Compte-rendu réalisé par Sabrina Grétry Ben Attia, étudiante en hypokhâgne (année 2023-2024) au Lycée Claude Monet de Paris, dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.

 

Présentation

Martin Barnier et Laurent Jullier sont respectivement professeur d’histoire du cinéma à l’Université Lumière-Lyon 2 et professeur de théories du cinéma à l’Institut Européen de Cinéma et d’Audiovisuel de Nancy, directeur de recherches à la Sorbonne Nouvelle. Martin Barnier est spécialiste de l’histoire des techniques, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte au son, à la 3-D, à la stéréoscopie et aux genres cinématographiques comme les biopics ou les films à versions multiples. Parmi ses principaux ouvrages, on peut citer Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914 (2010) et Le Cinéma 3-D. Histoire, économie, technique, esthétique (2015) en collaboration avec Kira Kitsopanidou. Laurent Jullier, théoricien du cinéma, oriente ses recherches sur les aspects cognitifs et affectifs à travers différents moyens stylistiques et techniques qui opèrent sur la réceptivité du spectateur. Parmi ses œuvres antérieures, Les images de synthèse. De la technologie à l’esthétiques (1998) ou Star Wars, anatomie d’une saga (2010). Une brève histoire du cinéma (1895-2020) est une étude qui relate les grands évènements ayant marqué le cinéma de ses débuts à nos jours à travers l’analyse de films, le fonctionnement de l’industrie ou les différents genres qui se sont imposés au fur et à mesure du temps. Cette version est une réédition d’une première publication en 2017. L’ouvrage de 469 pages se présente sous la forme d’un résumé complet, par décennie, avec l’apport d’illustrations directement tirées de films, chaque partie d’un chapitre correspond à un aspect particulier du cinéma (aspect technique, économique, aspect socio-politique ou d’un courant). De plus, l’ouvrage est doté d’une introduction rappelant l’aspiration de celui-ci et son organisation, ainsi que d’une partie annexe sur les sources des illustrations et des notes qui servent à éclaircir certains points abordés mais qui n’ont pas été amplement traités.

Résumé

Alors que l’on tend à attribuer l’invention du cinéma aux frères Lumière en France avec la fameuse date du 28 décembre 1895, cette affirmation est erronée. Cette date correspond à la première diffusion payante de ce qu’on appelle des images photographiques animées, qui résulte d’un travail en amont et qui est l’aboutissement final d’un travail entrepris par différents acteurs. En effet, la première image fixée date de 1826 (procédé amélioré en 1839 avec le daguerréotype), l’image animée arrive ensuite avec le phénakistiscope en 1832, puis le folioscope en 1860. La représentation de mouvements est possible en 1894 grâce au chronophotographe qui est en mesure de montrer des positions successives. Les frères Lumière inventent en 1896 le cinématographe, caméra dont le brevet est déposé le 13 février 1895 par Louis, puis la lanterne magique, l’ancêtre des appareils de projection, créée en 1646 et utilisée jusqu’au début du XXe siècle, qui permet la projection sur écran. En ajoutant à cela le fait de payer son entrée, les frères Lumière ont su réunir tous les aspects qui font le cinéma. Ainsi, lors de leur première séance de projection d’un film au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines, 35 personnes sont présentes. Les films étaient alors vendus aux forains et avaient un plus grand champ de diffusion étant donné le nombre important de personnes se rendant dans les fêtes foraines pour se divertir. C’était donc eux qui avaient la propriété des films jusqu’à ce que Pathé décide, en 1907, de procéder à la location des bobines. La Pathé est donc considérée comme l’une des premières sociétés de production. D’ailleurs, la production est un domaine qui va mener à la création de métiers bien qu’il n’y ait pas immédiatement besoin de qualification. Pour cela, il faudra attendre 1926 et la création de l’école de la rue Vaugirard, aujourd’hui connu sous le nom de l’ENS Louis Lumière. Le cinéma, assez tôt, devient une industrie. En 1905 déjà, un procès contre Parnaland et Pathé a pour objet la question des droits d’auteur. En 1911, D.W Griffith avec Swords and Hearts cherche à fidéliser les spectateurs. Le film muet contient des cartons avec des écrits pour faire comprendre l’histoire et est découpé sous forme d’épisodes, ce qui incite le public à revenir pour découvrir la suite. La volonté de légitimer le cinéma et le mettre au rang d’art s’amorce. En 1908, les Films d’Art réunissent des acteurs de la Comédie Française et font appel à d’autres arts existants.

