Publié dans la collection de l’Institut de Recherches Carré de Malberg de l’université Robert Schuman de Strasbourg, ce recueil réunit des textes que René Capitant a consacrés sur le vif à l’analyse du national-socialisme. Ecrits entre 1933 et 1938, ces textes avaient alors été publiés dans des revues au tirage assez confidentiel, et donc peu connues du grand public. Ils constituent aujourd’hui un témoignage précieux sur la mise en place et l’affirmation de la dictature nazie. Ils ont été rassemblés ici sous la direction d’Olivier Beaud, Professeur de droit public à Paris II, détaché au Centre Marc Bloch de Berlin et ont fait l’objet d’une édition critique très documentée, grâce au travail de jeunes chercheurs qui ont eu accès aux archives privées de René Capitant. L’ouvrage comporte en outre une postface de Philippe Burrin qui en montre toute la valeur pour l’historien du nazisme, une chronologie et un glossaire des notions et des noms propres.
Lorsqu’il part en Allemagne pour un an avec sa famille (en 1933-1934), René Capitant, Professeur de droit constitutionnel à l’université de Strasbourg, adresse à la Fondation Rockefeller qui lui a accordé une bourse d’études, une lettre (publiée en annexe du livre) pour exposer son programme de travail : il s’agit alors de travailler sur la Constitution de Weimar et les pratiques politiques des années 1919-1933. En fait, les événements politiques du début de l’année 1933 vont le détourner de cet objectif et en faire un observateur attentif et un commentateur très clairvoyant de la mise en place du régime national-socialiste. René Capitant livre dans ces articles un témoignage contemporain et spontané sur les premières années du nazisme, l’idéologie, les rouages de la dictature.
Chaque chapitre regroupe plusieurs articles publiés entre 1933 et 1938 et consacrés à un thème ou à une approche du régime national-socialiste. Ces articles sont basés sur la lecture attentive et rigoureuse de la presse allemande et des publications disponibles à l’époque.
La première série de textes donne une analyse clairvoyante du régime à partir de l’étude de ses fondements institutionnels mais aussi de son idéologie. Le texte consacré au Führerprinzip est particulièrement intéressant en ce qu’il met en évidence le rôle fondamental joué par Hitler ainsi que les rouages de l’Etat totalitaire.
Un deuxième ensemble regroupe des textes consacrés à l’idéologie national-socialiste. René Capitant y montre à plusieurs moments comment l’action d’Hitler est à mettre en relation avec les fondements idéologiques du régime, et en particulier avec les objectifs énoncés dans Mein Kampf. Dans un article de mai 1936, Capitant analyse les lois de Nuremberg de 1935 . Il en conclut qu’ « elles montrent à quel point le III ème Reich reste dominé par le fanatisme. L’Allemagne n’a certes renoncé ni à la précision de la technique, ni à la puissance de l’organisation, mais Hitler les a mises au service de son idéologie. Notre plus grand péril serait de l’oublier. » S’il n’accorde à l’antisémitisme qu’une place relativement limitée dans ces textes, Capitant apparaît ici sans illusion sur la politique antisémite des nazis, comme le note Philippe Burrin dans la postface de l’ouvrage : « A l’horizon, écrivait-il, il y avait l’expulsion générale » des juifs d’Allemagne. Il lui aurait fallu une intuition exceptionnelle pour deviner que cette expulsion pourrait prendre la forme du meurtre de masse et embrasser tous les juifs d’Europe. »
Les deux dernières parties sont consacrées d’une part à l’organisation économique et sociale, et d’autre part à la politique extérieure du Reich. René Capitant, s’il se garde bien de prédire l’avenir, met en garde contre une politique qui selon lui n’a à long terme d’autre objectif que de permettre la réalisation des objectifs énoncés par Hitler dès Mein Kampf (réunion de tous les allemands au sein du Reich, colonisation d’un « espace vital »à l’est).
Les articles retenus correspondent à quelques moments clés de ce que Capitant considère dès 1938 comme une marche inéluctable vers la guerre.
La partie sur l’organisation économique et sociale montre l’application du Führerprinzip dans des domaines autres que le domaine politique et donne de nombreux exemples utilisables en cours pour mettre en évidence l’emprise du régime sur la société. Capitant y met en évidence l’importance de l’idéologie, de la vision du monde nazie et en quoi elle s’oppose au libéralisme.
Ce recueil propose donc un ensemble de textes très complémentaires, abordant les divers aspects du régime nazi et permettant de percevoir l’évolution du régime entre 1933 et 1938. Il permet également d’engager une réflexion sur la perception par les Français de la prise du pouvoir par Hitler et de la transformation politique de l’Allemagne.
Philippe Burrin, dans sa postface, dit tout l’intérêt de ces textes pour qui se penche aujourd’hui sur l’histoire du Troisième Reich. « La chose remarquable est que Capitant vit l’essentiel en le dégageant de la masse des détails et de la brume des contours. (…) Ce qui lui apparut, c’était un régime qui répugnait en tout à son libéralisme foncier et menaçait l’avenir de tous. De là un cri d’alarme qui rencontra malheureusement peu d’écho dans une France plus disposée à espérer un miracle qu’à préparer une guerre probable. » (postface, p.253)