Cette réédition d’un succès anglais de 2014 écrit par un auteur allemand s’avère très frustrante. Il s’agirait de proposer des modèles d’identification de femmes « hors du commun » aux filles d’aujourd’hui. Mais ce « hors du commun » fait-il d’elles des « dures à cuire ? Est-ce cela qui est mis en valeur ? En quoi sont-elles pertinentes pour la construction des identités d’aujourd’hui ? Le livre est sur ces points très ambivalent.

L’ouvrage semble d’emblée s’adresser aux jeunes filles d’aujourd’hui, avec une couverture rose et des poupées de femmes plus ou moins cassées, des miroirs et des peignes dans les pages intérieures. Il n’y a aucune prétention académique, chaque personnage est évoqué sur une double page : à gauche, une illustration de la personnalité choisie en couleur, avec les emblèmes de ce pourquoi l’auteur les a trouvées « hors du commun ». A droite, les deux tiers de la pages sont occupés par des vignettes de bandes dessinées, illustrant une anecdote de la vie de la personnalité choisie, sur un mode humoristique plutôt axé sur des jeunes de 18-25 ans. Enfin, sur le tiers inférieur, quelques lignes racontent la vie de cette femme, de manière très succincte, accessible à des enfants de 10-12 ans. Il y a déjà là un hiatus sur le positionnement, car les dix lignes de biographie sont tout à fait insuffisantes pour des jeunes de 18-25 ans, et les vignettes humoristiques ne sont pas toujours pertinentes pour les 8-10 ans.

Vient ensuite la question du choix des personnalités : entre très connues comme Marie Curie et inconnues comme Aileen Wuornos (prostituée américaine tueuse en série), la volonté d’écclectisme de l’auteur est louable, ainsi que son attention à la diversité. Malgré tout, les dééquilibres sont nombreux. On peut analyser les destins choisis en fonction de l’origine géographique, de la période historique et du métier :

Zone géographique Amérique du Nord Europe Asie Afrique Amérique du Sud Océanie
Nbre de destins 24 23 9 2 1 1

Il est à noter que de nombreux destins nord-américains sont ceux de femmes afro-américaines et une fois, amérindienne. Cependant l’auteur aurait pu insister sur une plus grande part de femmes marquantes sur les autres continents (pas de Indira Ghandi ni de Ranavalona par exemple)

Période historique concernée Pré-XIXe XIXe Début XXe Fin XXe-début XXIe
Nbre de destins 6 11 10 33

Le choix de l’auteur s’est largement porté sur des personnalités récentes, incluant jusqu’à Greta Thunberg, et renforçant l’idée que les femmes « anciennes » ont été oubliées : pas de Jeanne d’Arc, ni de Catherine II ou d’Hildegarde de Bingen par exemple. En revanche, le choix de l’ultra-contemporain permet à l’auteur d’ouvrir les modèles accessibles.

métiers Politique et militaire Sciences, arts et journalisme Militantes Sport Religion Entrepreneur Hors la loi Sexe Victimes
Destins 6 14 12 6 3 1 7 6 5

Là encore, les choix sont surprenants. Le politique, le militaire et l’économie sont mis de côté, tandis que des « victimes » sont mises en valeur (femme anorexique, transgenre battue à mort, enfant adultérine placée dans un foyer infernal par exemple) ce qui interroge le choix du titre « dures à cuire ».

De plus l’auteur préfère Cléopâtre à Hatshepsout, Théroigne de Méricourt à Olympe de Gouge ou Manon Rolland, Christine de Suède à Elzabeth Iere. Les grandes exploratrices type Alexandra David-Neil sont absentes, remplacées par bandits et pirates. Les actrices sont absentes, sauf une actrice de porno et une coréenne enlevée par la Corée du nord. Il est donc difficile de se repérer et de comprendre ce que l’auteur veut mettre en avant. Mais sa volonté d’originalité transparaît dans le choix des femmes religieuses (babisme, prêtresse vaudou et sorcière hippie) ou des sportives (sumo, ski extrême, surf handicapée).

Si le texte concernant Simone de Beauvoir (seule femme intellectuelle du livre, pas de Hannah Arendt par exemple) est à peu près clair, celui sur Cléopâtre ne parle que de son rôle d’amoureuse et de mère, pas un mot sur sa conception politique. Le lecteur reste donc sur sa faim, et je trouve l’ouvrage difficile à proposer à des élèves, surtout au vue des nombreuses collections de petites biographies mettant en valeur les femmes qui se sont développées ces dernières années. Cela dit l’ouvrage est plaisant et bien illustré.