Didier Le Fur est un historien spécialiste de la Renaissance, auteur de biographies remarquées comme celle sur François 1er. Et ils mirent Dieu à la retraite : Une brève histoire de l’histoire est un ouvrage qui inaugure une nouvelle collection : Passé Composés.
Dans l’introduction, l’auteur s’étonne des différences qu’il remarquait lorsqu’il était étudiant entre les ouvrages universitaires généraux sur la Renaissance qui ne parlaient que de progrès alors que les archives n’évoquaient que les guerres le tout « sous le regard de Dieu ». Ceci interroge alors l’étudiant : « je fis le constat que l’histoire était particulièrement mouvante, […] elle était souvent le simple reflet des opinions des auteurs qui la rédigeait ou le témoin d’un regard collectif que l’on avait décidé de porter sur elle. » Et cela pose le questionnement à la base de ce livre : « Comment prétendre que l’Histoire était une science ? […] quand l’était elle devenue ? Et pour quels motifs ? »
Pour l’auteur la nécessité de l’histoire est contemporaine de la transformation du monde des Européens à Renaissance. La découverte de l’Amérique, la Réforme, les découvertes de Copernic et Galilée interrogent les philosophes sur l’écriture du passé. Descartes transforme la conception d’un monde organique et cyclique qui connaît une évolution, la dégénérescence et la mort en un monde mécanique ou le mouvement est linéaire, uniforme et sans fin (le mécanisme), en un mot le progrès.
L’ouvrage montre comment sous l’influence de Vico, Hobbes, Spinoza, Voltaire, Condorcet, pour ne citer les que les plus connus, le progrès supplante Dieu comme moteur de la destinée des hommes. Didier Le Fur montre les tentatives avortées d’une philosophie de l’Histoire. Celle de Vico, comme celle de ces prédécesseurs et successeurs, échoue, car il « tordait les faits » pour qu’ils puissent justifier ses théories. Si Vico n’eut aucun succès au XVIIIe siècle, il fut l’inspirateur de Michelet pour son « Introduction à l’Histoire Universelle » et à son « Histoire de France ». Le progrès, devint pour Michelet, la lutte entre la Liberté et la Fatalité et la France fut encore choisie comme Nation exemple éclairant d’une histoire universelle qui ne vit jamais le jour.
Pour l’auteur, seul l’abandon d’une philosophie de l’histoire permet d’arriver au « scientisme » où le lecteur découvrira qu’Ernest Renan pouvait partager les mêmes idées qu’Antoine de Gobineau, afin de pouvoir justifier que la République soit une puissance colonisatrice.
Puis s’enchaînent, trop rapidement, le positivisme, l’histoire méthodique de Langlois et Seignobos et les Annales qui transforment l’histoire en science sociale au lendemain du premier conflit mondial. Didier Le Fur explique alors la division d’une histoire « universitaire » réservée aux spécialistes et une histoire vulgarisée pour le grand public. L’auteur reproche les partis pris des historiens porteurs de messages engagés dans leurs ouvrages, leur implication dans les commémorations mémorielles depuis 1989 financées par l’Etat et une vision téléologique de la construction européenne, nouveau Roman National.
L’idée de progrès comme moteur de l’histoire est encore bien présente chez les concepteurs de programme puis le progrès (sans questionnement) est l’idée générale du nouveau programme de seconde !
Cet ouvrage est un livre d’épistémologie différent des ouvrages à destination des concours. Il développe les réflexions philosophiques de l’époque moderne sur la nécessité de réforme de l’histoire et leurs tentatives avortées. Il explique les liens qui existent entre ces réflexions et l’institutionnalisation de l’histoire scientifique. L’utilité de l’histoire, « une science pour régner », qui permet de relire le passé comme source d’autorité est ainsi dévoilée. Mais l’ouvrage ne parle pas des débats actuels sur l’écriture de l’histoire…