Fasti Ecclesiae Gallicanae. 19. Diocèse de Narbonne : Répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500

Le début du titre, obscur aux non latinistes, peut se traduire par les Fastes de l’Église de France et fait allusion aux Fastes consulaires (Fasti consulares en latin), listes chronologiques des consuls utilisées dans la Rome antique comme calendrier de référence. Mais les Fasti Ecclesiae Gallicanae ne sont pas qu’une liste chronologique d’ecclésiastiques. Ce nom désigne à la fois un groupe de recherche constitué en 1990 et une collection éditoriale dont l’objectif est la réalisation d’un répertoire des évêques, dignitaires et chanoines des 147 diocèses de la France dans ses frontières actuelles, de 1200 à 1500. Chaque diocèse fait ou fera l’objet d’un volume structuré en deux parties. La première est une présentation générale du diocèse, la seconde contient le répertoire.

L’œuvre d’un autodidacte et d’une équipe d’universitaires

Le diocèse de Narbonne, 19e volume de la collection commencée en 1996, est d’abord l’œuvre posthume de Benoît Brouns, un historien autodidacte au parcours atypique. Le fait mérite d’être signalé car il est rare qu’un historien amateur -au sens noble du terme- se retrouve à diriger une équipe d’universitaires pour réaliser une recherche de haut niveau. Benoît Brouns, né le 23 février 1939 à Heerlen (Pays-Bas), avait été un temps moine ou convers puis fabriquant de batik dans un village des Pyrénées-Orientales avant de travailler à la cave coopérative de Villerouge-Termenès dans le département de l’Aude. Il était tombé amoureux de ce petit village audois et de son château, ancienne possession des archevêques de Narbonne. Pour restaurer et ouvrir au public le château, alors à l’abandon, il créa en 1982, avec les habitants de la commune et le soutien du Centre d’études cathares, une fête médiévale annuelle comprenant des reconstitutions et conférences historiques de haut niveau[1]. À cet effet il mena des recherches approfondies sur le dernier parfait cathare Bélibaste, brûlé à Villerouge en 1321, et sur son adversaire, l’archevêque Bernard de Fargues. Cela lui permit de concevoir, en 1993, l’exposition permanente installée dans le château qui venait d’être restauré par la municipalité. Approfondissant ses travaux il rédigea, pour le Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne, une remarquable étude sur Bernard de Fargues (2003), dirigea une étude sur les Palais et châteaux des archevêques de Narbonne (2009) et collabora à une synthèse sur Les plafonds peints du Languedoc (2014). Sa grande connaissance des sources ecclésiastiques l’amena à intégrer l’équipe des Fasti Ecclesiae Gallicanae pour publier le volume sur le diocèse de Narbonne. Entre temps il s’était installé en Avignon. Il y mourut en toute discrétion, le 5 juin 2015, sans avoir achevé la rédaction de son dernier ouvrage. Jean-Michel Matz et Laurent Vallière se sont donc chargé de finaliser la publication avec l’équipe initiale et quelques nouveaux collaborateurs.

L’auteur Benoit Brouns en Bernard de Fargues, archevêque de Narbonne dans la cour du château de Capestang. Photo : Monique Bourin, 2008

Une synthèse de la recherche la plus avancée sur un diocèse

Dans la notice institutionnelle Benoit Brouns présente la province ecclésiastique de Narbonne d’où ont été détachées les provinces de Tarragone en 1091 et de Toulouse en 1317. La création des évêchés d’Alet et de Saint-Pons-de-Thomières en 1318 réduit le diocèse à 203 paroisses. L’archevêque est assisté, au spirituel d’un vicaire, d’archidiacres et d’archiprêtres ; au temporel d’un sénéchal et de bayles ; au judiciaire de trois officialités. Sous son autorité existent quatre collégiales de chanoines séculiers, trois à Narbonne et une à Capestang (Hérault).

Le quartier canonial, résidence du chapitre métropolitain est présenté par Yves Esquieu. Non clôturé mais bien délimité, il comprenait divers bâtiments dont subsistent un cloître et une salle capitulaire gothique. En revanche les demeures des chanoines qui s’interpénétraient avec des demeures laïques ont disparu.

Christian Freigang présente un aperçu de ses travaux sur la cathédrale gothique. Les sources permettent une chronologie précise des travaux. La première pierre est posée par Maurin en 1272 et dans les années qui suivent sont construites les chapelles funéraires de Pierre de Montbrun et Philippe-le-Hardi. Bernard de Fargues inaugure le chœur en 1332, aménage sa chapelle funéraire et construit une cloison fermant le chœur à l’ouest dans l’attente de l’achèvement, jamais réalisé, de la cathédrale.

Michelle Fournier s’intéresse à la collégiale Saint-Paul et à la mémoire de Pierre de la Jugie.

Dans un chapitre qui constitue l’un des apports les plus originaux de l’ouvrage, Monique Bourin souligne l’exceptionnel importance du patrimoine immobilier de l’archevêque, l’un des mieux dotés du royaume malgré les démembrements successifs de la province et du diocèse. Celui-ci possède en effet une seigneurie comprenant la moitié de Narbonne et trente-cinq villages dont deux hors du diocèse et même, pour Pia, dans le royaume d’Aragon voisin. Il y dispose d’un palais, de dix-neuf châteaux et de quelques hôtels urbains. L’auteure décrit l’évolution de ces lieux, tours seigneuriales transformées parfois en forteresses puis en palais, dont certains ont gardé une partie de leurs luxueux décors. Elle évoque ainsi l’exceptionnel plafond peint du palais de Narbonne, aménagé, selon une récente dendrochronologie, dans la première moitié du XIIIe siècle pour Arnaud Amaury ou Pierre Amiel, puis le décor mural de Capestang réalisé pour Bernard de Fargues, le plafond peint de Pieusse pour Pierre de la Jugie et le plafond peint de Capestang pour Jean d’Harcourt vers 1450.

