On attendait avec une certaine impatience le nouvel ouvrage de Véronique Grandpierre, auteur d’une Histoire de la Mésopotamie et de Sexe et amour de Sumer à Babylone.
Avec cette histoire des rois légendaires de Sumer, Véronique nous ramène dans la matrice de notre civilisation, dans cette région entre les deux fleuves, que les Grecs ont appelé ensuite la Mésopotamie, dans laquelle nos mythes fondateurs ont pris naissance.
On fera référence à l’arbre de vie, au déluge, et à bien d’autres péripéties que l’on trouve dans ce recueil compilé par des juifs d’Alexandrie, que l’on appelle aussi la Bible. Mais de façon plus contemporaine notre assyriologue préférée évoque pour nous, dans la figure de ces rois légendaires des superhéros, ceux de Games of Thrones, , des épisodes de Star Trek, des jeux vidéo comme Empire Earth et même du Dark métal.

Ces Rois réels ou légendaires d’une contrée nommée Sumer sont finalement très proches de nous. Ils ont les mêmes sentiments, les mêmes passions, parfois les mêmes défauts, que nous autres, pauvres mortels.

On découvrira que le roi de la ville de Kis, Etana a donné son nom à un médicament expérimental qui semble améliorer la fonction érectile des rats, en attendant que ce soit celle des hommes, pauvres mortels, encore une fois.

Mais il convient de ne pas limiter la réflexion de l’historienne à ses préoccupations bien prosaïques, car il s’agit évidemment d’une réflexion globale sur les origines de notre civilisation à laquelle nous sommes invités. L’enquête débute en basse Mésopotamie dans une région qui s’étend au sud de Bagdad jusqu’aux rives du golfe arabe persique il y a plus de 5000 ans. Le climat y est chaud et sec, mais le paysage est à cette époque loin d’être aride. Ce havre de verdure s’est développé grâce à un grand réseau d’irrigation. Déjà, pour l’étanchéité des canaux, on utilisait le pétrole sous forme de bitume. Et c’est là qu’apparaît l’écriture, à partir de ces terres argileuses abondantes dans la région. On n’y grave des signes, le cunéiforme, avec des roseaux taillés. Et on se préoccupe évidemment des conditions matérielles, des inventaires de ses réserves de nourriture que l’on trouve dans des temples ou dans des palais.

Le sumérien reste encore à découvrir, ses origines suscitent encore le débat, entre le sémitique et l’indo-européen. Mais dès le troisième millénaire avant J.-C. une autre langue, l’Acadien est utilisé. Il s’agit cette fois-ci d’une langue sémitique qui utilise l’écriture mise au point par les sumériens.

C’est dans ces langues qui évoluent, d’un millénaire à l’autre, jusqu’au deuxième millénaire, et même jusqu’au premier, que l’on retrouve le récit de ces rois légendaires.

Étana, le pasteur des peuples qui parvint jusqu’aux cieux, est une sorte de précurseur de la quête des hommes vers le savoir. Une fois le déluge passé, de micros états se sont constitués, ils se font la guerre, parfois pour des ressources hydrauliques ou pour la maîtrise des voies de communication. Et on retrouve encore dans ce mythe la découverte, on dirait l’invention aujourd’hui, de l’agriculture comme de l’élevage. Des divinités protectrices sont adoptées par les populations, et lorsqu’une guerre a lieu le Dieu vainqueur incorpore celui du peuple vaincu dans son panthéon.

Enmerkar, le fondateur d’Uruk, et le roi des dieux de Sumer. Fils du dieu du soleil, bâtisseur de la ville. Il impose son autorité à ses voisins, et il s’impose comme le seigneur des lieux. En quelque sorte, il invente une sorte d’impérialisme. Ses voisins n’acceptent pas de gaieté de cœur cette autorité, mais le roi d’Uruk est aussi un guerrier. Il doit franchir la montagne, même si son adversaire lui propose de combattre un taureau.

Le roi d’Aratta verra-t-il dans son adversaire le premier des matadors ? Ce qui est sûr en tout cas c’est que dans cette évocation de ce roi légendaire, on comprend effectivement pourquoi ce que l’on appelle la tauromachie trouve son origine au fond des âges.

Mais le Roi d’Uruk envoie son adversaire une énorme quantité de grains pour sauver la population de la cité rebelle de la sécheresse. Et le roi d’Aratta se demande si sa divinité protectrice ne l’a pas abandonné. Le défi est relevé pourtant par un combat singulier, et Enmerkar habille son champion d’une laine brute, peut-être une muleta, celle du matador qui combat le taureau.

