Présentation de l’éditeur. « « Le Grand Remplacement est à nos portes ! », « La civilisation européenne est menacée ! », « Le féminisme a proclamé la fin des hommes ! », « Les valeurs de la nation sont bafouées ! »… Ce bref florilège serait risible par son absurdité s’il ne cachait pas des croyances bien réelles et une percée idéologique virulente, appelant à un nécessaire retour aux sources du « roman national ».
C’est donc à déjouer les pièges de cette fiction que s’emploie Élise Thiébaut. Elle s’interroge d’abord sur sa propre « identité » : qu’est-ce que l’histoire de cette Française dite « de souche » a-t-elle à nous dire de l’histoire de France ?
En se livrant à des tests ADN, à des recherches généalogiques et archivistiques, elle pose des questions qui révèlent des tabous et impensés de la mémoire collective. Que nous apprend la génétique ? Quels sont les liens entre généalogie et patriarcat ? Quel impact la traite négrière et la colonisation ont-elles eu sur sa famille et plus largement sur son pays ? Quel rôle les cocottes et courtisanes du XIXe siècle ont-elles joué dans le mythe de la séduction à la française ?
Avec un plaisir aigu et une vivacité pugnace, l’autrice livre une autobiographie de la France singulière comme antidote au roman national ».

 

Comme le signale l’éditeur, Élise Thiébaut est journaliste et féministe. La plume alerte, elle a publié récemment Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (2017) et Les règles… quelle aventure ! (Éd. La ville brûle, 2017). Elle est aussi l’auteure des Fantômes de l’Internationale (2019).

En ces temps de montée d’odeurs identitaires rances, elle qui est née en France, de parents et de grands-parents français, eux aussi nés sur le sol français (p. 7), s’interroge sur sa « francité » et son rapport à la France. Le titre permet de bien comprendre les fils tissés par l’auteure de cet ouvrage. A travers son autobiographie et les recherche menées sur les membres de sa famille, elle questionne la manière dont s’est construite la France et comment ses habitants s’y sont insérés : « Raconter nos histoires, nos origines, nos ancêtres, nos parcours, c’est empêcher que s’installe de façon hégémonique un récit national qui écrase et renie celles et ceux qui ne se conforment pas à sa légende dorée » (p. 27). Parmi les oubliés de l’histoire de France figurent, bien sûr, les Gauloises. Dans les pages de ce livre, Élise Thiébaut entend mettre l’histoire des femmes « au cœur » de son récit. Ainsi, elle présente leur sort, l’infériorité longtemps subie et leurs combats pour l’égalité, en évoquant des membres de sa famille, les Amazones ou Théroigne de Méricourt.

Elle pousse son souci d’autobiographie collective et familiale loin puisqu’elle a décidé de recourir à un test d’ancestralité, c’est-à-dire un test génétique tout en étant certaine que l’identité, la culture  des habitants d’un pays n’est pas transmise par les gènes (p. 26). Le premier chapitre (« Un moment de gènes ») et le deuxième (« Auprès de mon arbre ») sont consacrés à cette recherche. On y apprend que 17 millions de personnes avaient fait un test génétique dans le monde, en 2018, donnant naissance à un marché intéressant pour certaines entreprises, qu’évoque l’auteure. Elle effectue, un test génétique, en 2017, et obtient des résultats larges, quelques semaines plus tard, qui lui font dire qu’une de ses très lointaines ancêtres était peut-être syrienne et avait migré, ce dont elle dit «  savourer l’ironie » (p. 81).

Dans les chapitres suivants, Élise Thiébaut, même si elle s’en défend, déconstruit l’histoire traditionnelle de la France, le « roman national » qui valorisait, les grands hommes, les grands rois, les grandes batailles ainsi qu’une France toujours du côté du bon droit, sans cependant céder à un dolorisme inutile. Les chapitres 3 et 4 sont centrés sur la place des femmes. En revenant sur l’histoire de certaines de ses ascendantes, elle évoque, ces femmes longtemps dénigrées car recourant à la prostitution ou élevant seules leurs enfants ou bien encore entretenues, courtisanes… Elle dénonce aussi les violences masculines : viols lors des guerres, avortements forcés à La Réunion, rapt d’enfants en Espagne sous le franquisme… Le chapitre 5 (« Traversées coloniales ») revient sur la colonisation et ses conséquences. L’auteure rappelle que dans les années 1960, nombre de petits Français ont appris à lire avec Le voyage de Macoco, dans lequel la mère de cet enfant, Mamadou, y était présentée en train de « piler le mil » (p. 171-173). On y lira, plus loin, une lettre terrible écrite par un ami au père de l’auteure, pendant la guerre d’Algérie. Dans le chapitre 6 (« Des noms et des prénoms ») qui porte sur la religion, l’auteure critique « le délire aux accents xénophobes » de Renaud Camus à l’origine de l’idée de « grand remplacement », signe d’une « angoisse maladive à l’idée que la population de la France puisse simplement changer » (p. 204-205). Enfin, le chapitre 7 (« La guerre de mes aïeux »), porte sur le comportement de membres de sa famille pendant la Seconde guerre mondiale. Son grand-père maternel a certes donné un coup de main discret à la Résistance. Cependant, l’auteure affirme que « l’impensé de cette histoire était l’antisémitisme » (p. 228) et la proximité d’un de ses ascendants avec les Croix-de-feu, mouvement qui avait nombre de sympathisants dans les années 1930.

Un ouvrage dans lequel l’auteure, à l’écriture vive, avance parfois en sautant du coq à l’âne, ce qui peut surprendre ceux qui sont habitués aux livres d’historiens méthodiques et prudents. Reste que les débats posés sont des plus intéressants et actuels.