Dans l’avant-propos, Philippe MEIRIEU propose une mise en contexte historique en présentant les trois principaux « modes pédagogiques » : individuel, mutuel et simultané. Le mode simultané, où tous les élèves d’une même classe font tous la même chose en même temps sous l’autorité du maître, s’est imposé dès le milieu du XIXème siècle. La classe homogène représente alors le « collectif idéal » de l’institution scolaire. Cette forme privilégie la logique de l’enseignement à celle des apprentissages. Mais elle est aujourd’hui la source de nombreux dysfonctionnements. Pour lui, cet ouvrage apparaît alors comme un outil de réflexion pour une nouvelle Ecole centrée davantage sur les apprentissages et la formation citoyenne des élèves. Il est une aide pour la mise en place de ce nouveau paradigme organisationnel.
Dans l’introduction, Jean-Michel ZAKHARTCHOUK présente une donnée connue de notre système éducatif : l’école française a du mal à faire progresser au moins le quart le plus faible de l’ensemble des élèves. De prime abord plus surprenant, les études montrent l’inefficacité des classes de niveau, au moins pour ces élèves. On constate un faible effet de la constitution de classes homogènes sur l’acquisition des élèves surtout pour les plus faibles. Les pays qui développent la différenciation ont d’ailleurs les élèves les moins performants. A l’opposé l’hétérogénéité globale ne nuit pas au niveau moyen des élèves et permet de réduire davantage les inégalités scolaires. Mais alors comment prendre en compte l’hétérogénéité dans la gestion de la classe en tant que véritable acte pédagogique ? Il existe principalement deux façons de gérer l’hétérogénéité : par la diversification/différenciation successive ou la diversification simultanée. Un accompagnement plus personnalisé est parfois nécessaire à concilier avec l’indispensable dimension collective, mais seulement à des moments temporaires en plus petits groupes.
On peut faire un inventaire des différences : d’acquis scolaires, de maîtrise de codes culturels, d’expériences vécues, d’habitudes éducatives, de styles cognitifs (de stratégies d’apprentissage), de genre (fille/garçon), de motivation, d’histoire personnelle, d’âge,… La massification du système, la suppression de certains paliers d’orientation, la diminution des redoublements sont les principales causes de cette diversification du public d’élèves. De plus, les évolutions sociales, économiques et culturelles font qu’une population d’élèves de plus en plus nombreux se conforment moins à la norme scolaire traditionnelle. Enfin, l’école se veut désormais inclusive. De plus en plus d’élèves à besoins particuliers (dont les enfants intellectuellement précoces) intègrent les classes ordinaires. Les enseignants ne sont pas tous formés, pas toujours préparés.
Il faut souvent faire preuve d’imagination pédagogique pour faire apprendre à tous et favoriser la réussite de chacun. La première étape consiste à dégager les concepts fondateurs de sa discipline, ce que J.-P ASTOLFI appelle les « contenus noyaux ». Un référentiel de compétences (qui pourrait être le Socle Commun) est alors utile pour guider l’enseignant et l’élève. Il est ensuite nécessaire de varier sa pédagogie selon les « types » d’élèves : élèves « dépendants du champ », « indépendants du champ », « réflexifs », « impulsifs », « auditifs », « visuels », « productifs », « consommateurs », « conviviaux », « individualistes », « intensifs », « économes »,… Selon GARDNER, les élèves possèdent aussi des intelligences multiples. L’école travaille surtout les intelligences logico-mathématique et linguistique et partiellement les intelligences spatiale, corporelle et musicale. Mais les intelligences interpersonnelle et intrapersonnelle (dans le cadre d’exposés, de dialogues entre élèves, du monitorat,…) sont généralement peu valorisées. Plusieurs champs de diversification sont alors à explorer. On peut par exemple distinguer trois positionnements de l’enseignant dans une séance d’enseignement : le modèle magistral, la pédagogie par objectifs et la pédagogie constructiviste (où « l’élève construit son savoir »). Dans la construction de sa séance, l’enseignant peut aussi utiliser différents « fonctionnements » pédagogiques : déduction (souvent prédominant), induction (avec le problème de l’articulation entre l’exemple et la généralisation), dialectique et divergence (peu développés). Plusieurs exemples concrets sont présentés : réalisations de cartes mentales ou « heuristiques », introduction de moments différenciés avec constitution de groupes aux compétences plus ou moins développées, utilisation de contrats de travail pour favoriser l’organisation personnelle du travail des élèves, travail sur le long terme par cycles en développant une pédagogie coopérative, travail autour de projets disciplinaires ou transversaux notamment dans le domaine culturel…
La question de l’évaluation semble cruciale. Il faut essayer de valoriser une évaluation formative en explicitant le référentiel par la définition de paliers de maîtrise. Les situations d’évaluations finales peuvent alors être vraiment différenciées. L’évaluation doit être perçue comme une étape d’apprentissage à noter dans un cahier de réussite (en utilisant par exemple un code de couleurs). A ces conditions, l’évaluation peut être entraînante et motivante. Il faut également rendre utile les corrections en utilisant l’auto-évaluation et la co-évaluation.
Pour enseigner en classes hétérogènes, l’enseignant doit adopter une nouvelle posture, ce que Philippe MEIRIEU appelle le « côte-à-côte ». Dans une relation d’étayage, il devient enseignant animateur et doit maîtriser l’art de la communication interpersonnelle verbale et non verbale, orale et écrite. Au collège, la réforme offre différents leviers pour changer les pratiques. La logique de « curriculum » incarné par le tout nouveau Socle Commun de connaissances, de compétences et de culture constitue un véritable défi et un puissant de moyen de différenciation des parcours des différents élèves (ou d’élèves différents). Comme les IDD, les EPI (travail sur un projet commun articulé autour d’au moins deux disciplines) sont, selon l’auteur, une occasion en or, tout comme le développement de la culture du débat, de l’esprit critique ou l’éducation aux médias. On regrettera que le dernier chapitre ajouté dans cette 3ème édition ne soit pas plus fourni. Il serait intéressant de voir comment des équipes ont pris en main, parfois de manière très différente, la loi pour la « refondation » de l’école pour faire réussir leurs élèves.
Au final, cet ouvrage répond bien aux attentes définis dans l’avant-propos. Il fait réfléchir sur nos pratiques quotidiennes et propose de nombreuses pistes, qui ne sont pas des chemins tout tracés mais des points d’appuis pour des projets à construire avec nos élèves. Il montre aussi que l’imagination et la créativité sont les principaux leviers pédagogiques pour gagner en efficacité, renforcer la motivation et aller vers plus d’égalité malgré les différences.