Pour qui cherche rapidement un ouvrage de référence, pratiquement exhaustif, traitant le vaste sujet de l’eau dans le monde, nul besoin d’aller plus loin. Les presses de l’Université du Québec ont édité pour la seconde fois cet excellent manuel, très complet et largement accessible pour cet usage. Professeur de géographie à l’Université Laval, associé à l’Institut québécois des hautes études internationales (IQHAI) Frédéric Lasserre fait largement autorité dans ce domaine. Les travaux fournis en permanence par la chaire Raoul Dandurand couvrent également un large champ des questions internationales et les travaux fournis bénéficient d’ailleurs d’un éclairage à la fois francophone et américain au sens continental du terme. La communauté des spécialistes francophones des questions internationales peut d’ailleurs compter sur ces chercheurs pour disposer de travaux de référence parfois sur des sujets originaux.

La table des matières de cet ouvrage dont la première partie « les enjeux de l’eau dans le monde » a été presque entièrement rédigée par Frédéric Lasserre, présente les différents aspects de la problématique. Des guerres de l’eau, au droit international, en passant par la gestion de la ressource en liaison avec l’aménagement de l’espace, l’auteur explore minutieusement tous les aspects de la question.

Le premier chapitre, les guerres de l’eau, représente un complément de référence à quelques numéros de l’émission « le dessous des cartes », traitant de l’hydroconflictualité.
Si la question est désormais connue, entre autres grâce à l’émission citée plus haut, les tensions liées à l’eau ont été souvent ignorées ou mal connues par le passé. Pourtant, dès les années cinquante, et en tout cas depuis la guerre des six jours de 1967, l’eau est devenue à la fois enjeu et instrument du conflit. De là à parler de guerres de l’eau dans le futur, il y a un pas que Frédéric Lasserre se refuse à franchir, estimant que dans ces cas d’espèce l’eau n’est pas le facteur déclenchant du conflit, mais que celle-ci a été l’un des enjeux à moyen ou long terme de celui-ci. Cet exemple est d’ailleurs spécifiquement traité dans les études de cas de la deuxième partie de l’ouvrage.

Guerres de l’eau, mythe ou réalité ?

En fait, pour le géographe, les enjeux hydrauliques sont d’abord nationaux. Pour les populations des territoires souffrant de stress hydrique, c’est-à-dire disposant de moins de 1000 m3 par an, ce sont les états nationaux qui doivent leur assurer une sécurité hydraulique. Cela peut permettre à ces derniers d’utiliser les tensions hydrauliques avec les voisins à des fins de politique intérieure. L’eau, sous forme de fleuve est ainsi une frontière ans de nombreux cas, tandis que sous forme de nappe fossile elle représente une ressource non-renouvelable convoitée et parfois disputée entre la Jordanie et l’Arabie saoudite par exemple.

Si la pression sur la ressource peut à terme diminuer, du fait des progrès techniques, il n’en reste pas moins que, dans un avenir proche, les prélèvements sont amenés à augmenter. Mécaniquement tout d’abord, par l’augmentation de la population, même si celle-ci est amenée à ralentir. En même temps, l’élévation des niveaux de vie dans les pays émergents se traduit par des hausses de consommation heureusement compensées, tout ou partiellement, par une adaptation socioéconomique à la nouvelle situation ainsi créée.
L’auteur évoque d’ailleurs les différentes solutions techniques pour assurer la sécurité des approvisionnements, à la fois par l’utilisation de nouvelles ressources mais aussi par une meilleure gestion particulièrement pour l’agriculture. Sans doute très en avance dans l’Espagne maure du VIIe au XVe siècle l’irrigation gravitaire de la huerta de Valence ou du Roussillon, avec son tribunal des eaux, est devenue une source de gaspillage par l’évaporation. De la même façon, les grands canaux d’irrigation de l’Amou Daria et du Syr Daria ont eu, à l’époque soviétique des conséquences dommageables sur le niveau de la mer d’Aral.

