Mickaël Correia est un journaliste indépendant qui collabore au Monde Diplomatique, à La Revue Dessinée ou à Médiapart. Il a publié, en 2018, Une histoire populaire du football rééditée cette année par les Éditions La Découverte, en format poche. Livre qui pourrait être très utile pour les enseignants et susciter l’intérêt ou la curiosité de nos charmants élèves.
Les sports, et particulièrement le football, ont été assez peu étudiés par les historiens. La victoire de l’équipe de France lors de la coupe du monde en 1998 et l’engouement qu’elle a révélé et suscité ont contribué à changer la donne. Ainsi, en 2002, Georges Vigarello dans Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe (Seuil) consacre un article aux premières coupes du monde de football. Il y indique que le premier livre socio-historique paru, en France, sur ce sport est récent et ne date que de 1989André Wahl, Les archives du football, Gallimard, coll. Archives. Livre que l’auteur de cette note n’a pas lu. En 1998, justement, Pascal Boniface, chercheur en géopolitique, avait publié Géopolitique du football (Complexe) puis, en 2006, Football et mondialisation (Armand Colin) dans lequel il évoquait les difficultés qu’il avait rencontrées pour publier un tel ouvrage.
M. Correia adopte un point de vue différent de ces auteurs qui fait tout l’intérêt de son livre. Il entend, à la suite de Howard Zinn aux États-Unis ou de Gérard Noiriel et Michelle Zancarini-Fournel en France, faire une « histoire populaire ». Cependant, il ne propose pas une « histoire par le bas » des luttes sociales, de la lente organisation du mouvement ouvrier ou des transformations des conditions de vie des couches populaires mais porte son regard sur le football, longtemps honni par nombre d’intellectuels. S’il s’intéresse à un objet, devenu de nos jours, symbole de l’affairisme, de la « marchandisation » du sport et de la « gentrification » des stades, l’auteur entend nous montrer « une autre face du football » (p. 6-7). Celle des gamins, et gamines de nos jours, qui tapent dans la balle à Bordeaux, Manchester Ken Loach évoque cette passion dans Looking for Eric, avec Eric Cantona., Abidjan, Sao-Paulo, TombouctouPensons à la partie sans ballon dans le film Timbuktu d’Abderrahmane Sissako (2014). ou dans les campagnes partout sur la planète. Celle des supporters qui ont lutté avec courage et ténacité contre les sbires des dictateurs : en 2011 au Caire Ce qu’évoque avec grâce et intelligence le très beau livre de Alaa El Aswany, J’ai couru vers le Nil, Arles, Actes Sud/L’Orient des Livres, 2018. Un ouvrage qui devrait passionner historiens et géographes ou tout honnête homme qui s’intéresse au monde arabo-musulman et veut sortir des clichés., en 2019 au Chili ou encore en Algérie. Et remercions-le de nous donner à travers cet ouvrage une image différente et diversifiée des pratiquants comme des supporters de ce sport de gentlemen sans céder cependant à l’angélisme quand il évoque le sexisme et l’homophobie de certaines sphères dirigeantes ou de supporters du dit-jeu.
L’auteur n’a pas adopté un plan chronologique mais a décliné son propos en cinq thèmes auxquels il donne des titres empruntés au vocabulaire du football : défendre, attaquer, dribbler, supporter, déborder. Chacun de ces thèmes est décliné en plusieurs chapitres centrés sur un axe précis, il est donc tout à fait possible de lire ces parties séparément et de grignoter les chapitres dans l’ordre que l’on veut. Ainsi, il est aisé de proposer à des lycéens intéressés par telle ou telle question, de lire le chapitre qui lui est consacrée sans qu’ils soient tenus de lire l’ensemble.
La naissance et le développement de ce sport sont d’abord présentés. Sport de gentlemen codifié au 19ème siècle au Royaume-Uni, il est devenu, à la fin de ce siècle, ce que Éric Hobsbawm (cité p. 44) a appelé la « religion laïque du prolétariat britannique ». La working class s’est passionnée pour ce sport, en a infléchi la pratique et a amorcé le processus de professionnalisation des joueurs, au Royaume-Uni mais aussi dans d’autres pays d’Europe puis au-delà.