Le dernier des rois, Gilgamesh, et le souverain idéal, omniscient et omnipotent, celui qui entretient l’arbre de vie. Celui qui se retrouve quelque part dans la genèse.

Il serait tellement facile de filer la métaphore sur cet ouvrage qui nous ramène dans cette région aujourd’hui aride, traversée par les guerres, dans la matrice de nos civilisations, de notre culture, et au final de nos mythes. Il est certain en tout cas que l’on ne sort pas indemne de cette lecture. Quelque part, sur des tablettes d’argile, dont des centaines de milliers restent encore à découvrir, une fois que ce nombril du monde aura retrouvé la paix, on espère retrouver des trésors de sagesse pour inventer, par un bond de cinq millénaires, un jardin prospère, celui d’Éden. J’espère que tu

 

Recension de Valérie Manac’h

La Mésopotamie investit depuis longtemps notre espace, et pas seulement nos loisirs : elle influence des romans, ceux de Robert Silverberg, les bandes dessinées pour adolescents, les poèmes orientaux, certains épisodes de Star Trek nouvelle génération, le docteur Who, les jeux vidéo Empire earth, Titan Quest, Final Fantasy, un groupe musical de black métal, les vampires, la recherche pharmaceutique, une grande compagnie irakienne de pétrole, des épices, le cumin qui vient de l’Acadien Kamunu, le curcuma de Kurkanû, … les rois de Mésopotamie fascinent depuis des millénaires.

Selon Madame Grandpierre, « chacun a besoin de héros, d’êtres exceptionnels par leur courage et leurs actes. Quand un groupement prend conscience de lui-même, il crée souvent un personnage modèle, le prend comme ancêtre se célèbre à travers lui ».

Le cadre spatial de l’étude est la Basse-Mésopotamie, dans une région s’étendant du sud de Bagdad jusqu’aux rives du golfe Arabo-persique, il y a plus de 5000 ans. Le climat y est chaud et sec, mais c’est un havre de verdure qu’il faut imaginer. Entre les deux fleuves (en grec meso « entre » et potamos « fleuve ») que sont le Tigre et l’Euphrate, un vaste réseau d’irrigation se développe. Il apporte de l’eau à cette plaine aux riches alluvions et la rend propice aux cultures, d’où la prospérité agricole qui se rajoute à celle du commerce à la fois terrestre (vers le nord et vers l’Est) et maritime par le golfe Arabo-persique. C’est là qu’apparaît l’écriture ; ce sont d’abord les petites tablettes sur lesquelles sont gravés des signes, en premier lieu, des idéogrammes puis, des signes de plus en plus anguleux. La plupart des textes sumériens retrouvés sont de nature économique, temples et palais ayant besoin de gérer leurs immenses étendues de terre, leur bétail et leur main-d’œuvre.

Comme le souligne Madame Grandpierre, les œuvres littéraires sont rares. Dès le troisième millénaire avant J.-C., une autre langue, l’Akkadien est utilisée. Elle doit son nom au pays d’Akkad situé immédiatement au nord de Sumer, dans la région de Bagdad, au centre de l’Irak actuel. Cette fois-ci, il s’agit bien d’une langue sémitique, de la même famille qu’actuellement l’hébreu et l’arabe. Basée sur un système tri-consonantique, les mots sont composés de plusieurs syllabes.

Les Akkadiens ont donc adapté l’écriture mise au point par les Sumériens à la transcription de leur propre langue ; Mme Grandpierre présente alors les particularités de l’écriture akkadienne, mélange d’idéogrammes sumériens et de phonogrammes akkadiens, nous permettant de comprendre les richesses et les difficultés de compréhension.

L’akkadien (et ses deux dialectes : babylonien et assyrien) devient à partir du deuxième millénaire avant J.-C. la langue internationale au sein d’une vaste aire géographique qui s’étend de l’Égypte à l’Iran et de la mer Noire au golfe arabo-persique. Nous savons que l’akkadien lui-même est peu à peu remplacé par une autre langue venue cette fois de l’Ouest, l’araméen à l’écriture alphabétique et linéaire, mieux adaptée à des supports comme le papyrus ou le parchemin.

