Sophie Wirth est médecin et Laurent Wirth est historien, ancien doyen de l’Inspection générale d’histoire-géographie. L’ouvrage est consacré à plusieurs membres
de la famille de Sophie Wirth, en particulier son aïeul François Julien Chatet, capitaine de la garde nationale pendant la Commune de Paris et victime de la répression qui suivit la Semaine sanglante, et sa mère, Madeleine Aylmer-Roubenne, résistante, déportée à Ravensbrück qui donna naissance à une fille dans le camp. L’ouvrage qui est un ouvrage mémoriel très émouvant s’appuie sur d’importantes recherches d’archives.

Il décrit une famille attachée sur plusieurs générations aux valeurs de la République, plutôt une République sociale et réformatrice symbolisée par une Marianne révolutionnaire coiffée du bonnet phrygien, une République de combat ( « Marianne au combat » aurait pu dire Maurice Agulhon) contre ceux qui la menacent ou l’oppriment qu’il s’agisse des Versaillais, des Camelots du Roi et des ligues ou des nazis. L’ouvrage répond bien aux chapitres du programme de Première consacrés à la France de 1860 à 1918. La dernière partie pourrait être utilisée dans le cadre de la préparation au Concours national de la Résistance et de la Déportation.

 

Génération 1870 : François Julien Chatet, ou le destin d’un fédéré

François Julien Chatet est né en 1819 à Paris dans le quartier du Temple au pied de Belleville. Il exerce la profession de peintre sur porcelaine, activité que pratiqua le peintre Auguste Renoir à ses débuts. François Julien Chatet appartient au milieu des artisans parisiens, très nombreux à Paris au XIXe siècle : orfèvres, ébénistes, verriers. La fabrication de la porcelaine connaît un grand essor au XIXe siècle. Chatet est à la frontière entre les artistes -il peint des tableaux pour son cercle familial, il a des amis sculpteurs- et les artisans très qualifiés (les techniques de la peinture sur porcelaine nécessitent un grand savoir-faire). Il vit dans le Paris populaire du Xe arrondissement, marqué lui aussi par les percées haussmanniennes. Politiquement, Chatet est républicain. Il est franc-maçon ; en 1850 il se
rend sur la tombe de Voltaire au Panthéon renommé « Temple de l’humanité » depuis 1848. Il est également capitaine de la garde nationale, dont les membres étaient très souvent des artisans comme lui, qui joua un rôle important de soutien à la population pendant le siège de Paris et la Commune.

Les auteurs décrivent très bien la dureté du siège de Paris, mais aussi le climat de fraternité et d’espoirs de transformations sociales qui régnaient durant cette période. Ils soulignent l’extrême violence exercée par les troupes versaillaises (exécutions sommaires très nombreuses) lors de la Semaine sanglante. Sans doute dénoncé, Chatet est arrêté en mai 1871 et condamné du fait de son appartenance à la garde nationale à plusieurs années de prison. Il est emprisonné à Clairvaux. Les prisonniers politiques refusent de travailler (les journées de travail durent de 12 à15 heures, il est interdit de parler). Très affaibli, Chatet est libéré en 1874 et meurt en 1875 d’une pneumonie. Sa veuve, Alexandrine, entretient la mémoire républicaine de Chatet. A l’annonce de sa mort, elle sortit d’un placard une statue
coiffée d’un bonnet phrygien ( ce n’était pas sans risque pendant la période l’ « ordre moral »), la « vierge rouge « des Communards et fredonne une chanson républicaine ( « Citoyens, chapeau bas /Pour te fêter, sublime République/ Nous tresserons des couronnes de fleurs »). Elle ne renia jamais ses convictions républicaines. Le 30 mai 1878 elle pavoisa et plaça une lanterne sur l’appui de sa fenêtre lors de la commémoration du centenaire de la mort de Voltaire (commémoration célébrée davantage dans les quartiers populaires que dans les quartiers bourgeois) et elle participa avec ses enfants, notamment Léontine, l’arrière grand-mère de Sophie Wirth aux cérémonies du 14 juillet 1880. Elle visita également l’Exposition universelle de 1889, symbole à la fois de la modernité industrielle de la France et fête de la République universelle.

Génération 1900 : une Belle Epoque républicaine ?

