Comment rebondir après un bide, quand on est un auteur dramatique débutant et dédaigné ? C’est assez simple : il suffit d’être Edmond Rostand. Avant de se fossiliser en académicien français trivialement couché dans la tombe par l’épidémie de grippe espagnole de 1918, et de se figer pour la postérité en ringard démodé par le caractère pompeux et patriotard de sa production, « Edmond » a été le gracieux démiurge d’un chef-d’œuvre indémodable de l’art dramatique : Cyrano de Bergerac.
La genèse de cette pièce mythique nourrit donc l’intrigue d’Edmond, adaptation dessinée d’une pièce de théâtre à succès multi-récompensée aux Molières. Mise en abyme visuelle d’une mise en abyme théâtrale, l’album conte l’émergence de l’une des plus éclatantes réussites de l’histoire théâtrale en suivant les affres de la création d’un petit bonhomme inspiré dénommé Edmond Rostand.
Puisant ses hypothétiques sources d’inspiration dans son entourage, un truculent cafetier, un acteur joli cœur et sa dulcinée, Edmond compose fiévreusement dans l’urgence les rimes et les rebondissements de sa pièce en devenir. Ce « work in progress » s’effectue dans les coulisses hilarantes du milieu théâtral, reflet baroque de son temps, caractérisé par une ambiance délicieusement foutraque d’improvisation permanente. La préparation de la première représentation s’y organise, tout à la fois dynamisée et dynamitée par l’esprit de folie narcissique des saltimbanques distribués dans la pièce.
Si tout cela n’est sans doute pas très vrai, ce n’en est pas moins formidablement bien trouvé. On a beau en connaître déjà l’issue triomphale, il est impossible de ne pas s’exalter — et s’attendrir — aux joyeuses et attendrissantes péripéties de l’élaboration de l’œuvre de sa vie par un Rostand inspiré, ou à mieux dire transporté, par son entourage et ses déambulations dans la vie parisienne.
Le lecteur scrupuleux relèvera p. 74 un malencontreux « bayer » au lieu de « bâiller » : détail subalterne. Car les protagonistes de cette épopée comico-théâtrale sont infiniment attachants. L’esprit de répartie étincelant et le rythme allègre du boulevard passent à merveille à travers le trait tonique et les couleurs délavées de leur transposition graphique. Petit bijou de bande dessinée, celle-ci répercute non seulement la trame ingénieuse mais tout l’allant de la pièce d’Alexis Michalik. Cette belle réussite laisse augurer que la version cinématographique, annoncée prochainement dans les salles, sera elle aussi irrésistiblement tonique !
Voilà donc un album aussi charmant qu’euphorisant qui se lit d’une traite le sourire aux lèvres. La magie de Cyrano est décidément inépuisable. Merci, monsieur Edmond. A la fin de l’envoi, une fois encore, il touche.
© Guillaume Lévêque, pour Les Clionautes