A l’occasion du 150ème anniversaire de la guerre franco-allemande de 1870-1871, une historienne française et un historien allemand confrontent durant une journée les points de vue de part et d’autre du Rhin sur les relations entre les deux pays. La photographie de couverture semble faire d’emblée mentir le titre, avec un gros plan reconnaissable sur les mains du président François Mitterrand et du chancelier Helmut Kohl, à Douaumont le 22 septembre 1984, en hommage aux victimes de la bataille de Verdun.
Un « dialogue franco-allemand » : le poids des mots
L’expression particulièrement imagée “mort aux vaches”, inconnue en Allemagne, viendrait des postes prussiens (“Wache” : sentinelle) sur le territoire français occupé pendant la guerre de 1870. La “longue genèse de la haine” du deuxième chapitre rappelle qu’au XVIIème siècle, c’est pourtant la France qui est vue comme un état belliqueux. Le rattachement de Strasbourg et de l’Alsace à la France par Louis XIV est vécu comme une annexion côté allemand. La proclamation de l’empire allemand à Versailles en janvier 1871 marque le paroxysme du traumatisme en France. La guerre de 1870 marque ainsi le début de l’inimitié héréditaire entre Français et Allemands : c’est la nationalisation de l’interprétation de la guerre, c’est à partir de ce conflit qu’on attribue la responsabilité des souffrances à l’autre peuple. La mémoire française a en partie refoulé cet épisode, sans doute en raison de la Commune et de sa fin tragique.
Deux visions de la Première Guerre mondiale et de ses conséquences
Au tout début de la Première Guerre mondiale, 93 savants, artistes et écrivains allemands signent un “Appel au monde civilisé”, dans lequel ils se rallient à la théorie de la supériorité de la “Kultur” (au sens de civilisation) allemande. Ce texte justifie notamment la violation de la neutralité belge comme seule réponse à une agression étrangère dont l’Allemagne serait victime. L’article 231 du Traité de Versailles y répond en 1919 en imputant la responsabilité du conflit non à l’Etat allemand, mais au peuple allemand. Dans la France du côté des vainqueurs se développe le mythe d’un grand sacrifice mais dont l’issue a été le rétablissement de la paix dans la République, ce qui permet mieux l’acceptation des innombrables pertes humaines. En 1870, la France vaincue avait perdu son honneur. En 1918-1919, c’est l’Allemagne qui doit “assumer cette défaite insupportable”. Le Traité de Versailles n’est cependant pas entièrement satisfaisant pour les Français (pas d’internationalisation de la Ruhr et ses ressources en charbon par exemple), contrairement à ce qu’imagine l’opinion publique allemande.
Les artisans de la réconciliation : une brève éclaircie
Des groupes pacifistes et les représentants économiques – soucieux de retrouver la prospérité – concourent au rétablissement de relations apaisées entre la France et l’Allemagne. Cependant, Briand et Stresemann à Locarno en 1925 défendent deux positions différentes. La France y obtient la sécurité de sa frontière orientale, quand l’Allemagne espère plutôt une révision des frontières allant hypothétiquement jusqu’au rattachement futur de l’Autriche à l’Allemagne. Le changement de gouvernement en 1926 met fin à cette politique de rapprochement.
Le chapitre sur la Seconde Guerre mondiale évoque la rapide défaite de la France en 1940 et les conditions humiliantes de l’armistice qui marquent durablement les esprits. La France, à l’instar de l’Allemagne est “travaillée par son passé” souligne Hélène Miard-Delacroix, en rappelant le titre du livre d’Eric Conan et Henry Rousso (“Vichy, un passé qui ne passe pas”, 1994).
Les premiers pas du « Tandem franco-allemand »
Après la guerre, la menace allemande s’efface rapidement devant celle de l’URSS aux yeux des puissances occidentales. La réalisation de la CECA par les grandes figures de la démocratie chrétienne européenne (Adenauer, Schuman, Spaak…) en 1951 répond au “besoin de sécurité combiné à la volonté d’assurer un avenir commun” (Hélène Miard-Delacroix). Le “tandem franco-allemand » devient un élément emblématique de la construction européenne. Au-delà des personnalités (De Gaulle/Adenauer), ce sont les habitants des deux pays qui sont amenés à se rencontrer et à se connaître. Le traité de l’Elysée de 1963 est ainsi un “lieu de mémoire” selon les mots de Pierre Nora, permettant de multiples jumelages entre villes des deux pays et la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. La dynamique des années 1970-1980 s’est cependant quelque peu essoufflée. Andreas Wirsching, en France en novembre 1989, souligne la différence entre la tiédeur – voire l’inquiétude – des milieux politiques et intellectuels quant à la réunification allemande, et l’enthousiasme de la population française au moment de la chute du mur.
De nouveaux défis à relever
La signature du traité d’Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, en écho au Traité de l’Elysée de 1963, devait donner un second souffle au tandem franco-allemand dans un contexte européen de crise (Brexit, montée des populismes) alors que les stéréotypes fleurissent de nouveau (chacun accusant l’autre d’égoïsme). La récente pandémie montre que ce sont les Etats nationaux qui prennent des mesures concrètes, et non l’Union Européenne. Le livre se conclut sur une note positive, les deux chercheurs insistant sur la longue relation unissant la France à l’Allemagne et sur leur capacité à œuvrer de concert, notamment sur les nouveaux défis à relever (relance européenne face à la crise du coronavirus, changement climatique, indépendance par rapport à la Chine…).
La forme de l’ouvrage le rend particulièrement agréable à consulter, même si cette conversation à bâtons rompus ne peut toujours éviter l’écueil des répétitions ou des digressions. Les regards croisés sur des événements particulièrement importants de l’histoire franco-allemande apportent un éclairage précieux sur les relations que nous entretenons avec nos voisins d’outre-Rhin. Une lecture à conseiller notamment aux élèves et aux étudiants des cursus binationaux franco-allemands.