Un droit qui reste à écrire

Pour les spécialistes des relations entre états, le troisième chapitre consacré au droit international se révèle particulièrement précieux. L’auteur fait ainsi référence à la convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux, ce qui éclaire d’un jour nouveau les relations à plusieurs époques entre riverains du Tigre et de l’Euphrate, ou encore du Jourdain, mais également celles entre les Etats-Unis et le Canada à propos du Saint Laurent.
Les historiens des civilisations pourront également trouver, dans le chapitre 4 une intéressante mis eau point sur les relations entre les grands empires et leur gestion hydraulique. La gestion de l’eau dans la Chine ancienne était l’un des éléments essentiel du « mandat du ciel » qui justifiait l’autorité de l’Empereur s’appuyant sur un corps de fonctionnaires délégués à ces tâches. On retrouvera d’ailleurs cette hypothèse dans les fonctions de scribes royaux des Empires assyriens et babyloniens.
Co-auteur de cet ouvrage avec Frédéric Lasserre, Luc Descroix, chargé de recherches à l’IRD, (Institut de recherche pour le développement), livre une étude remarquable sur la gestion des territoires et de leurs eaux ainsi que sur les conséquences de la mécanisation dans l’agriculture. Dès le second Empire en France, pour pallier le déboisement lié à la pression démographique de l’époque, une loi est adoptée en 1860, favorisant la création de périmètres de reboisement. Les autorités prennent conscience en effet du lien entre dégradation de la couverture végétale, crise érosive, aggravation des crues et de la torrentialité. Le lein est fait d’ailleurs entre la gravité du phénomène de crue à Vaison la Romaine en 1992 et l’extension des périmètres de vignobles de coteaux associée au désherbage des vignes.

Gestion des fleuves méditerranéens

A ce propos, rappelons que dans les vignobles du nouveau monde, comme dans certains terroirs haut de gamme de l’hexagone, le semis de pelouse entre les rangées de cep est désormais pratiqué. Le couvert végétal fixe l’humidité, neutralise les semis parasites et oblige la vigne à aller chercher l’eau chargée de sels minéraux en profondeur plutôt qu’en surface. Cela n’est pas dénué de conséquences sur la concentration aromatique et la typicité des vins obtenus ensuite.
Pour les régions méditerranéennes de l’hexagone, là où existent des fleuves côtiers ou des rivières au régime d’oueds, la priorité en matière d’aménagements a été donnée à des techniques douces. Création de zones d’inondation contrôlées, de petites retenues, de petits aménagements permettant d’éviter les embacles, associés à des canaux de dérivation protégeant les zones habitables. (Inondations du Lirou et du Libron, dans le biterrois en 1996 et dans la basse vallée de l’Aude en 1999, ces dernières étant citées dans l’ouvrage, les deux premières ayant été vécues par l’auteur de ces lignes.)

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à plusieurs études de cas, enrichies de croquis. On retrouve ici les grands classiques, comme le problème des eaux du Jourdain ou encore les aménagements turcs des sources du Tigre et de l’Euphrate mettant au prises Ankara, Damas et Bagdad sur fond de question kurde. (p. 261 à 274), mais également des sujets moins connus, comme celui des inquiétudes canadiennes à propos de la soif étasunienne dans le cadre de l’Aléna. De très nombreux projets de Washington envisagent depuis les années cinquante une exploitation, au sens propre, des ressources canadiennes, projets qui suscitent quelques réserves du côté de la Belle Province et du gouvernement d’Ottawa. De plus, la grande sècheresse que le pays a subie en 2001 et en 2002 a attisé les inquiétudes sur le sujet.
Luc Descroix, ( p. 461 à 478), évoque aussi les tensions entre le Sénégal et la Mauritanie à propos du fleuve frontalier qui donne son nom au premier de ces pays. Fleuve frontalier, le Sénégal connaît sur son bassin versant diverses difficultés, comme les problèmes de salinisation aggravés par la culture massive du riz et l’expansion de la bilharziose, le tout sur fond de conflit ethnique et culturel, rendu explosif par la sécheresse grave des années soixante dix. En 1989, de véritables affrontements ont eu lieu entre les deux pays, du fait des migrations des troupeaux des populations peuls. Les Peuls de Mauritanie transhument vers le Sénégal, mais se heurtent, du fait de la sècheresse aggravée à l’hostilité des populations haalpular du sud.

Comme on peut le constater dans ce compte rendu non exhaustif l’ouvrage des deux chercheurs canadiens est une mine d’indications de référence sur la question de l’eau. Si celle-ci est traitée an question de géographie générale dans les classes de seconde des lycées, elle intervient également dans l’enseignement supérieur, au niveau des cours de géopolitique et de relations internationales qui intègrent l’hydropolitique dans la grille d’analyse indispensable pour comprendre certaines conflictualités. Si l’eau peut-être objet, enjeu ou cause d’une confrontation, elle peut aussi, et c’est à espérer, favoriser la naissance d’une nouvelle coopération autour des questions d’environnement et d’aménagement des territoires.

Le 18 juin 2007 – Bruno Modica

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