Hollywood, dans les années 1920, s’affirme comme la grande puissance du cinéma. En 1927, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences créé les Academy Awards, plus connu sous le nom d’Oscars. En Europe, la Première Guerre mondiale a donné lieu à une nouvelle vague du cinéma avec des films expérimentaux : Luis Buñuel en 1929 sort Un Chien Andalou, réalisé en collaboration avec Salvador Dali. C’est un film surréaliste qui ne respecte pas les conventions spatio-temporelles. Les années 1930 marquent l’arrivée du son enregistré synchrone. Le public peut ainsi entendre la voix des acteurs. Aux Etats-Unis, la période débutant en 1930 et s’achevant en 1934 est appelée le « Pré-Code ». C’est une période durant laquelle le cinéma pouvait s’autoriser des libertés, peu importe la réaction du public. Dès 1934, cela change avec l’arrivée du code Hays, une autocensure qui ne consiste à ne rien montrer de choquant à l’écran. Ceci a pour origine un arrêt qu’a prononcé la Cour Suprême en 1915, qualifiant le cinéma d’« entreprise commerciale ». Le cinéma n’est donc pas protégé par le premier amendement de la Constitution et s’expose à tout type de censure. Afin d’éviter cela, en 1927, le presbytérien Will H. Hays est désigné pour élaborer un ensemble de directives scénaristiques à éviter. Celles-ci vont être renforcées par Daniel Lord en 1929 : il ne faut pas montrer de techniques de vol, les baisers ne doivent pas être longs… En fait, un film « sage » ne provoque pas de contestations de la part de quiconque pour atteintes aux mœurs, il rapporte donc plus d’argent. Conséquence de la Seconde Guerre mondiale, les films hollywoodiens se retrouvent à vouloir délivrer des messages d’espoir et de réussite après l’échec. Ce sont des films qui veulent donner une « leçon de vie », on montre donc des héros âgés qui ont l’expérience de l’existence, des héros coupables ou perdants mais qui finissent par s’affranchir et affronter les obstacles grâce à quelqu’un ou quelque chose. En 1942, on constate que les films commencent à se structurer par genre : le Motion Pictures Research Bureau publie la liste des genres que l’on peut voir en salle. A travers les dessins animés, le cinéma devient transmédiatique : Bugs Bunny apparaît au cinéma en 1941 (A Wild Hare, Tex Avery) puis il vit des aventures indépendantes dans le magazine Dell en 1962. Le nombre d’entrées atteint un pic en 1945 et 1946 aux Etats-Unis : l’économie de guerre permet à la population de se rendre plus souvent au cinéma. Aussi, la guerre est mise en image et après Pearl Harbor, la création de l’Office of War Information consiste en une étude de scénario afin de ne pas délivrer d’image négative de l’armée.

Autour des années 1950, l’arrivée de la télévision aux Etats-Unis bouscule les habitudes de l’industrie cinématographique. En effet, en 1953, il y a un téléviseur pour 5,9 habitants et, en 1956, les chaînes de télévision se mettent à diffuser des films. Cette période est également la fin de l’emprise totale des compagnies hollywoodiennes sur le cinéma avec la « loi antitrust » de 1948 qui oblige les compagnies à ne plus, à la fois, pratiquer le block-booking, la location de films par lot, et ne plus produire et distribuer les films dans ses salles. En France, le cinéma commence à son tour à s’institutionnaliser : le 25 octobre 1946 est créé le CNC qui vise à la protection du cinéma français, il est rattaché au ministère de la culture lorsqu’André Malraux en est à la tête. En 1960, sur les plateaux de tournage, on utilise volontiers la Mitchell BNC, une caméra professionnelle qui n’a pour elle que sa stabilité et sa netteté parce qu’elle pèse plus de 70 kg, donc son transport n’est pas faisable. Du côté des acteurs et de leurs personnages, c’est une époque de « libération » : celle-ci passe par le corps et l’incarnation des acteurs : Jean-Paul Belmondo et son « attitude cool », Brigitte Bardot, symbole de la femme émancipée. De plus, les cinéastes ont la volonté de jouer avec la patience de ses spectateurs. Seijun Suzuki n’hésite pas à confronter la passivité du spectateur en le faisant sortir du film en passant par la psychologie du personnage. En 1965, dans Histoire d’une prostituée, l’héroïne, imagine que son client le plus fidèle qu’elle hait la surprenne avec un autre. Et cette surprise passe par la décomposition – littéralement – de ce dernier, elle le met en pièces et cela se traduit à l’image.

