Publié en 2019 dans le contexte de l’anniversaire de la mort l’empereur Hirohito décédé en 1989, le manga (seinen) Empereur du Japon, qui compte au total huit tomes, est la première adaptation du genre du plus long règne d’un empereur japonais (62 ans) dont le poids et le rôle dans l’histoire restent controversés. La traduction française proposée par Delcourt depuis 2019 mérite une réelle attention. D’une part, le manga, scénarisé par Issei Eifuku et dessiné par Junichi Nôjo, a été un véritable phénomène littéraire au Japon. D’autre part, ce fut, selon Pascal Laffine, éditeur chez Delcourt/Tonkam : « un parcours du combattant pour réussir à obtenir les droits, car c’est un sujet très sensible. » En effet, C’est sous le règne d’Hirohito, l’ère Shōwa (1926-1989), que l’armée impériale japonaise commit durant la Seconde Guerre mondiale des crimes de guerre toujours sources de tensions en Asie : massacre de Nankin en 1937, emploi de la torture, esclavage des populations chinoises et coréennes, viols et prostitution forcée, expériences scientifiques menées par l’Unité 731 dans des conditions inhumaines…. Si durant longtemps, Hirohito a été présenté comme un Empereur soumis aux officiers japonais, l’Amiral Tōjō en tête, depuis des historiens ont bien démontré son implication directe dans la politique impérialiste et sanglante du Japon. Mais au Japon cette représentation reste encore délicate et surveillée attentivement par les nationalistes.
Delcourt nous propose depuis septembre la traduction assurée par Xavier Hébert et Takanori Uno, des tomes quatre et cinq, soit la période s’étendant de 1920 à 1923. Nous ne sommes certes pas encore rentrés dans le vif du sujet mais les étapes qui précèdent la Seconde Guerre mondiale ne sauraient être ignorées.
En 1921, encore prince héritier, Hirohito entreprend un long voyage à l’étranger. Il quitte Yokohama le 3 mars à bord du navire de guerre Katori, et visite cinq pays européens. Le voyage a duré six mois. Sa première escale, et la plus longue, s’est faite au Royaume-Uni. Loin d’être anecdotique, Hirohito est le premier membre de la famille impériale japonaise à visiter le Royaume-Uni, séjour qui le marque à jamais. Le temps fort de ce tome 4 quatre est sans conteste la rencontre entre le roi George V et le futur empereur et le dialogue qui s’instaure entre eux. George V revient sur le bilan de la Première Guerre mondiale qui résonne nécessairement auprès du lecteur averti, qui fait office de troisième membre invité malgré lui dans cette conversation dont il connaît la conclusion : « les villes détruites, les foyers endeuillés … vous devriez en tirer de riches enseignements » lui dit George V, qui met en garde l’héritier du trône du Chrysanthème sur d’éventuelles difficultés qu’il serait amené à rencontrer au cours de son règne. Ce passage illustre parfaitement, sans excès ni artifice, la manière dont Hirohito a de son vivant considérer le roi George V, c’est-à-dire comme un père, alors que dans le même temps le sien est à l’agonie et que les intrigues politiques liées à sa succession se poursuivent lentement mais sûrement depuis la villa impériale de Kamozawa à Nikko. C’est en Europe qu’Hirhito goûte une liberté inconnue … Comme prendre le métro lors de sa visite à Paris ! L’histoire reprend le dessus lors de sa visite en Belgique sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Le tome cinq s’ouvre quant à lui sur son retour au Japon, le 3 septembre de l’an 10 de l’ère Taishō au (1921). Rythmé par la question de la régence, l’assassinat du Premier ministre Hara Takashi et, surtout, la visite du Prince héritier Edouard d’Angleterre en 1922, le tome s’achève sur l’important tremblement de terre qui secoua le Japon le 1er septembre de l’an 12, le séisme du Kantō de 1923 qui fit plus de 100 000 morts et disparus.
Ces deux tomes rendent particulièrement compte du poids de la politique et de l’étiquette entourant la Maison impériale du Japon et dont l’actualité mondaine rend encore parfois compte de nos jours. Tout, dans le dessin et le récit, traduit une réelle subtilité et une certaine finesse telle que la scène du papillon qui vole de l’empereur Taishō, à l’agonie, à son fils qui endosse peu à peu son futur rôle en accueillant le Prince Édouard d’Angleterre en visite officielle. Inclusif, ce manga bien entendu n’occulte pas le poids et le rôle des femmes en particulier celui de sa mère, l’impératrice Teimei et la princesse Kuni, future impératrice et épouse d’Hirohito qui doit faire face à l’hostilité d’une partie de la cour.
Sensible, sérieux et délicat, ce manga ne verse pas dans le sensationnalisme loin de là. Le soin accordé au dessin, aux reconstitutions historiques (bâtiments, costumes, paysages…) montre le soin des auteurs à retranscrire une histoire politique et culturelle qui reste extrêmement sensible au Japon.
Mais, si pour le moment les auteurs ont misé sur un portrait avant tout intimiste du souverain, il reste à découvrir la suite et la direction prise par les auteurs pour aborder les événements des années 30 et 40.