Madame Grandpierre présente le déchiffrement d’une tablette comme une aventure grande et longue ! Car, écrire ou lire une œuvre littéraire nécessite une formation poussée déjà à l’époque. Les maisons des tablettes existent dès le début du troisième millénaire avant J.-C., le roi d’Ur, Sulgi poursuit au cours de son règne la série de réformes initiées par son père, Ur-Nammu dans tous les domaines (législatif, administratif, religieux). Il augmente ainsi le nombre d’écoles et de scribes. Nous apprenons ainsi qu’il établit un cursus mettant l’accent sur le sport, la musique et surtout l’apprentissage en sumérien d’hymnes créés à sa gloire et d’épopées le reliant aux héros mythiques. C’est donc l’historique des écoles et de l’apprentissage de la langue qui sont retracées, ainsi que la conservation des textes à travers le temps. Seul le contenu compte, les auteurs ne sont pas mentionnés. Qu’en est-il alors du contenu et de ses variations puisque les copies se faisaient sur la récitation, avec beaucoup de répétitions ?

Les rois légendaires sont des êtres humains, certes hors du commun, mais non des dieux. En Mésopotamie, le bilan est partout, aussi bien dans le cadre naturel que dans le plus simple des mortels, tout est une question de degré, selon Madame Grandpierre.

La grande triade divine est composée d’An (Anu en akkadien, le dieu du Ciel père des autres divinités), d’Enlil (le dieu de l’air et du vent, son fils qui exerce le pouvoir), et d’Enki (Ea en akkadien, le dieu de la sagesse qui conseille les autres et trouve toujours une solution quels que soient les problèmes qui peuvent surgir) ; s’y ajoute une divinité très particulière, Inanna, déesse de l’amour et de la guerre qui intervient également dans l’élection royale. Mais, cette triade n’est pas identique partout, car la Mésopotamie est constituée de cités-états, chacune étant dirigée par un roi différent. De la même manière, plusieurs traditions de l’histoire des personnages légendaires peut se côtoyer.

Ces textes renvoient bien à l’invention de la politique, ils ne sont pas de simples histoires pour enfants, ils sont élaborés dans un contexte politique qui évolue sans cesse. Il s’ensuit une réflexion sur la royauté, sur le rôle de ces fables, car « à travers leurs aventures qui se transmettent de générations en générations, la conception politique et religieuse du pouvoir et de celui qui l’exerce, ancré dans le mythe, soude toute la société ».

L’ouvrage de Madame Grandpierre cherche à montrer ce qu’apprennent ces rois légendaires, ce qu’ils révèlent des conditions d’élaboration de leur histoire, leurs objectifs et significations. Il s’agit bien de propagande royale, de légitimation, d’appropriation d’un territoire, de prise de pouvoir. Ce livre est donc l’occasion de re-découvrir prendre ces histoires du temps jadis. Revenons, comme le chante le texte sumérien, Gilgamesh, Enkidu et les enfers :

En ces jours, en ces jours lointains,

En ces nuits, en ces nuits reculées,

En ces années en ces années d’antan,

À l’aube des temps, une fois les choses primordiales révélées,

À l’aube des temps, après avoir pris soin des choses primordiales comme il se doit…

Plongeons dans l’histoire d’Étana, roi de Kis, le pasteur des peuples qui parvint jusqu’aux cieux, celle d’Enmerkar, le fondateur d’Uruk, de Lugalbanda, son sauveur, celle de Gilgamesh et sa quête de l’immortalité, …

Ces aventures des rois légendaires nous offrent beaucoup d’informations sur le langage symbolique de la monarchie qui est élaboré : il s’agit donc de paraboles d’une grande efficacité qui plaisent à tous grâce à leurs différents niveaux de lecture, selon Madame Grandpierre, ces œuvres « sont là pour donner une cohérence politique, culturelle et religieuse en dépit des coups d’état et des changements de dynastie».

Il s’agit donc de légitimation du pouvoir, placé hors du temps des hommes et de l’espace, somme toute pour assurer une continuité en se rattachant à des êtres fondateurs, d’où l’intemporalité de ces récits et finalement leur modernité dans « une civilisation où, par le biais des logiciels de reconnaissance vocale, l’oral est en passe de reprendre ses droits sur l’écrit, ou la tablette numérique remplace la tablette d’argile, si les réels souverains mésopotamiens ont souvent disparu de nos mémoires, ces rois légendaires de Sumer sont toujours parmi nous. Eux ne sont pas oubliés ! Si la planète est en danger, s’il faut sauver la civilisation, protéger la veuve et l’orphelin, l’imaginaire collectif fait encore appel à eux, toujours prêts à de nouvelles aventures. Tant que l’aventure humaine continue… ».

C’est un ouvrage remarquable que nous propose Mme Grandpierre, le texte est fluide et se laisse découvrir avec beaucoup de plaisir, je le recommande chaleureusement !