Cette première partie s’achève avec une présentation des sources et de la bibliographie. La destruction de l’essentiel des archives ecclésiastiques narbonnaises dans un autodafé révolutionnaire en 1793, est compensée par des inventaires réalisés au XVIIe siècle, par l’exceptionnelle richesse des archives municipales et par des manuscrits dont le magnifique pontifical de Pierre de la Jugie qui illustre la couverture. Ont été aussi mis à contribution les collections des érudits du XVIIe (Doat, Baluze, dom Estiennot) conservées à la Bibliothèque nationale de France, des registres du parlement de Toulouse et surtout les archives vaticanes, très riches mais encore sous utilisées, surtout après 1378, date où s’arrêtent les éditions de sources de l’École française de Rome. L’ensemble de la première partie est illustré par de nombreux plans, cartes et photographies dont on peut seulement regretter qu’ils ne soient pas en couleur.

Un volumineux répertoire des élites cléricales

La seconde partie est constituée des notices prosopographiques des archevêques et de leurs auxiliaires du chapitre cathédral Saint-Just Saint-Paul. C’est la version papier d’une base informatique accessible aux seuls contributeurs de la collection. Le terme prosopographie, dans son usage actuel chez les sociologues et les historiens étant récent, il faut en préciser le sens. Pour Pierre-Marie Delpu c’est « une étude collective qui cherche à dégager les caractères communs d’un groupe d’acteurs historiques en se fondant sur l’observation systématique de leurs vies et de leurs parcours[2]. » La prosopographie se distingue donc de la biographie sur plusieurs points. Une biographie peut se limiter à l’étude d’une seule personne, sur un plan libre, ne se limite pas aux faits mais cherche à les expliquer et à les situer dans leur contexte. Au contraire la prosopographie est toujours l’étude d’un groupe, sur un plan stéréotypé, et vise d’abord à établir des faits.

Ici chaque individu fait l’objet d’une notice qui suit un plan identique adopté dans l’ensemble de la collection. Pour les dignitaires, chanoines et auxiliaires, la nécessité de faire tenir plus de 530 notices dans un volume réduit a imposé un style très concis. Sont successivement indiqués, si les sources le permettent, l’historique des fonctions dans le diocèse, les dates de naissance, décès et inhumation, les rangs dans les ordres, l’origine sociale, géographique et familiale, les études et la carrière hors du diocèse, les sources et la bibliographie. Les vingt-deux archevêques bénéficient de notices beaucoup plus développées, signalant en outre les représentations contemporaines, les armoiries et sceaux. La résolution des nombreuses abréviations utilisées est facilitée par un aide-mémoire imprimé sur un rabat de couverture. Les notices des archevêques sont classées par ordre chronologique, les autres par ordre alphabétique du prénom. Des index par nom de famille, diocèse ou localité, des tables chronologiques par fonction, facilitent la consultation.

Un ouvrage destiné aux chercheurs qui intéressera aussi le public averti et les généalogistes

La première partie de l’ouvrage, rédigée dans une langue claire et illustrée de nombreux documents, est accessible à tout public averti. Elle permet notamment de comprendre comment était organisé un diocèse, quel était le cadre de vie d’un ecclésiastique au Moyen Âge, sur quoi reposait la puissance d’un évêque et comment se manifestait sa puissance dans l’architecture et les décors de sa cathédrale et de ses palais. De quoi nourrir par exemple, des cours sur la société médiévale en bénéficiant des avancées les plus récentes de la recherche historique.

Le répertoire, résultat d’un travail considérable constitue, selon les auteurs, une « belle moisson d’individus » comprenant une majorité d’inconnus mais aussi quelques figures familières comme Gui Foucois devenu pape sous le nom de Clément IV († 1268) ou le cardinal humaniste Guillaume Fillastre († 1428). Il sera surtout utile aux chercheurs, notamment pour identifier des personnages, dater des textes, des sceaux et des inscriptions. Il permet aussi de faire de l’histoire sociale comment l’a fait Hélène Millet, fondatrice de la collection, sur les élites urbaines du diocèse d’Amiens[3]. Dans le présent volume les auteurs montrent par exemple un recrutement prioritairement régional, dans les diocèses occitans et catalans, mais aussi national et international, puisque que 175 diocèses français et étrangers sont cités. L’index des bénéfices du diocèse qui indique les clercs par localité sera très utile à ceux qui s’intéressent à l’histoire locale. Enfin, les liens familiaux indiqués dans les notices seront utiles aux généalogistes.

Cet ouvrage constitue donc un précieux instrument de travail pour les chercheurs et, pour sa première partie, un livre agréable à lire pour toute personne curieuse de l’Histoire.

 

Liens :

Notes :

  • [1] Bourin (Monique), Tricard (Jean), « Villerouge, mise en scène d’un procès cathare », L’Histoire, n° 156, juin 1992, p. 69-71.
  • [2] Delpu (Pierre-Marie), « La prosopographie, une ressource pour l’histoire sociale », Hypothèses, 2015/1 (18), p. 263-274. URL : https://www.cairn-int.info/revue-hypotheses-2015-1-page-263.htm
  • [3] Millet (Hélène), « Les Fasti Ecclesiae Gallicanae : des clés pour l’histoire des élites urbaines », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 27ᵉ congrès, Rome, 1996. Les élites urbaines au Moyen Âge, pp. 319-333. www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1997_act_27_1_1706