Le Numéro d’octobre de la revue Esprit retient l’attention par le traitement de deux thèmes spécifiquement géographiques. Remis sur le devant de la scène en septembre avec la nomination de dix architectes urbanistes par le président de la République Sarkozy, le chantier du Grand Paris est au cœur du dossier du numéro d’octobre de la Revue Esprit. Le conflit russo-géorgien tient aussi une place de choix dans ce numéro.

Le conflit russo-géorgien

Trois articles font le point avec profit sur la situation actuelle de la Géorgie après l’épisode de blitzkrieg d’août 2008. Si l’éditorial intitulé L’Europe devant le conflit russo-géorgien. Un retour de la guerre froide ? reprend la problématique amplement développée par la presse quotidienne dans les semaines qui ont suivi l’évènement, en revanche, l’interview accordée par Michel Foucher permet de prendre la mesure de la complexité des enjeux géopolitiques. Condamner la situation n’apporte rien. L’issue au conflit est à rechercher, selon lui, du côté d’un renforcement d’une politique de voisinage. De même, il est nécessaire de dissocier la politique de l’Union Européenne et l’ « ambition géostratégique de l’administration américaine ». Michel Marian (Refuser la guerre froide sale) revient sur l’élaboration de la théorie de l’encerclement développée par les Russes à la suite de l’effondrement de l’URSS et surtout des Révolutions de Couleurs de 2003. Il dénonce la politique d’endiguement initiée par les Etats-Unis en Europe. Il met en avant le sixième point du plan Sarkozy de cessez-le-feu qui prévoit des négociations sur le statut des minorités. Son analyse met en perspective le conflit et donne des clés de lecture intéressantes pour faire comprendre à des élèves la complexité des enjeux.

Le chantier du Grand Paris

La revue fondée en 1932 par Emmanuel Mounier a déjà consacré certains de ces dossiers récents à un thème géographique urbain. (février 2008, le gouvernement des villes ; octobre 2005, l’architecture et l’esprit de l’urbanisme européen ; mars-avril 2004, la ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation). Paris tient une place à part dans la question urbaniste. C’est une métropole mondiale et sa taille exige de revoir son mode de gouvernance. Tout l’enjeu du débat actuel est de trouver l’équilibre entre l’Etat et les collectivités territoriales. L’accumulation de structures de gestion ne résout pas les problèmes pour gérer cet espace. L’équipe d’urbanistes réunie autour d’Olivier Mongin (directeur de la rédaction de la revue) pense, comme Michel Lussault, que ce qui manque aux intercommunalités est une identité basée sur une histoire, un sentiment d’appartenance. Dans le cas du Grand Paris, la muséification touristique et la patrimonialisation de Paris intra muros ne doivent pas nuire à l’ensemble plus vaste que sera le Grand Paris. Guy Burgel estime que ce qui se joue aujourd’hui est aussi important que l’haussmannisation ou le schéma directeur de 1965. Le cas de la réflexion autour du Grand Paris doit profiter aux autres espaces urbains à toutes les échelles. La dimension politique est centrale dans le cadre de la région capitale entre un président de la République de droite, la région francilienne et la municipalité à gauche. Ainsi, la mise en place du SDRIF (Schéma Directeur de la Région Ile de France) en septembre 2008 par le conseil régional d’Ile de France (cf. la campagne de publicité dans le métro) a été accompagnée par l’annonce de la nomination de 10 architectes entourés d’équipes pluridisciplinaires (composées de géographes, d’économistes et d’urbanistes) par le président Sarkozy. La concurrence est rude, à la mesure des enjeux. En effet, si l’agglomération n’est pas considérée comme un ensemble, il est vain de vouloir régler les problèmes de déplacement, d’emplois et de services. Cela explique que de nombreux projets n’aient pas encore vu le jour (Orbival). L’absence d’un maire pour ce vaste ensemble a beaucoup joué dans l’attribution des jeux olympiques de 2012. Le Grand Londres s’est doté depuis 2000 d’un maire et d’une assemblée directement élue. François Ascher propose quelque chose à contre-courant de la tendance actuelle : partir d’un projet régional (celui de l’Ile de France) à condition que celui-ci soit stratégique (contrairement au SDRIF qui, d’après lui, met en avant tout un tas de points sans faire de choix). Pour lui, cela passe par une « épuration » des strates administratives (petites communes rurales, départements).

Le dossier comporte aussi un article en marge du sujet sur les dix projets de l’opération Campus. (Ce plan tend à renforcer les gros pôles de province). Le territoire du Grand Paris a du mal à fédérer les initiatives (existence de nombreuses petites structures) et la publication des unités retenues a été retardée.

Une large place est réservée à Philippe Panerai dans le dossier consacré au Grand Paris : une fiche de lecture de son ouvrage Paris Métropole, formes et échelles du Grand Paris. 2008, Editions de la Villette ; la publication des meilleures feuilles de cet ouvrage (chapitre 2 où sont exposés les 4 scénarii pour le Grand Paris) et une très intéressante interview de l’auteur. On retiendra de tout cela que Panerai propose d’accorder une adresse postale parisienne, y compris à des territoires de banlieue (comme cela a été fait pour la Défense ou pour l’ensemble du territoire du Grand Londres) afin de réduire la pression immobilière dans Paris intra-muros. Avec une adresse construite sur ce modèle (Paris HDS 92 pour une adresse dans les Hauts de Seine), un local intéressera davantage un investisseur étranger. De même, il mène une réflexion sur l’image passéiste (dans la veine Amélie Poulain) que Paris a véhiculée pour faire valoir sa candidature aux JO de 2012. L’article de Thierry Paquot va dans le même sens. Il montre comment s’est construit le mythe littéraire parisien à partir de l’analyse de romans mais aussi de films. Un article à recommander aux lecteurs du site cinéhg. Son travail vise à montrer le décalage entre le mythe et la réalité. Depuis les années 1960 et le schéma directeur, le fossé entre l’image construite et la réalité n’a cessé de se creuser.

Le reste du dossier est constitué, en autres, d’intéressantes interviews d’acteurs : Jean-Paul Huchon (Il voit dans la région Ile de France les limites du Grand Paris. Il est favorable à l’intercommunalité et refuse l’idée de supprimer les départements.), Pierre Mansat (adjoint au maire de Paris, favorable à la mise en relation de Paris intra-muros avec les communes de la Petite Couronne, avec notamment la couverture partielle du périphérique). Au total, ce dossier spécial consacré au Grand Paris permet au lecteur de comprendre les enjeux du débat. Face à la divergence des avis et des propositions, il reste assez désarçonné quant à la faisabilité et la mise en oeuvre, à court terme, d’une telle entité.

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