Paru dans la collection ellipses, cet ouvrage propose une synthèse complète et détaillée traitant de la question « « Ecrit, Pouvoirs et société en occident aux XIIe – XIVe siècle » au programme du capes et de l’agrégation pour cette session 2019 – 2020. Il s’agit d’un ouvrage collectif auquel près de vingt auteurs ont collaboré sous la direction de Christine Bousquet – Labouérie (Maître de conférences HDR en histoire du Moyen Âge à l’Université François – Rabelais de Tours) et Antoine Destemberg (maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’Université d’Artois).
La question au programme, complexe, prend acte d’un tournant historiographique essentiellement anglo-saxon datant d’une quarantaine d’années. Ainsi, si le manuel Ellipses introduit son sujet en rappelant que la question de la place de l’écrit dans les sociétés médiévales s’inscrit dans une longue tradition historique, il rappelle également que s’interroger sur ce thème ce n’est pas seulement questionner la matérialité de l’écrit, c’est aussi intégrer la relation entre écrit pouvoirs et société dans une histoire politique et culturelle.
L’ouvrage traite la question selon un axe thématique en quatre parties équilibrées, chacune proposant de procéder par brefs chapitres (10 à 15 pages en moyenne) traités par des spécialistes avec la volonté de réaliser une synthèse sur des points précis.
« Territoires de l’écrit »
L’ouvrage s’ouvre sur une première partie qui traite de l’intensification et de la diversification des formes de l’écrit en Europe (Ecriture épigraphique – p. 13 à 24 ; Culture hagiographique – p. 25 à 37) avant de s’intéresser aux foyers de production d’écrits dans l’occident médiéval à travers l’exemple des monastères bénédictins (p. 39 à 52). Durant la période au programme, il apparaît que l’écrit devient un véritable instrument de pouvoir amenant à s’interroger sur les méthodes de production du livre (P.53 à 67) mais aussi sur les échanges et circulations qui peuvent exister au Moyen Âge.
Cet élargissement de la culture écrite entre le XIIe et le XIVe siècle entraîne une diversification des profils d’historien qui invite à se questionner sur l’écriture de l’histoire (p. 67 à 84) : Quels sont ces principaux producteurs ? Quelle est la place de l’histoire dans la culture écrite de l’occident médiéval ? Quels sont les conditions de travail de l’historien ? Ses liens avec la politique de communication du pouvoir ?
« Cultures de l’écrit »
Dans cette deuxième partie, un point est fait sur l’écrit juridique (p.87 à 99) traitant ainsi du mouvement de rédaction qui amorce le passage d’un droit laïc et coutumier à un droit écrit durant la période ; Ainsi que de la redécouverte du droit romain au XIIe siècle débouche sur un droit écrit savant qui marque la culture juridique, avant d’évoquer l’émergence du droit commun qui marque l’écrit entre le XIIIe et le XIVe siècle.
L’ouvrage rappelle également le rôle du monde universitaire dans cette profonde transformation de l’écrit. ( p. 101 à 118) avant de se pencher sur le passage de la prédication orale à la source écrite qui témoigne d’un fort développement au XIIIe siècle (p. 121 à 133).
Le lien entre les femmes et l’écrit (p. 133 à 142) fait également l’objet d’un éclairage utile démontrant qu’elles ont occupé le domaine de l’écrit (Mais sous quel statut ?) , et qu’elles ne sont pas écartées de la culture écrite même si la question de l’accès à cette culture se pose.
La dernière thématique consacrée aux « Cultures de l’écrit » est celle de l’écrit musical (p.145 à 160) qui se renouvelle durant la période et peut être utilisée par le prince afin d’exprimer sa puissance politique et culturelle. Il faut relever que la bibliographie associée à ce chapitre propose une référence permettant de se familiariser avec l’écoute des disques de la musique médiévale. Suite au passage de l’épreuve de MSP (épreuve orale) au numérique lors de la session 2018 – 2019 du Capes externe, le sujet posé au candidat peut désormais être associé à une ressource numérique (ce qui inclut donc l’audio).
