Une somme d’articles relatant le vécu de la guerre.
« Les feux sont éteints, certes. Et cependant même s’il n’y a plus de braises sur la dalle noircie de la cheminée dans laquelle ont brulé nos existences, il y restera toujours des cendres »
C’est par cette phrase que Philippe Labro conclut sa préface, preuve de l’importance qu’a pu avoir la guerre d’Algérie durant sa vie. En effet dès les premières pages de cette somme monumentale, on sent l’impact qu’a pu avoir ce conflit pour ceux qui l’ont vécu et ses nombreuses conséquences sur la France et l’Algérie naissante, perçu par l’auteur comme étant « un tournant du 20ème siècle ».
Cet ouvrage est composé d’article de la revue Historia datant de septembre 1971 à avril 1974, des numéros qui se sont très bien vendus malgré la prétendue amnésie collective de l’époque. Yves Courrière est derrière cette initiative de raconter la guerre comme elle a été, fort de son vécu. En effet, il a été journaliste, puis capitaine dans l’armée et même enquêteur civil sur les conditions de vie des Algériens. Il en est arrivé à une conclusion : la détestation de la guerre.
Le principal intérêt de cet ouvrage est, selon son principal auteur Tramor Quemeneur, d’apporter une vision journalistique du conflit. En effet, la majorité des contributions sont dans cette veine et proviennent de journalistes français (la grande majorité) ou algériens (une dizaine) et donnent beaucoup de place aux témoignages, nous permettant d’être au plus près des événements. Ceux-ci permettent de voir la guerre sous un autre jour malgré les approximations et erreurs sur certains faits, liées à l’avancée de la recherche depuis les années 1970.
L’Algérie de 1830 à 1954
Avant de rentrer dans le vif du sujet, toute la première partie du livre est consacrée à l’Algérie avant la guerre. De la conquête par la France en passant par l’émergence du mouvement nationaliste, l’Algérie pré-guerre est abordée en fonction de choix bien précis : Le 8 mai 1945, moment de l’impossible réconciliation entre les peuples ou encore l’émergence du mouvement nationaliste à travers Messali Hadj et les Historiques du FLN. Ceux-ci font d’ailleurs l’objet d’une biographie détaillée mais souvent dépassée et plus d’actualité. On apprend également les causes profondes des revendications indépendantistes comme l’impossible intégration politiques des Musulmans au sein de la colonie (révolte de 1870, échec du projet Blum Violette). C’est une vision très lucide de cette colonie qui nous est offerte ; difficile à gouverner depuis Paris et rejet de tout projet d’intégration des Musulmans de la part des colons qui voient la France comme un pays lointain et font preuve d’un attachement démesuré à cette terre. Cette première partie aborde également le début de l’insurrection avec les actions armées menées lors de la Toussaint Rouge.
Les différentes phases de la guerre d’Algérie
La suite de l’ouvrage s’organise par découpage en année, traduisant les grandes orientations du conflit. Il s’agit alors de décrire la guerre en à raison d’un chapitre par année (sauf pour les deux derniers chapitres). Chaque début de chapitre est illustré par les unes des numéros d’Historia de l’année correspondante et une introduction rappelant les principaux événements de la guerre d’Algérie.
L’année 1955 : Etats d’urgence
Cette année se focalise sur les causes profondes de la guerre (misères, sous administration de certaines régions) et sur certaines figures emblématiques du FLN comme Amirouche ou Abane Ramdane, le politique du FLN, comment il est devenu la figure pensante du mouvement indépendantiste et a su lui donner une autre dimension. Face à l’insurrection, l’état français va mettre en place l’état d’urgence notamment dans le Constantinois et les Aurès. On apprend à travers un témoignage que les colons de cette région, conscients de ce qui est en train de se jouer, ont très tôt appelé le gouvernement à agir au plus vite contre les révoltés. L’année 1955 est ainsi analysée comme étant l’année de l’entrée dans une guerre véritable
L’année 1956 : La guerre totale
Durant cette année, on assiste à un élargissement du conflit qui va s’étendre à toutes des dimensions de la vie en Algérie et même en métropole. Cette année débute par un article sur la vie de Camus et son engagement durant la guerre notamment la trêve civile qu’il a proposée et qui lui a valu les foudres des colons. Vient ensuite le voyage de Guy Mollet à Alger et de son accueil qui va être décisif dans la réaction française et la poursuite du conflit.
C’est durant cette année que l’enjeu pétrolier va commencer à peser : la découverte de gisements de pétrole puis de gaz vont être un élément déterminant de la stratégie française, qui va longtemps s’ingénier à séparer le Sahara du reste des revendications du FLN. Cette guerre devient également totale par l’engagement de certains français avec le FLN, des réseaux opèrent cette année mais vont être rapidement démantelés. On apprend à travers des témoignages le quotidien des Moudjahid et le sens qu’ils donnaient à leur combat : l’importance de la foi musulmane pour rallier les masses et d’une règle stricte qui s’applique à tous.
1957 : la bataille d’Alger
On revient dans cette partie à une approche plus militaire du conflit avec la bataille d’Alger se centrant sur les motivations des poseurs de bombe et la réaction des parachutistes français, complété par un témoignage poignant sur la perception d’un attentat du FLN par un proche d’une victime. S’en suit un déchaînement de violence dans cette ville, entre offensive du FLN et représailles de l’armée française, avec l’usage de la torture. Une méthode d’interrogatoire qui suscite des réactions notamment chez les chrétiens et de nombreuses personnalités.
Un article revient sur le rôle qu’ont pu avoir les Algériennes durant la guerre : agent de liaison ou infirmière pour la plupart, combattantes pour quelques-unes, un rôle qui était alors très différent du leur dans la société.