La deuxième partie, dont des éléments peuvent être utilisés pour accrocher l’attention d’élèves parfois rétifs à nos passionnantes explications, est centrée sur les combats menés par des footballeurs (ou des supporters) contre des dictatures. L’opposition au franquisme s’est souvent manifestée au Camp Nou, stade du FC Barcelone, par des slogans, l’utilisation du catalan alors interdit ou les couleurs sang et or des bannières déployées. À plusieurs reprises, avec un courage étonnant, des footballeurs ont affirmé leur refus du nazisme : en Autriche après l’Anschluss, en Ukraine pendant la guerre. L’équipe des Corinthians, à São Paulo, a, elle, mis en pratique une forme de démocratie participative pendant la dictature (1964-1985) et est devenue, un temps, le « porte-voix populaire du mouvement d’opposition » à celle-ci.
La troisième partie « Dribbler. Déjouer le colonialisme », revient d’abord sur la naissance d’une équipe nationale algérienne à l’initiative du FLN à qui elle a permis de populariser son combat anticolonialiste Voir, Un maillot pour l’Algérie, BD de Javi Rey, Bertrand Galic et Kris en 2016, recensée par La Cliothèque. . Le football est bel et bien une « arme politique » que les Palestiniens tentent d’utiliser, avec moins de succès cependant. L’auteur souligne aussi le fait que la démocratisation du football et le développement de sa pratique, sur des terrains de fortune, parmi les catégories sociales et raciales stigmatisées a eu des conséquences sur le style de foot pratiqué. C’est ainsi qu’il explique l’essor du dribble et le style de jeu proposé, dans les années 1960 en particulier, par l’équipe du Brésil.
La passion des supporters est évoquée par quatre chapitres. Le premier porte sur le phénomène hooligans en Grande-Bretagne, en partie éradiqué de nos jours, du fait des mesures de répression prises à leur encontre et du considérable renchérissement du prix des places. Nombre de fans suivant désormais les matchs chez eux ou au pub. Les tifosi italiens donnent lieu à un chapitre qui évoque entre autre, la proximité de nombre d’entre eux dans les années 1970 avec la gauche extra-parlementaire et les mouvements sociaux, alors puissants dans la péninsule. La figure de Diego Maradona permet de faire le lien entre Naples, où il joua, et l’Argentine. Aidé par la « main de Dieu » en 1986, ce joueur a bénéficié auprès des Napolitains et des Argentins d’un crédit considérable qui renvoie à ses origines. Enfin, le rôle des supporters d’un club d’Istanbul dans le combat contre Erdogan et en défense de la place Taksim conclut cette partie.
La fin de l’ouvrage est consacrée à des tendances et à des expériences qui s’opposent à ce que l’auteur appelle « l’industrie du football ». L’occupation du siège de la Fédération française de football en mai 1968 (« Le football aux footballeurs ») et ses suites, sont ainsi rappelés. Après un premier essor aux lendemains de la Grande guerre, le football féminin fut, comme le féminisme, dénigré, contenu et oublié. Il connaît, en ce début de 21ème siècle, de beaux jours et participe de fait à la lutte contre « le patriarcat sportif ». Enfin, l’auteur entend montrer qu’un autre football est possible avec des expériences alternatives : clubs animés par des coopératives de supporters, en Angleterre ; club « pirate » à l’identité antiraciste, antisexiste et anti-homophobe à Hambourg ; football de quartiers au Sénégal ou des cités en France…
Un thème intéressant, une démarche bien menée et une écriture claire et vivante donnent à ce livre de nombreux atouts. Plusieurs chapitres peuvent permettre d’enrichir et de rendre vivants nos cours. Ils peuvent aussi susciter l’intérêt d’une partie de nos élèves voire leur donner envie de dribbler et de jongler avec les pages de ce livre.