La génération suivante est celle de la Belle Epoque. Les conditions de vie s’améliorent et on note un passage du monde artisanal au monde industriel, parfois en s’inspirant des techniques de production importées des Etats-Unis. Les luttes sociales ne sont pas absentes. Lors d’une visite d’une fabrique de porcelaine à Limoges (c’est à Limoges qu’avait été fondée la CGT en 1895), les oppositions de classe entre patrons et ouvriers apparaissent clairement . C’est aussi l’époque du patriotisme et de l’affirmation de la République. L’un des membres de la famille devient instituteur en Aveyron et il se heurte aux notables et au clergé conservateur. Il parvint cependant à obtenir l’estime des habitants du village dans lequel il enseignait. Il fut tué par un obus le 22 août 1914.

Face aux violences de l’Entre-deux guerres

La victoire ne mit pas fin aux attaques des adversaires de la République, en particulier des Camelots du Roi de l’Action française, que les auteurs nomment les «camelots de la haine». L’une de leurs victimes fut Louis- Jean Malvy, député radical du Lot et ministre de l’Intérieur de 1914 à 1917. C’est lui qui décida de ne pas arrêter les pacifistes et les syndicalistes du « Carnet B » lors de la mobilisation de 1914, tablant à juste titre sur le ralliement des socialistes et des syndicalistes à la concorde nationale. Mais il était, comme Joseph Caillaux, la victime d’attaques de l’extrême-droite qui l’accusait de fournir des informations à des espions allemands, mais aussi de Clémenceau. Pensant être blanchi de ces accusations, Malvy demanda à être jugé par la Haute Cour composée de sénateurs clémencistes qui le condamna à trois ans de bannissement en 1918. A son retour en France, les attaques ne cessèrent pas. Suzanne, la grand -mère de Sophie Wirth, assista aux attaques dont il fut la victime à Creysse en Dordogne le 7 octobre 1923 lors de l’inauguration du monument aux morts événement hautement symbolique de l’après-guerre. Il fut agressé et blessé et échappa de justesse à un coup de revolver. La crise des années 1930 accrut l’audience des ligues d’extrême-droite et Suzanne assista fortuitement au 6 février 1934. Les auteurs soulignent la violence des affrontements et des attaques des Ligues. Ils soulignent aussi que le Colonel de La Rocque donna l’ordre aux Croix de feu de na pas marcher sur l’Assemblée. Suzanne participa avec sa fille à la manifestation des partis et syndicats de gauche du 12 février 1934.

Madeleine ou Marianne et le minotaure

Madeleine Aylmer-Roubenne avait vingt ans en 1944 et faisait partie dans la Résistance de l’OCM ( Organisation civile et militaire) . Le 30 juillet 1944, elle et son mari, Jean Aylmer participèrent au cambriolage du dépôt d’armes légères de l’Intendance militaire de Versailles. Ils parvinrent à se cacher mais furent arrêtés à la suite de la trahison d’un membre de leur réseau (torture ? agent double ?). Jean Aylmer mourut au camp de Dora en avril 1945.
Madeleine fut déportée au camp de Ravensbrück alors qu’elle attendait un enfant. La description que donnent les auteurs dépasse les limites de l’horreur. En effet à la barbarie institutionnalisée du système concentrationnaire nazi (appels interminables, faim, travail forcé, expériences pseudo-médicales) s’ajouta le chaos et la fureur exterminatrice de la fin de la guerre (Himmler avait exigé l’extermination de 2000 femmes par mois). Des dizaines de milliers de femmes juives et tsiganes mais aussi des femmes emprisonnées par les Allemands lors de l’insurrection de Varsovie à l’été 1944, furent transférées des camps d’extermination polonais à Ravensbrück après d’épouvantables marches de la mort et furent entassées dans des conditions épouvantables. Le camp comptait 50 000 détenues à l’été 1944. Des milliers de juives hongroises furent parquées dans une tente et dormaient à même le sol. Les exécutions de personnes âgées et inaptes au travail étaient très nombreuses et en Janvier 1945, Ravensbrück devint un camp d’extermination avec la construction d’une chambre à gaz. Les fours crématoires brûlaient jour et nuit. A Pâques 1945 encore, 2500 femmes furent gazées. Les enfants tziganes furent tous gazés. Toutefois, Madeleine put compter sur la solidarité de ses compagnes de déportation et sur le fait que les avortements forcés et les assassinats de nouveaux-nés s’arrêtèrent. Madeleine donna naissance à une fille, Sylvie, le 21 mars 1945. Les conditions de survie étaient précaires, seuls trois bébés français survécurent. Madeleine échappa de justesse à une exécution, mais parvint à sauver son enfant. Le 22 avril 1945 elle et son enfant furent sauvées par la Croix Rouge suédoise. L’après-guerre fut difficile.Madeleine ne parvenait pas à parler de la déportation à ses enfants. Elle mourut en 2012 et les honneurs militaires lui furent rendus aux Invalides.