Année 1958 : D’une République à l’autre
Pour cette année, sont détaillées les circonstances qui ont amené à la chute du régime et au retour du général De Gaulle : L’implication de la Tunisie et la stratégie du FLN afin de fragiliser la IVe République. Pour la France politique internationale et nationale sont alors étroitement liées. Viennent ensuite les événements de mai 1958 et le retour de De Gaulle, des récits qui donnent beaucoup d’importance au vécu des manifestations et à la manière dont elles se sont déroulées ; une montée en tension progressive avec la prise du gouvernement général et la constitution du comité de Salut Public. Les manifestants acclament De Gaulle et voient en lui celui qui va maintenir la France en Algérie. De retour au pouvoir, les voyages qu’il mène à travers la colonie et les réactions qu’il suscite, souvent unanimes, illustrent tout l’espoir des pieds noirs.
1959 : L’Algérie gaullienne
De Gaulle met alors en place sa politique et tente de composer tant bien que mal face aux rebelles du FLN et aux ultras de l’Algérie française. Il fait face à un nouvel acteur, le GPRA, dont l’objectif est de donner une véritable représentativité à la lutte et plus de crédibilité à l’international. Mais la réponse de De Gaulle est également militaire, la bleuïte et le plan Challe déciment le rang de certains maquis de l’ALN, tout en ayant conscience que la réussite militaire ne pouvait à elle seule apporter une solution, le véritable enjeu étant politique. On a également droit à un témoignage d’un prisonnier de l’ALN et des longues marches afin d’échapper aux ratissages permanents de l’armée française. Ce sont aussi les conditions de vie misérables des villages de regroupement qui sont abordées, camps portant atteinte à l’organisation et à la vivabilité de la société algérienne.
Année 1960 : Barricades et insoumissions
C’est en 1960 que l’on prend conscience dans les plus hautes sphères de l’Etat que l’indépendance est inéluctable, ce qui pousse les ultras de l’Algérie française à la mise en place des barricades à Alger. Les témoignages sur cette semaine sont révélateurs de la détermination des émeutiers : De Gaulle souhaite au plus vite y mettre fin.
Le plan de Constantine, initié quelques années plus tôt, est loin d’avoir tenu toutes ses promesses et la solution économique tant vantée par les réformateurs n’est alors qu’un mirage lointain. Durant cette année, on assiste aux procès du réseau Jeanson avec une opposition entre raison d’état et valeurs humanistes et chrétiennes des membres du réseau qui n’hésitent pas à plaider coupable de ce qu’on leur reproche.
1961 : Négocier malgré la subversion
Face à la politique gaullienne, les ultras de l’Algérie française s’organisent, c’est Madrid qui va servir de base arrière aux fondateurs de l’OAS et permette de lancer ce mouvement. Puis le putsch des généraux et les tentatives des meneurs afin de rallier un maximum d’officier à leur cause à travers toute l’Algérie. On apprend que les attentistes sont à ce moment-là les plus nombreux, curieux de savoir quel camp va l’emporter. Les transistors et le discours du général ont été l’arme les plus efficaces contre les conjurés et l’armée va rester fidèle à De Gaulle.
Débutés en 1961, les accords d’Evian ont été l’occasion d’âpres négociations portant sur la nécessité d’un cessez le feu mais également du statut du Sahara, plusieurs mois ne suffisant pas à trancher ces questions. Ensuite le 17 octobre 1961, un des premiers articles à relater les faits depuis la fin du conflit revient sur cette tragédie sanglante. Face à l’OAS, le MPC mène la lutte et souhaite organiser une coopération afin de maintenir la présence des Français en Algérie.
1962 : La marche vers l’indépendance
On commence par un aspect méconnu du maintien de l’ordre à Alger : la lutte contre les inscriptions faites par l’OAS et les morts que cela a pu provoquer, la terreur y règne et la violence devient banale. Cette terreur, dont le principal responsable est l’OAS, va susciter l’indignation des français et des manifestations dont celle du métro Charonne.
Un article revient sur la logique à l’œuvre lors des accords d’Evian qui vont rapidement être remis en cause par des évènements dramatiques comme celui de la rue d’Isly : on en saisit toute l’ampleur et on comprend que c’est le résultat d’une méprise des forces de l’ordre et d’une mauvaise appréciation de l’OAS.
Enfin c’est l’indépendance qui se prépare avec les luttes intestines au sein du FLN qui seront lourdes de conséquence par l’avenir de l’Algérie. Cela n’entache en rien la ferveur populaire autour du vote de l’autodétermination avec une écrasante majorité du oui pour l’indépendance.
1962 : L’indépendance et après ?
Un article revient sur le sort des harkis, que l’on désarme progressivement, certains espèrent la clémence du FLN en le rejoignant sur le tard. Les plus chanceux bénéficient du soutien de leurs officiers et peuvent rejoindre la France. Des témoignages nous font prendre conscience de la tragédie de l’exode, de ceux qui préfèrent tout détruire avant de partir, de ceux qui n’ont pu prendre que quelques valises pour un pays dans lequel ils n’ont jamais mis les pieds. Leur objectif est néanmoins clair : survivre et permettre à leurs enfants d’être en sécurité.
Ces pieds noirs, une fois arrivée en France, vont faire face aux difficultés d’intégration, mais certains vont incroyablement bien réussir. L’autre catégorie de population qui a du mal à s’intégrer est la communauté algérienne, entre impératif économique et rejet, ils jouent un rôle d’équilibriste et vivent dans une situation souvent précaire.
Au-delà des tensions liées à la fin de la guerre, la mise en place d’une coopération entre les deux pays ne tient pas toutes ces promesses, ainsi le nombre d’enseignants français en Algérie ne fait que décroître à partir de 1963.