Les zombies, les morts-vivants, les marcheurs, des décharnés… sont partout. A la télévision, sur les écrans de cinéma, dans les jeux vidéo ou la bande dessinée, ils rôdent toujours à l’affût de notre attention, de notre temps et surtout de notre cerveau disponible. Si l’intensité de la production culturelle autour du zombie peut fluctuer en fonction du monstre tendance du moment, il était temps de poser un regard géographique sur cet individu qui, sans le vouloir consciemment, conquiert le territoire des hommes pour en faire un espace à son image, désincarné.
C’est l’objet de l’essai de Manouk Borzakian, géographe et auteur de Géographie Zombie, les ruines du capitalisme, paru en 2019 aux éditions Playlist Society. Alerte spoiler maximale ! Si votre filmographie sur ces charmantes créatures n’est pas à jour vous risquez au choix de : 1- ne rien comprendre ; 2- vous gâcher le plaisir de découvrir certaines œuvres filmographiques ou télévisuelles. Ainsi avant d’ouvrir l’ouvrage assurez-vous d’avoir visionné les grands classiques des films sur les zombies, les films du réalisateur Georges A. Romero, mais également les séries les plus récentes comme the Walking Dead, en passant par les œuvres traitant le sujet avec dérision comme Bienvenue à Zombieland réalisé en 2009 par Ruben Fleischer. Cette culture préalablement acquise vous pourrez vous lancer dans l’analyse du phénomène zombie de ces débuts du cinéma à aujourd’hui.
Si l’essai commence par un rappel de l’apparition de cette monstruosité dans les Caraïbes colonisées entre folklore haïtien et légendes africaines, il explique comment le zombie a migré, au cinéma, sur le continent américain et plus particulièrement aux États Unis où comment l’exotisme a laissé place à une menace bien plus immédiate et beaucoup moins insulaire.
S’en suit une analyse des stratégies des individus face à cette invasion entre enfermement, nomadisme et refondation d’une nouvelle société, ces tentatives nous en apprenant plus sur nos sociétés actuelles, le zombie n’étant qu’un révélateur de note obsession à la maîtrise territoriale et des flux migratoires. De ce postulat découle une géographie de ce nouveau monde où les zombies sont les êtres ayant créé les limites entre les différentes zones : celle [pour l’instant] où s’organise la survie de l’humanité, celle partagée entre les deux espèces et la dernière abandonnée à ces êtres sans but.
L’analyse intéressante de la disparition d’un territoire des hommes au profit d’un réseau sûr et protégé puis d’un espace toujours plus restreint sur lesquels les hommes n’ont plus de repère et tentent tant bien que mal de reconstruire une société, est mise en parallèle avec la filmographie western qui montrait le phénomène inverse : la conquête d’un espace, l’Ouest américain, par la mise en place d’un réseau notamment ferroviaire et l’installation d’une société territorialisée. Un essai pour les amoureux du cinéma, de la chair fraîche et de l’analyse géographique. Un ouvrage qui n’oublie pas de rappeler que le zombie n’est que le miroir de nos sociétés ultra-consommatrices et dépendantes de la technologie, un zombie finalement catalyseur de nos craintes et de nos propres défauts.