« Gouverner par l’écrit »
Dans cette partie, l’ouvrage fait le lien entre l’accroissement du recours à l’écrit et l’affirmation des pouvoirs. Il apparaît alors que la papauté développe une culture exacerbée de l’écrit entre le XIIe et le XIVe siècle participant ainsi à l’affermissement de l’institution pontificale (p.163 à 184). En parallèle l’écrit marque la genèse de l’Etat moderne puisque la période de la question est celle de la construction et de l’affirmation du pouvoir royal capétien (p. 187 à 200).
Les espaces géographiques sont traités de façon ciblés avec un chapitre dédié aux différentes cultures de l’écrit au sein de ceux-ci : Ainsi l’Angleterre apparaît durant la période comme se reposant de plus en plus sur l’écrit même si l’oralité conserve une place importante (p.201 à 212). Tandis que le royaume de Sicile est marqué par une pluralité politique, linguistique et culturelle qui se retrouve dans l’écrit (p. 213 à 228). L’Italie communale (p.229 à 239), elle, est marquée par sa scripturalité diffuse et la spécificité de ses productions documentaires. Alors qu’en Péninsule ibérique, les écrits sont utilisés par les princes chrétiens pour affirmer leur pouvoir ce qui amène à se questionner sur les modalités de production et de conservation des écrits royaux (p.241 à 253).
« Pragmatiques de l’écrit »
A partir du XIIe siècle, l’exercice du pouvoir repose sur la constitution d’une mémoire écrite et aboutit la confection d’instruments écrits nouveaux. Ainsi la maîtrise de l’écriture juridique échappe aux établissements religieux. On rencontre l’accroissement d’une masse de professionnels (p. 257 à 269), de rouages locaux ou ponctuels avec la volonté de fixer des procédures jusqu’alors coutumières.
En Angleterre, la centralisation précoce du pouvoir royal a encouragé la production d’écrits « pragmatiques » et engendré la diffusion d’une « mentalité de l’écrit » ce qui passe notamment par un accroissement et une diversification de la documentation seigneuriale (p. 271 à 285).
Est ensuite traité le double mouvement de généralisation et de différenciation des enregistrements municipaux en lien avec l’évolution des situations politiques et leurs répercussions sur les pratiques scripturales dans l’Europe méditerranéenne (p. 287 à 298).
L’ouvrage se clôt par un chapitre très bien réalisé portant sur les écrits municipaux dans le nord de la France. Celui-ci permettant de comprendre comment les instances municipales sont entrées dans l’écrit, puis ont créé de nouvelles formes documentaires pour en faire un instrument de plus en plus spécialisé de gouvernement urbain.
Le manuel ellipses livre une synthèse précieuse sur le sujet qui a le mérite d’exister tôt afin d’accompagner les candidats dans leur préparation. Ce choix justifie le fait que la qualité de l’ouvrage soit inégale selon les chapitres. A ce titre le chapitre d’Antoine Destemberg sur l’université apparaît comme incontournable pour traiter de la question au concours. En revanche, certains chapitres comme celui de Fabrice Delivré traitent d’aspects secondaires de la question, qu’il vaut mieux laisser de côté lors d’une première approche.
De plus le choix effectué d’une structuration thématique et non problématisée invite les candidats à assimiler l’ouvrage au fur et à mesure dans une perspective d’approfondissement des points traités.
Cette année pas de sujets corrigés chez Ellipses mais le retour d’une section en fin d’ouvrage qui propose des biographies courtes et directement exploitables. Il est également à noter que chaque chapitre s’accompagne d’une bibliographie redirigeant le lecteur vers des prolongements éventuels.
En somme, si comme l’énonce l’introduction de l’ouvrage, celui-ci « n’a pas la prétention de couvrir l’ensemble des thèmes sous-jacents à la question » au programme, ellipses livre un outil de travail de qualité pour accompagner la préparation au concours. Il est recommandé de ne pas en faire une lecture linéaire mais de se concentrer sur l’essentiel afin de mettre de côté dans un premier temps certains passages plus difficilement exploitables.
Pour aller plus loin
Antoine Destemberg a été invité à s’exprimer sur la question « Ecrit, Pouvoirs et société en occident aux XIIe – XIVe siècle » dans le podcast « Paroles d’Histoire ».