La décennie 1970 marque l’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes acteurs qui représentent le « Nouvel Hollywood ». Ceci n’est pas une rupture avec le cinéma d’avant, mais seulement un mélange de trois courants stylistiques : le néoclassique qui reste sur la même lignée que le cinéma « d’avant », le courant moderne qui s’imprègne de la « Nouvelle Vague » et le courant rétro qui s’appuie sur le concept de « méta-image », des images faisant référence à d’autres. A cette époque, aller au cinéma relève de l’expérience synesthésique. De plus en plus de cinéastes vont utiliser l’association du son et de l’image dans le but de faire ressentir la séquence qui se joue au spectateur : Play Misty for Me de Clint Eastwood en 1971 utilise la chanson de Roberta Flack, The First Time I Ever Saw Your Face lors de la scène romantique entre Dave et Evelyn. Dans les pays de petite production, notamment en Amérique latine, la production se divise entre le cinéma commercial comme le « cine de luchadores » au Mexique, et le cinéma militant. Luis Ospina et Carlos Mayolo dénoncent d’ailleurs en 1977 ceux qui font du cinéma militant dans le but de figurer dans les festivals. Le développement de l’imagerie numérique amène à de gros progrès dans l’industrie cinématographique. En 1984 dans Le Secret de la pyramide, John Lasseter reproduit le premier personnage entièrement calculé. Il s’agit d’un personnage de chevalier de vitrail prenant vie. Avec l’essor de la télévision, la fréquentation des salles chute, un tiers des spectateurs en moins en France entre 1982 et 1988. Les films de cette époque tendent à s’orienter vers le passé, tant dans l’histoire comme Bye Bye Brazil de Carlos Diegues en 1979 qui raconte les pérégrinations d’une petite troupe circassienne au Brésil et au travers desquelles les « ravages » qu’a provoquée l’arrivée de l’homme blanc sont montrés, que dans les références : Indiana Jones et Les Aventuriers de l’arche perdue en 1981 s’inspirent du Voyage imaginaire de René Clair en 1925. Juste avant les années 1990, UGC crée des cartes d’abonnements qui aident à la fréquentation des salles. On constate alors qu’en France, 60 % des spectateurs ont moins de 25 ans, c’est donc un projet qui fonctionne puisqu’il permet aux jeunes générations de trouver de l’intérêt à aller au cinéma. Mais cela n’arrête pas pour autant la progression en vente des VHS et le visionnage de la TV. La fréquentation des salles en 1992 a été la plus mauvaise. Aussi, le numérique ne finit pas de s’implanter dans l’industrie cinématographique. Il permet ainsi de compléter le bateau, qui n’avait été construit que très partiellement, par le décorateur de Titanic de James Cameron en 1997. Les années 1990 voit également le développement du found footage, le fait de reprendre un film et d’en proposer une version modifiée mais seulement dans le montage : Douglas Gordon le fait en 1993 avec Psychose de Hitchcock qu’il rallonge, 24 Hour Psycho. Au Nigéria, où l’économie du cinéma est extrêmement prolifique, les films en cassette permettent l’implantation d’une véritable industrie locale. Ainsi, le Nollywood devient, vers la fin années 1990, la deuxième industrie mondiale de films de cinéma en termes de productions, juste après l’Inde.

Le début du XXIe siècle voit la fin de la pellicule. Au Festival de Cannes de 2002, une version numérique de Pépé le Moko (1936) est projetée. C’est également l’explosion de la 3-D. Polar Express de R. Zemeckis en 2003 nécessite une projection numérique IMAX et cela oblige les exploitants à s’équiper. Avatar de James Cameron en 2009 est un véritable phénomène à sa sortie, ce qui encourage les salles à diffuser des films en 3-D. La fusion des écrans est une réalité visible dans les années 2010, un même film peut être vu par plusieurs personnes sur des écrans différents. Ceci est un témoignage direct de la grande accessibilité des films. En 2018, près de 226 établissements de cinéma sont des multiplexes, soit 2 582 écrans, 1 789 sont des salles d’art et d’essai qui réunissent 2 525 écrans. Les multiplexes se font donc plus nombreux au point où des salles d’art et essais se transforment en multiplexes comme le Comœdia à Lyon. Enfin, le cinéma subit les conséquences de la pandémie de Covid-19 à partir de 2020. L’industrie subit un ralentissement, les films ne peuvent sortir à cause du confinement. Le cinéma est confronté à une forte stagnation de la fréquentation, seulement 3 films atteignent le million d’entrée en 1920 : Tenet de Christopher Nolan (2,3 millions d’entrées), 1917 de Sam Mendes (2,2 millions d’entrées) et Sonic de Jeff Fowler (2,1 millions d’entrées).

Appréciations

Cette étude se révèle utile et pratique. En effet, c’est une œuvre complète qui est accessible à tous : on y trouve des informations sur l’aspect technique comme économique du cinéma. Surtout, le travail minutieux d’explication de l’esthétique et de son évolution, de tout ce qui fait du cinéma un art est appréciable. De plus, l’évolution des productions au travers de l’organisation par décennie est mise en valeur et on peut noter la très grande diversité des films abordés. Afin d’illustrer certains points plutôt techniques et précis concernant une façon de filmer et ses effets, les illustrations tirées des scènes aide grandement à comprendre l’analyse. C’est en réalité une œuvre de vulgarisation complexe de l’histoire du cinéma, elle convient autant aux amateurs de films qui se soucient d’en apprendre plus sur cet art qu’ils affectionnent, qu’aux étudiants en cinéma qui peuvent y trouver un appui nécessaire. En regroupant des analyses poussées sur tous les domaines qui constituent le cinéma, ce livre aide d’abord à la compréhension du contexte socio-historique qui oriente la production des films, la volonté d’innover parfois. Chaque analyse est contextualisée, c’est-à-dire qu’il y a des films de certaines époques qui ne seraient pas acceptés de nos jours du fait d’une évolution des mentalités. Cela dit, les auteurs mentionnent simplement le caractère non-politiquement correct de ceux-ci. Après tout, ce sont des œuvres faisant aussi partie de l’histoire du cinéma.