Dans son nouvel album édité en vue de défendre la liberté de la presse, l’association Reporters sans frontières offre cent photographies du génialissime Elliot Erwitt.

C’est par un constat bien sombre que débute ce numéro, avec l’éditorial du secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, qui écrit (p.5) :

« Nous vivons l’ère du faux-semblant, du simulacre, dont l’industrie de la désinformation n’est que l’un des aspects. La différence s’estompe jusqu’à disparaître entre le vrai et le faux, le réel et l’artificiel, les faits et les artefacts, mettant en péril à la fois l’information et le droit à l’information. Des capacités de manipulation inédites sont utilisées pour fragiliser celles et ceux qui incarnent et défendent le journalisme de qualité, en même temps qu’elles affaiblissent le journalisme en soi. La dérégulation de l’espace public et les facilités technologiques favorisent une polarisation où les idéologies opposées se rejoignent dans un déni de réalité fondé sur une négation des faits, mêmes les plus indiscutables ».

Face aux défis posés par l’IA, Christophe Deloire évoque la « charte de l’IA dans les médias », un projet présidé par le prix Nobel de la Paix Maria Resa et qui vise à définir un cadre éthique à son utilisation. De même, RSF s’est lancé dans le développement du « projet Spinoza » afin de promouvoir un usage « vertueux » de l’IA dans le journalisme.

La présence d’Elliot Erwitt dans ce nouvel opus n’en devient ainsi que plus logique puisque, au delà des superbes clichés, basés sur le réel, réalisés par cet artiste, le travail d’Erwitt « parle de la famille humaine à la famille humaine » écrit Pauline Vermare (p.9). Un immense humour et une grande tendresse se dégagent en effet très souvent de ses images.

Mondialement connu pour ses photographies de chiens (et l’album en présente un certain nombre, (pages 10, 18,31, 92, 93, 106, 114-115, 116 et 118), celui qui va rejoindre l’agence Magnum à 26 ans, est aussi l’auteur d’un travail engagé, comme le montrent clairement les photographies dénonçant le racisme et la ségrégation aux États-Unis (pages 26 à 28). Photographe de l’enfance, comme le rappelle Marie Desplechin qui le compare à Sabine Weiss (page 77), Elliot Erwitt s’est aussi intéressé à la famille et au couple (voir par exemple la page 55 pour le cliché « iconique » du couple s’embrassant et dont les visages apparaissent dans la rondeur d’un rétroviseur). Le volume expose, entre autres, une partie de son travail en Europe de l’Est, son regard sur la nudité, un portrait pensif d’Ernesto Che Guevara ou encore un cliché (pages 66-67) présentant un Nixon vindicatif posant ostensiblement le doigt sur le veston d’un Nikita Khrouchtchev flegmatique. La photographie prise en 1959 à Moscou devient « un symbole de la guerre froide ». Nixon utilisera cette image (sans en demander l’accord à Elliot Erwitt) pour l’élection présidentielle qu’il ne gagnera pas.

RSF publie également son « état » de la liberté de la presse dans le monde (p.130-131) et présente parmi les défenseurs de cette liberté fondamentale la chaîne en ligne arménienne Factor TV, le journaliste grec Thanasis Koukakis, le journaliste guatémaltèque Jose Rubén Zamora et le journaliste tunisien Khalifa Guesmi.

Grégoire Masson