étiquette. La conjonction du vote pied-noir rejetant l’homme de l’abandon de l’Algérie et le républicanisme de gauche on écarté et écartent encore le gaullisme des terres du Sud.
Le général a été beaucoup plus populaire dans les régions du Nord et de l’Est et cela s’est traduit à plusieurs reprises pendant tout le XXe siècle.
Les textes et les analyses consacrées aux successeurs du général de Gaulle, notamment Jacques Chirac, sont sans doute moins porteurs. On aurait aimé voir comment l’ex-président de la république qui a occupé la fonction de 1995 à 2007 a su alterner la référence au gaullisme, discours de Cochin anti-européen, le Oui à Maastricht, la tentation de réintégration de l’OTAN et la flamboyante geste à l’ONU en 2003. De la même façon, pour Pompidou on aurait aimé sentir davantage les évolutions vers un gaullisme plus technocratique et plus clairement conservateur.
Mais ces nuances n’enlèvent rien à la qualité de cet ouvrage et à la référence éditoriale que cette collection « histoire de notre temps » constitue. Le CRDP d’Aquitaine a su montrer avec les trois ouvrages de cette collection l‘intérêt de fournir, aux professeurs, comme aux étudiants d’histoire et de science politique l’intérêt de se pencher sur des analyses de référence et de revenir au texte.
On aurait aimé pourtant que le CD-ROM fourni comporte aussi quelques extraits de vidéos et d’allocutions radiodiffusés, ne serait-ce que pour rappeler que, pendant les années noires, le gaullisme a été « une voix ». On pourra expliquer sans doute ces absences par la politique des droits d’auteurs mais cela reste tout de même regrettable.

Bruno Modica © Clionautes